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Le premier cri

Publié le 19 octobre 2008 par Sylvainetiret
Tu enfantais dans la douleur ...
A quoi je m'attendais ? A vrai dire, je n'en sais rien. J'avais juste vu une affiche d'allure sympathique : un coucher de soleil et un corps de femme de profil en ombre chinoise. Quelque chose qui évoquait un peu l'affiche de « La couleur pourpre ». Ca ne pouvait pas être mal, avec une affiche pareille. On voit bien que le ventre de la dame ne laisse aucun doute sur son état de parturiente. Ca doit causer de quelque chose en rapport avec une naissance, alors. De toute façon, les autres films, je les avais vus. Alors pourquoi pas ? Allons-y pépère …

Affiche France (cinemovies.fr)


Et là, première surprise. Ce n'est pas un film classique, mais un documentaire. Après tout, après « Bowling for Columbine », « Sicko », et « Cabale à Kaboul », on en a vu d'autres, et des bons, voire des très bons. Donc pas d'a priori. Ca va être peut-être plus austère que prévu, mais bon, on n'est pas à ça près.

Deuxième surprise, tout commence par l'accouchement d'une mexicaine dans l'eau - classique, quoi - mais au milieu des dauphins. Ca doit avoir quelque chose à voir avec un rapprochement de la nature. Mais pourquoi au milieu des dauphins ? On apprend bien quelque part qu'il est question du « sonar » des dauphins qui ferait du bien à je ne sais quoi, mais l'affaire n'est pas limpide, et pour tout dire à peine évoquée. Bon, on verra plus tard. Mais plus tard, on a beau attendre, on n'en apprend pas plus.
Troisième surprise, puisqu'on est parti à suivre la préparation puis l'accouchement de cette jeune femme, on se dit qu'on va éplucher de bout en bout une histoire avec ses tenants et ses aboutissants. Mais que nenni. On se disperse sur la même histoire à propos de plusieurs femmes de part le monde, en Inde, au Japon, aux Etats-Unis, en France, en Sibérie, au Vietnam, en plein pays Masaï. Pas question de dauphin à tous les étages, bien sûr, mais des derniers jours de chacune à l'approche de ses couches. Avec en point d'orgue, l'accouchement de chacune. Non pas que l'histoire ne soit pas touchante, mais qu'est-elle d'autre que touchante ?
Le point commun de toutes ces situations, c'est la recherche d'un minimum de médicalisation, présentée comme un parasitage technique venant priver la mère du plaisir fondamental de vivre naturellement la plus naturelle des expériences. En Inde et au Kenya, il n'y a de toute façon pas tellement le choix. Au Japon, le bon Docteur Kageshima (je crois …) se fait un devoir de rester à coté sans intervenir. Aux Etats-Unis, on frôle l'hémorragie mais finalement les choses s'arrangent après que la technologie décriée ait tout de même permis d'inquiéter la belle-mère sur son portable postée à l'autre bout du pays. Mais il y avait eu une séance de yoga au bord d'un lac en préparation d'un accouchement naturiste tant pour maman que pour papa, alors tout va bien. En Sibérie, la jeune nomade est conduite par hélico à l'hôpital local par moins 50 avant que l'accoucheuse ne décide d'une césarienne présentée comme une précaution extrême presque superflue de la part d'une blouse blanche semblant plus préoccupée de technique que de sentiment. Au Mexique, la médicalisation est bien là, mais tellement mise au second plan par la présence de dauphins qu'on y pense à peine. En France, on a droit à la maternité hospitalière avec blouses blanches, oxygène nasal et salle aseptisée. Mais la jeune femme avait vécu sa grossesse « naturellement » jusqu'au bout. Danseuse dévêtue de son état, elle s'était encore peu avant le terme produite sur un bateau-mouche l'abdomen en bandoulière sous l'œil perplexe des dîneurs étonnés. Au Vietnam, l'hôpital a quelque chose de grouillant d'une joyeuse pagaille qui fait que malgré la blouse du jeune médecin attendri supervisant ses ouailles, on a bien plus l'impression d'une scène familiale que de tout autre chose.
Gilles de Maistre nous raconte en autant d'exemplaires l'histoire d'un accouchement finalement sans problème majeur. C'est évidemment le plus souvent le cas. Qu'en aurait-il été en cas de difficulté imprévue ? Qu'en est-il de l'abaissement du taux de mortalité périnatale des mères ou des enfants par le renforcement des conditions d'hygiène ? Les survivants vont bien, merci. Les autres n'ont de toute façon pas eu la parole. Il y a deux mois, une collègue de 27 ans est morte d'une hémorragie massive durant l'accouchement de son second enfant. Deux jours plus tard, même chose pour la jeune cousine d'une seconde collègue. Toutes deux dans deux hôpitaux différents de la région parisienne, à l'été 2007. Bien sûr, on peut répondre qu'elles étaient à l'hôpital et que ça n'a rien empêché. Vrai. Mais si la chose est encore possible dans ces conditions protégées, combien l'est-elle dans les conditions plus frustres dites « naturelles » ? J'avais beau tenter de me plonger dans le regard fier ou humide des pères à l'écran, je ne pouvais tout au long du film me sortir ces deux évènements de la mémoire.
Il n'est évidemment pas question de verser dans une quelconque idolâtrie de la technique, d'une médecine à bien des égards déshumanisante. Mais de là à se complaire dans une autre idolâtrie d'une naturalité dont on a oublié ce qu'elle peut avoir de violent et de douloureux, il y a un pas qu'il serait pour le moins inconséquent de franchir à l'aveuglette.

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