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Plus à droite que la droite L'E

Publié le 20 octobre 2008 par Hrvatska

Plus à droite que la droite

L'Etat croate est selon les critères formels l'un des Etats politiques les plus à droite en Europe. Je ne peux pas trouver de pays européen où sur 21 années au total, en comptant cette période jusqu'aux prochaines élections puisque ce gouvernement restera certainement jusqu'à la fin du mandat, la droite ait été au pouvoir pendant 17 ans, a déclaré Mirjana Kasapovic, dans une interview pour le quotidien Glas Istre.

Il y a une semaine, durant les colloques de politologie à Opatija, le débat sur la situation et le développement de la politologie en Croatie a vécu sa catharsis politique, orageuse, après l'apparition du livre La sortie du pluriel qu'a rédigé, en se livrant à une étude approfondie, Mirjana Kasapovic, une professeur à la Faculté des sciences politiques de Zagreb.

Cependant, l'idée de discuter tout d'abord avec la professeur Kasapovic de la situation actuelle de la politologie croate, puis seulement alors du regard qu'ont les politologues sur la politique croate, ses institutions et acteurs, a été infléchie par la nouvelle sur le meurtre d'Ivana Hodak et par la réaction du Premier ministre Sanader qui a limogé deux ministres et désigné leurs successeurs.

Il y a une dizaine de jours, le Premier ministre avait refusé avec indignation la demande de l'opposition et d'une grande partie de l'opinion que soit remplacé le ministre Roncevic. Maintenant, non seulement l'a-t-il remplacé mais aussi la ministre Lovrin. Qu'est-ce qui a subitement changé en lui ?

Rien. N'importe qui peut toujours parler et réclamer quelque chose, y compris des démissions, cela restera selon la façon et le moment où il le décide. Les ministres ne sont absolument pas essentiels, ils sont des petites roues ; plus ils sont faibles d'autant mieux. Même ceux qui étaient entrés dans le gouvernement comme sorte de personnalité, le Premier ministre est rapidement parvenu à les dépersonnaliser et à les uniformiser entièrement. Personne ne doit être au-dessus de lui, il est le HDZ [la Communauté démocratique croate, N.d.T.]. Il n'y a rien dans un tel système qui ne soit formellement non démocratique, mais, substantiellement, il comporte tout de même de fortes tendances autoritaires.

Puis est venu le moment où il a quand même fallu que le Premier ministre fasse quelque chose ?

Quoi qu'il en soit, il a eu la main forcée. Il n'a pas eu le choix. Il a tenu un discours quelque part dans l'après-midi, lorsqu'il a dit attendre un certain rapport et voir ce qu'il allait entreprendre. A mon avis, lorsqu'il est revenu de Pula, il n'était pas du tout conscient des proportions de la situation. Autrement dit, déjà avant il n'avait pas perçu l'ampleur du mécontentement et la nécessité de faire quelque chose. Ses premières réactions ont été à contretemps et lentes. Puis, tout d'un coup, en quelques heures, lorsqu'il a compris comment l'opinion réagissait - revirement ! Cela étant, il manque de gens compétents et capables, et il lui a donc fallu recourir à des gens hors du parti. A nouveau, c'est la conséquence de sa façon de diriger le parti où il ne permet pas que se détachent et se hissent aux plus hautes places des personnes aptes et autonomes, mais seules celles qui lui sont dévouées. Et, maintenant, il paie le tribut. En fait, toute la politique nationale paie le tribut du style dont il fait preuve pour diriger le parti.

Et la loi anti-mafia ?

Ce n'est rien d'autre qu'un truc en guise d'effet.

Lorsque vous évoquez le style gouvernemental de Sanader, de quel style s'agit-il ?

Dans les démocraties parlementaires il est depuis tout un temps question de la tendance à la présidentialisation de la politique, qui comporte trois dimensions essentielles : la politique du parti, l'arène politique et le pouvoir exécutif. Tout d'abord apparaît une forte personnalité qui met de l'ordre dans son parti, soit qu'elle le réforme soit qu'elle le réorganise ou relève sa cote. Une fois ce travail accompli, cette personne acquiert un mandat personnel au sein du parti pour se présenter aux élections au nom de ce parti, qui ne communique plus directement avec les électeurs et se trouve relégué au second plan. Si elle gagne les élections, cette personnalité appréhende le pouvoir de manière personnelle et elle se manifeste au sein du pouvoir exécutif non pas en tant que Premier ministre ou chef du gouvernement, mais véritablement comme le président au sens littéral, lequel possède les plus hauts pouvoirs. Elle traite le gouvernement comme une sorte de service pour accomplir certaines affaires sous ses ordres. C'est Blair qui a été le plus évoqué dans ce contexte, en tant que Premier ministre britannique le plus présidentialisé après la Seconde Guerre mondiale, ainsi que Schroeder en Allemagne.

