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Pour un management plus raisonnable par Alexandre Adjiman

Par Jean-Louis Renault

Étant un innovateur impénitent, et ayant exercé cette "activité" tant en entreprise qu'en qualité d'indépendant reconnu par les services fiscaux comme "inventeur", je suis toujours à l'affut d'histoires de produits t de réflexions autour de ce thème.

La créativité et l'innovation a toujours joué un rôle important dans le développement des entreprises, et de très nombreux experts en analyse des évolutions économiques s'accordent aujourd'hui pour dire que face à la concurrence des pays émergents, le "vieux monde" devra innover beaucoup plus qu'auparavant, pour continuer à tenir un minimum de place dans les échanges.

D'où un certain intérêt à réfléchir sur le lien management-innovation, objet de cet article.

Je vous raconte trois histoires qui se sont produites à 60 ans de distance, puis nous verrons quelles conclusions nous pourrions en tirer sur le plan du management de la créativité et sur celui du management en général.

La première histoire se passe aux Etats-Unis, en 1946. Une jeune femme du nom de Marion Donovan vient d'avoir son premier bébé, et vit ce qu'ont vécu beaucoup de femmes à cette époque, à savoir l'utilisation et les contraintes liées aux langes : bébé rarement au sec, lavage quotidien, séchage, repassage, rotation parfois trop lente du cycle en question, fatigue, etc. Elle se dit que ce n'est pas possible de continuer ainsi, il faut faire quelque chose. Elle crée un système comportant une feuille étanche et de l'ouate. En fait de faille étanche elle a utilisé de la toile de parachute! Son avocat lui conseille de déposer un brevet, ce qu'elle fait, et elle se rend ensuite chez les plus grands fabricants de langes américains.

Les divers experts en marketing, production, et autres managers, l'ont tous écoutée attentivement, et après étude, lui ont écrit que, finalement, il ne pouvait pas y avoir de marché pour son idée, car ils n'avaient décelé aucune demande de la part des mamans, qui achètent toutes leurs culottes (langes) et en sont très satisfaites. Heureusement, 10 ans plus tard un monsieur du nom de Victor Mills lui achète son brevet, et sort les premières couches culottes, qui s'appelleront un peu plus tard : Pampers!

Les deux autres histoires sont des témoignages vécus personnellement.

Je représentais à l'étranger un accessoire du téléphone portable, plus précisément un chargeur manuel de batteries, inventé par un ingénieur français qui m'en avait confié le développement. Pour ce développement je prends contact par téléphone avec le plus gros client potentiel pour ce genre de produit dans le pays, un opérateur de téléphones mobiles. Environ 300 magasins, bref : le leader.

A l'occasion de cet appel j'apprends qu'il existe justement dans cette entreprise un groupe, composé de personnes de divers départements, chargé d'examiner les produits nouveaux. "Quel plaisir !" me dis-je en moi-même : j'ai eu l'occasion de proposer des dizaines de produits nouveaux à des dizaines de sociétés, et c'est la première fois que je vois une telle démarche. D'habitude je rencontre le marketing, ou la direction commerciale, ou la production, et ça limite toujours un peu le dialogue. Il faut ensuite qu'ils transmettent aux autres départements, etc. Vous connaissez.

On me fixe rendez-vous rapidement (l'innovation n'attend pas), je me présente, j'expose les arguments, je montre le produit, je parle marché, prix de vente, marges, monopole (grâce au brevet), je réponds aux questions nombreuses et intéressées. En conclusion, j'informe le groupe que s'agissant d'un produit nouveau, je suis disposé à faire à mes frais un test sur quelques magasins, avec des hôtesses qui feraient la démonstration du produit aux clients, jusqu'à la vente: en clair je montre que j'y crois.

Fin de la réunion: on m'annonce une réponse dans 15 jours maximum. Fantastique! Vraiment novatrice à tous les niveaux cette entreprise.

Vous n'allez me croire, et c'est pourtant vrai: dans le délai annoncé, on m'informe que le groupe "produits nouveaux" s'est mis d'accord sur le fait que le produit étant encore inconnu du public, il lui paraissait difficile de le commercialiser. Ne souriez pas et réfléchissez, parce qu'un tel exemple s'est peut-être déjà produit pas loin de votre bureau.

Par la suite j'ai vendu le produit à plus de 3000 exemplaires, en moins d'un an, mais bien entendu j'aurai pu faire beaucoup plus avec ce partenaire.

Autre démarche, autre cas de figure. Je m'adresse au N°1 de la capsule de café (200 milliards de capsules écoulées par an) pour lui proposer un accessoire à ses capsules. Je téléphone: il faut envoyer un dossier. J'ai le nom et l'adresse de l'interlocuteur, j'envoie mon dossier. Je reçois rapidement une réponse de la personne : votre affaire est internationale, je transmets à mon collègue qui s'occupe de l'international. Je me dis que je suis sur la bonne voie: c'est vrai, c'est international, on a lu et compris mon dossier.

