Magazine Humeur

Attendre

Publié le 19 octobre 2008 par Jlhuss

par Chambolle

Ils se sont séparés au bout d’un couloir. C’était presque comme dans une gare, sauf que ce n’était pas une gare. Pas de bruits, une odeur de trop propre, des wagons individuels avec des roues en caoutchouc et tous les employés habillés en blanc, sauf les chefs qui sont en vert et les lampistes en bleu pâle. Ils se sont embrassés, vite, trop vite, deux vieux amants honteux de ne pas savoir retenir leur chagrin. Et puis ils sont partis, chacun de leur côté, lui vers l’escalier et la rue, elle vers le couloir et son voyage en solitaire.

Le lendemain matin, juste avant de partir, elle l’a appelé. Il lui a dit qu’il l’aimait. Pour une fois ça n’a pas été difficile de dire « Je t’aime. »  Il y a eu le bruit d’un baiser, un au revoir chuchoté, un petit bruit sec et, pour finir, le silence.

Depuis il attend. Pas que le ciel lui tombe sur la tête. C’est déjà fait, ou plutôt c’est en cours. Au début c’était plutôt anodin. Un retard à l’arrivée « Rien de grave, rassurez vous ! Rappelez dans une heure ! » Il a rappelé une fois, deux fois, trois fois. Quatre heures après il a appris que le voyage s’était enfin terminé mais que, pour éviter la fatigue, respecter le protocole et mettre toutes les chances de son côté, il valait mieux qu’il s’abstienne de revenir dans le couloir. Il fallait laisser les professionnels travailler. Bien sûr, il a obtempéré. Le lendemain, à dix heures, comme on le lui avait dit, il a rappelé et il a appris qu’il fallait continuer d’attendre. Il n’avait pas le choix, il a attendu jusqu’à la fin de l’après-midi qu’une autre professionnelle l’informe que non, décidément, rien ne se déroulait comme prévu, que le voyage continuait mais dans un autre couloir où on allait s’occuper d’elle, intensivement.

Là  il s’est mis à pleurer car il a compris que, peut-être, ce voyage c’était un aller simple. Il s’est calmé, assez vite cependant, et il s’est remis à ce qu’il sait faire de mieux depuis leur séparation : attendre. Au bout de vingt-quatre heures, sa patience a été récompensée. Il a été autorisé à venir la voir quelques instants dans le nouveau couloir où elle continuait son parcours. Il est arrivé juste à l’heure qu’on lui avait indiquée. Pas de chance, quand il s’est présenté, l’employée de l’entrée (blouse blanche et bleue) lui a dit que, pour le moment, les professionnels s’étaient remis au boulot et qu’il veuille bien patienter : quelqu’un allait s’occuper de lui. Il s’est installé dans un coin et il a regardé tourner les aiguilles de la montre qu’elle lui avait offerte pour un anniversaire quelconque. Curieux, il n’aurait jamais cru qu’on peut sangloter en regardant une montre.

Une heure plus tard, on l’a fait entrer dans une petite pièce. Jeune, sympathique, précis, un homme en vert est arrivé qui a essayé de lui expliquer ce qui se passait.  Ce qui se passait c’est que les choses allaient de plus en plus mal. Bien sûr, il y avait de l’espoir. Il y en a toujours mais, comment dire… « N’en dites pas plus, le mais suffit. » Et c’est reparti jusqu’au lendemain matin où le chef des hommes en vert l’a appelé. Il a été parfait (le chef, pas lui., lui, il était liquéfié). Rien ne marchant comme prévu, il réunissait son équipe pour, éventuellement, tenter une ultime manœuvre. Il a approuvé « Bien sûr ! » Que pouvait-il dire d’autre ? Au début de l’après-midi, nouvel appel : l’opération commençait. Il a attendu. C’est une habitude à prendre.  Cette fois ça a duré trois heures. Il paraît que c’était plutôt réussi, mais, pour en être sûr, il fallait attendre, attendre, attendre.

De quoi se plaignait-il ? Attendre c’est encore espérer.

Chambolle

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