En Croatie, par conséquent, Sanader appartient à cette catégorie ?

Chez nous c'est certainement Sanader. Son pouvoir a commencé à découler des réformes et des changements qu'il a menés dans le HDZ, quelle qu'en fut leur nature. Toujours est-il qu'il a vaincu une structure qui à un moment donné semblait plus forte et plus nombreuse, il a consolidé le parti, choisi une direction, remporté les élections. Maintenant, nous avons un Premier ministre qui est la figure clé, la plus puissante, dans le pays.

Est-ce que les conflits permanents entre le Premier ministre et le président de l'Etat signifient en réalité deux fonctionnaires qui se toisent ?

L'institution du Premier ministre est néanmoins plus forte dans notre système même s'il n'est pas entièrement dépouillé de tous les vestiges du système semi-présidentiel et que le président du pays possède encore quelques prérogatives. Sanader voudrait qu'il n'y ait même pas cela, qu'il soit un joueur entièrement libre sur une aire de jeux, où tous sont assis sur les bancs de réserve, tandis qu'il est le seul à jouer sur les deux parties de terrain, en mettant des buts de part et d'autre.

Combient cela est-il dangereux pour le système politique ?

Cela renferme beaucoup de problèmes. Vous ne pouvez pas tout miser sur une seule institution, sur un seul homme. C'est risqué lorsque par malheur de nombreuses politiques nationales et étatiques dépendent du destin politique d'un seul politicien. Les institutions sont tout de même quelque chose d'autre. Elles doivent fonctionner pareillement peu importe qui occupe la place ; elles doivent être suffisamment durables pour que les changements de personnes ne les ébranlent en rien. Bien entendu, quiconque agit dans les institutions y apporte sa marque, mais les institutions doivent être durables. Je crains que pour l'instant ce ne soit pas le cas chez nous.

Que dit la politologie ? Où la Croatie en est-elle arrivée dans sa transition démocratique ?

Par le changement de pouvoir en 2000 nous sommes véritablement sortis de la phase d'une politique autoritaire. Je ne dirais pas d'un régime autoritaire car les institutions étaient formellement démocratiques. Nous avions un parlement, des partis, des élections libres, un gouvernement, par conséquent des institutions qui étaient modelées selon les principes démocratiques, mais la politique était autoritaire. Elle dépendait fortement de la volonté, ou si voulez de l'humeur, d'un seul homme qui concentrait le pouvoir en ses mains. En ce sens, l'année 2000 a signifié une césure, une démocratisation accélérée de l'Etat et une ébauche autrement plus sérieuse pour la consolidation des institutions politiques, ce qui est le premier niveau de la consolidation démocratique. Cela veut dire que les institutions politiques fondamentales se stabilisent, qu'un retour de balancier autoritaire ne peut pas surgir et balayer tout ce que vous avez construit en dix ou quinze ans. Certains standards ont été atteints. Ce changement à la fois très important et positif de l'année 2000 nous a donc tirés de l'isolement, en nous permettant de se démocratiser et de résoudre toute une série de choses qui jusqu'alors avaient été atroces comme la politique envers l'UE et la Bosnie-Herzégovine ainsi que les relations envers les minorités, les droits humains et civiques, la liberté des médias. Même si je pense qu'il reste encore énormément de travail.

Où par exemple ?

En particulier dans la consolidation démocratique des acteurs politiques. A commencer par les partis politiques, la plaie de la société croate, jusqu'aux acteurs individuels - le président du pays, les chefs des partis parlementaires, les députés, les présidents du gouvernement déjà mentionnés, ainsi que les ministres. Au-delà est en lice une série de groupe d'intérêts, opaques, des sortes d'organismes qui se sont infiltrés dans l'arène formelle et informelle de la politique, et qui visiblement pèsent sur cette politique. Il faut décriminaliser la politique parce qu'il est évident, pour qui souhaite le voir, qu'il existe des canaux sérieux servant de brèche à la pègre, à ce qu'elle influence les institutions politiques formelles. Mais cela concerne la justice et d'autres institutions.

Le SDP [le Parti social-démocrate, N.d.T.] avait offert une alternative à cela, sans néanmoins connaître le succès. Pourtant de nombreux indices avaient suggéré un changement de pouvoir. Pourquoi ?