Quelque temps plus tard, je reçois une lettre accusant réception de mon dossier, avec remerciements et m'indiquant que la politique de la Société, c'est que les idées ne peuvent être émises que par le personnel de la société. Fermeture du dossier *.

Conclusion: depuis 1946 et la proposition de Mme Marion Donovan avec son idée de couches jetables, l'organisation des entreprises en matière de management de l'innovation ne semble pas avoir beaucoup évolué. Bien sûr, les entreprises innovent, de nouveaux produits naissent régulièrement, mais telle n'est pas la vraie question.

La vraie question est dans la nécessité d'innover encore plus que par le passé, car comme je le disais dans les premières lignes, la plupart des experts s'accordent pour dire que cela devrait être la priorité des entreprises pour faire face à la concurrence effrénée des pays qui ont soif de conquête de nouveaux marchés. : Chine, Inde, Corée, Thaïlande… Cela veut dire que si laisser passer des opportunités était sans véritables conséquences il y a 10 ans, aujourd'hui cela pourrait être fatal.

De plus je ne crois pas qu'il y ait pénurie d'idées. Les progrès de la technique sont tellement énormes, que les champs de créativité sont partout autour de nous. Un Japonais ne vient-il pas de démontrer la possibilité d'utiliser une imprimante à jet d'encre pour créer des nouvelles cellules humaines qui pourraient à terme permettre de créer peut-être des organes destinés à des greffes ?

En revanche, l'entreprise doit faire attention à ce que son organisation sache mieux qu'auparavant, saisir toutes les opportunités. Elle doit notamment examiner si par hasard ses collaborateurs ne freinent pas, consciemment ou inconsciemment, les idées nouvelles. Sont notamment visés tous ceux que l'on considère comme "experts", qu'il s'agisse de groupes, commissions, comités… ou d'individus. Car aujourd'hui, trop savoir n'est plus savoir :    "Au sein de cet environnement instable et turbulent, un seul élément reste constant: le changement" Dalaï-lama, 14e

Outre les rapports hiérarchiques ou de lutte interne d'influence des personnes et des groupes dans une société, qui jouent un rôle considérable dans les blocages, ce que nous savons limite bien souvent notre imagination. Tel est notamment le cas dans les exemples exposés ci-dessus, et vous en trouverez sûrement dans votre propre expérience, qu'elle soit professionnelle ou personnelle d'ailleurs.

Si le sujet vous intéresse, vous lirez avec passion "The innovation killer" de Cynthia Barton Rabe, une réflexion nourrie d'illustres exemples d'erreurs de jugement commises par de groupes de travail, composes d'éminentes personnalités au savoir mondialement reconnu, en raison soit de l'influence d'un expert, soit de la pression exercée par la majorité sur une minorité qui est dans "l'opposition" et qui s'en trouve bâillonnée.

Enfin, si vous croyez que l'innovation n'est pas seulement l'apanage de la production, mais qu'elle peut se trouver partout, dans les services et dans l'organisation des décisions en général, vous accepterez sans doute l'idée que beaucoup de choses sont à changer. Car l'organisation d'aujourd'hui est bien souvent encore celle de "l'abondance", celle où on pouvait encore se permettre de dire "je ne sais pas, donc je ne fais pas, je ne suis pas sûr, donc je n'y crois pas", ou, en exagérant peut être un peu "ce n'est pas mon idée, ce n'est pas une bonne idée".

Cette attitude n'est plus raisonnable, pour autant qu'elle ait pu l'être un jour! Le management raisonnable va consister à prendre quelques nouvelles précautions à l'égard de ce que nous savons, et de ceux qui croient savoir.

Dans son livre Mme Rabe suggère d'ailleurs de s'entourer de ce qu'elle appelle des "zero gravity thinkers" : ce sont des personnes qui, tout en ayant une certaine connaissance des sujets abordés par un groupe, en sont indépendants tant du point de vue de leur implication personnelle dans les décisions que du point de la connaissance. Zero gravity lui vient de l'idée que ces intervenants ne sont pas "lestés" par leur savoir et par leur dépendance à l'égard du groupe ou de l'un de ses éléments. Ils portent à la fois un œil neuf sur le contenu et l'objet des discussions, et une forme de "naïveté" à l'égard de ce qui est considéré comme acquis, et peut-être vont-ils bousculer des idées reçues sans même s'en rendre compte…

La prise de décision dans l'entreprise va devoir s'orienter très rapidement vers de nouveaux critères et par là même l'organisation de ces prises de décision. C'est sans doute par elle que devrait commencer la remise en cause. Car finalement, comme le dit le philosophe espagnol Daniel Innerarity : "les relations entre savoir et pouvoir doivent être repensées, puisqu'il faut désormais intégrer le non-savoir dans les prises de décisions".

Alexandre Adjiman

Auteur de "Quand je serai grand(e) je ferai…"

www.quand-je-serai-grand.fr

* puisque je n'ai pas cherché à me faire embaucher!


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