"Transparence de l'eau, de l'air, des mots", comment définir la "poésie discrète" d'Eliane Biedermann mieux que par ce commentaire de son préfacier, François
Desplanques ?
Eliane Biedermann, on le sait, affectionne le haiku.
Ici, si ses poèmes ne sont pas de véritables haïkus, ils n'en conservent pas moins l'influence - perceptible - de cet art japonais de l'instant et de la plénitude secrète de l'infime, du
fugitif.
Nous sommes enchantés de voir, sur la page blanche, se succéder ces dentelles de mots si fines, si légères, si délicatement ajourées qu'elles frisent la dissolution dans la texture
palpitante de l'espace même.
Ici, on perçoit la vibration de la poésie à l'état pur. Dépouillement et approfondissement sont cultivés en parts égales et indissociables.
Eliane Biedermann déroule la musicalité pudique, mais réelle, frappante de ses poèmes, qui saluent l'espace, le grand air, les cieux changeants et subtils de France, le "goût surprenant /
d'une enfance retrouvée", la marche harmonieuse des saisons, leur éternel retour qui a pour vertu de rassurer la poète de par la régularité de leur rythme.
Avec Eliane Biedermann, l'on mesure à quel point l'instant - chaque instant - est unique, intemporel, fugace et dense.
On la sent à l'affût, et ses vers sobres pourraient se comparer à des filets cherchant à capturer les instants-papillons...et y parvenant (là, sans doute, est le plus acrobatique, le plus
difficile).
C'est la sobriété de ces vers même qui en fait le poids. C'est leur simplicité qui leur confère leur caractère presque incisif :
"Ce matin de Novembre
aussi bleu que le ciel
la mer n'est plus
qu'une immense prairie
surveillée par les mouettes
Elle fait la paix
avec les rochers qui affleurent
et le soleil multiple."
On le constate, cette poésie s'irise de son propre émerveillement. Si elle campe des paysages, c'est pour mieux faire ressortir "la part de l'invisible".
Philosophe à sa manière (encore une fois extrêmement discrète), elle nous suggère que tout n'est que "trace", que "L'avenir est de paille / fragile comme un nouveau-né". Elle aime et chante la
perpétuelle trransformation de l'univers et l'énigme subtile, presque imperceptible qui se loge en lui (en sa part de manque) et, donc, au coeur de la poésie ("et le silence ne donne aucune
explication / au psaume de l'absence").
Elle est lucide, sans illusion, "La poésie raconte / des mensonges tristes", mais, aussi, elle cherche "la couleur /des paysages obliques / dans la lumière des saisons".
Proche des petits bonheurs (par exemple, une simple "odeur de pain frais" qui joue les madeleines de Proust), cette poésie toute de limpidité et d'effleurement est telle un grand, un
délicieux bol d'air frais que l'on respire. Loin, très loin de toutes les mesquineries, de toutes les lourdeurs de la comédie sociale.
"et le vol endormi
d'un étang solitaire";
"Loin de la folie et des saccages
le poème réveille
le mystère des origines
apporte la tièdeur [...]"
"l'ovale de l'espace" est un remède au "quotidien somnambule [...] dans un tourbillon vide de sens".
Et si "L'air glacé serre ses cristaux / sur les arbres déchus", "le chant [...] célèbre le flamboiement de l'éphémère".
Les illustrations de Farida Benamar accompagnent ces poèmes tout à la fois pleins et vides de leurs calligraphies à l'encre de Chine, qui ne sont pas sans évoquer l'âpreté sauvage de la pierre
scarifiée (encore une fois, les "origines" !)
S'il faut lire ce recueil, c'est bien pour l'harmonie, l'"en marge", le dépassement des choses par les choses qui le traversent de part en part. Car il n'est pas loin d'atteindre à une sorte de
quintessence poétique (telle que, par exemple, la définirait quelqu'un comme le poète-éditeur-alchimiste Jean-Luc Maxence (*))
P.Laranco.
(*) voir, dans ce blog, l'article qui lui est consacré.