C'est là le problème plus profond de la société croate. Je pense que l'Etat croate est selon les critères formels l'Etat politique le plus à droite en Europe. Je ne peux pas trouver de pays européens où sur 21 années au total, en comptant cette période jusqu'aux prochaines élections puisque ce gouvernement restera certainement jusqu'à la fin du mandat, la droite ait été au pouvoir pendant 17 ans. Il existe visiblement de profondes raisons structurelles à cela. Que ce soit l'histoire lointaine ou plus récente, la culture politique, les institutions puissantes telles que l'Eglise catholique, les associations de vétérans, l'armée, certains médias, qui ne cachent pas qu'ils servent de soutien au parti qui l'emporte et mène cette politique. Lorsque ces structures font bloc il est alors difficile de percer. Il avait fallu que de grandes choses se passent, ainsi que certains événements critiques, pour que des changements adviennent. En 1999 cela avait été la mort de Tudjman, ce qui avait mené à une érosion du HDZ. C'est alors qu'une grande et vaste coalition, avec une mobilisation extrêmement poussée, était arrivée au pouvoir. L'année dernière il n'y a pas eu un tel faisceau de circonstances.

Autrement dit, vous n'avez pas été surprise par le dénouement électoral ?

Il était très difficile de s'attendre à un changement de pouvoir malgré tous les indicateurs, sociaux, politiques, culturels, justement à cause de ces structures. Il s'est avéré que des régions telles que la Dalmatie et la Slavonie l'emportent sur Zagreb et la Croatie du Nord-ouest. En Croatie, les régions les moins développées l'emportent systématiquement sur les plus développées. Ce n'est pas bon. Peut-être faut-il en déduire que les options et les préférences peuvent être transformées par un autre développement et que si le développement après l'année 1990 avait pris un autre cours les choses n'auraient pas été ce qu'elles sont. Mais c'est là un thème complexe. Il existe quelque chose dans la mentalité, dans la culture politique, la tradition qui ne permet pas qu'en Croatie aient lieu des changements de pouvoir faciles et fréquents. Cela étant, je constate le fait que les cercles politiques et journalistiques de droite sont nerveux et insatisfaits en dépit de cela. Ils voient partout une sorte d'hégémonie de la gauche, or ils sont constamment au pouvoir. Il faudrait voir en quoi consiste le problème. Ce sont justement les gens enclins vers la gauche qui devraient être nerveux.

Existent-ils des chances pour que les choses changent ?

Peut-être que d'ici trois ans les circonstances seront différentes, lorsque le SDP se sera consolidé, lorsque Milanovic se sera profilé, ou pas, en tant que vrai chef. Je pense que ce gouvernement de gauche serait bien meilleur s'il comportait nettement plus de personnes compétentes qui rempliraient leurs fonctions ministérielles mieux que celles existantes. Mais pour cela il faut gagner les élections. Vous pouvez dire que vous êtes le meilleur, mais tant que vous ne gagnez pas les élections il n'en est rien du pouvoir.

Quelle a été en général l'influence de la politologie ces 18 années sur la démocratie croate ?

Il existe une influence formelle qui peut se révéler par la participation de certains politologues, en tant qu'experts, parmi les commissions pour l'élaboration de la loi électorale, des lois sur les partis politiques, des lois sur les administrations locales et d'autres actes légaux. Il existe cette influence impondérable au travers des politologues qui travaillent dans les médias, en tant que conseillers dans les partis politiques, au sein du parlement et du gouvernement, dans les divers organes de l'Etat, et qui souhaiteraient travailler davantage au niveau régional et local. En outre, il existe des actions permanentes où les députés au parlement s'adjoignent des étudiants qui travaillent pour eux à titre de collaborateurs. Nos étudiants ont battu tous les autres dans une concurrence spécifique, ils ont été les meilleurs parce qu'ils sont justement formés pour ce dont ont besoin les députés au Parlement. Naturellement, il existe de nombreux obstacles. J'ai récemment lu l'information que parmi le ministère des Affaires étrangères, à côté de toutes les autres professions, on trouve plus de vingt personnes ayant un diplôme de la Faculté des transports. Visiblement, les relations et autres rapports de népotisme et de corruption sont un critère plus fort que la compétence professionnelle. Il faut encore élargir cet espace, il faut insister sur le fait que les politologues accomplissent des travaux dans le champ de la politologie et ainsi fassent progresser la politique croate.

Je suis extrêmement fière de certains politologues dans les médias. Je pense que les médias, dont les meilleurs journalistes sont justement des politologues, ont joué un rôle très important dans les années 90, qu'aujourd'hui encore certains jouent. Ils ont parfois accompli une fonction élémentaire de pédagogie. Je pense en particulier à la presse imprimée qui, selon moi, est la meilleure dans notre segment journalistique et où sont employés les meilleurs journalistes. Le pire est le journalisme télévisé, en particulier politique.

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Source : H-alter


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