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Je n’étais pas assez talentueux pour courir et sourire en même temps.

Publié le 23 octobre 2008 par Vonsontag
Je n’étais pas assez talentueux pour courir et sourire en même temps.J'ai trouvé cette phrase sur le blog d'Assouline, c'est l'un des commentateurs qui la rapporte. Elle pointe un des traits de Zatopek, son inélégance dans la course. Enfant, j'avais une véritable passion pour la foulée de Juantorrena, un grand cubain, coureur de 800, qui arpentait les pistes avec un compas gigantesque et métronomique. Zatopek, c'était avant moi, c'était Mimoun, c'était le temps des sportifs cons qui ne faisaient que sportifs et pas philosophes ou homme-sandwich pendant leur temps libre.
Si on m'avait dit : "Echenoz va écrire un livre sur un coureur de fond", j'aurai parié mon slip sur le nom de Paavo Nurmi, le finlandais d'avant-guerre, ascète froid trempé à l'eau de glacier qui remporta tout ce qui se courrait sur plus de 1500 mètres entre 1920 et 1930. C'était un échassier, blond, ultra rigoureux. Un élégance froide à l'humour rêveur qui évoquerait facilement Echenoz lui-même. J'aurai parié sur lui, vrai de vrai.
Eh bien non, pas de Nurmi, pas de roi des savanes africain ou de prince de l'Atlas non plus mais Zatopek, Emile, canard grimaçant, emmêleur de pinceaux aux horloges asynchrones qui faisait perdre et le nord et la tête à ses adversaires, par ses cassures, ses changement de rythmes en course et son air de n'en plus pouvoir après 400 mètres. L'empereur Bon qu'à ça Ier. Ouvrier médiocre mais appliqué, nature fragile qui tousse dans les usines et fait des études pour moins tousser, se met à la course à pied pour faire plaisir à ses chefs, court pour se faire du mal et ça lui fait du bien, court encore pour faire plaisir à ses chefs, finit par déplaire à ses chefs qui l'empêchent de courir. Il est devenu endurant alors ça ne le tue pas. Il ne court plus, il pousse des wagonnets dans une mine. Réhabilité (un peu) il finira archiviste au ministère du sport.
Alors maintenant, je me demande pourquoi Zatopek ? On avait bien Mimoun. Pendant que le Tchèque remerciait la force d'âme que lui offrait le paradis communiste, notre petit moustachu chialait du "Général de Gaulle" à longueur d'interviews. On en avait des bien de chez nous, des sportifs cons, pas la peine d'aller en chercher chez les autres...
J'ai lu l'autre jour un article d'une connasse des Inrocks qui évacuait d'une seule phrase la possibilité de voir dans ce livre un nouvel autoportrait d'Echenoz (comme son Ravel) en coureur. Et pourtant, madame, si vous vouliez bien y regarder de plus près. Qu'est ce qui fait qu'Echenoz peut bien s'intéresser à Zatopek ? La génération, certes. Zatopek est au sommet de sa gloire internationale quand Echenoz à une douziane d'années, l'âge où on peut encore rêver d'être coureur de fond sans faire hurler ses parents. Mais encore ? La démarche ? Cette foulée élégante, cette gueule grimaçante, perpétuellement épuisée que trimballe Emile sur tous les tartans et les cendrées du monde, je suis certain qu'elle a quelque chose à voir, paradoxalement, avec l'obsession du style d'Echenoz. Cette triste élégance un peu maladroite qu'il trimballe sur ses photos, cet air un peu inquiet du mec bien content d'être célébré mais qui - à tout prendre - préfèrerait quand même être chez lui à ruminer. Les gloires les plus solides sont toujours plus belles en rêve. Courir est un portrait d'écrivain, comme chaque roman d'Echenoz d'ailleurs. Courir est un roman qui boîte. Courir change de rythme. Courir use l'adversaire. Courir épuise. Courir est parfois facile, s'offre de brêves roues libres et reprend le collier dans la montée, efface les faux plats et souffle plus fort mais tient bon. Ce destin d'Emile est un destin d'artiste, celui d'un facteur Cheval sans truelle, en chaussures de sport, qui fait de l'art en étant moche, malgrè lui.
Moi aussi je rumine. Contre la critique facile et pour la littérature. Comme Echenoz, j'ai le goût du style subordonné au contenu. Comme lui, j'aime Manchette. A la différence d'Echenoz, Manchette a tué en moi  l'envie d'écrire : à quoi bon désormais. Mais Echenoz à ceci de particulier, quand on le compare à Manchette, qu'il existe un vrai lien entre lui et ses personnages principaux. Les héros de Manchette sont de purs instruments romanesques, créatures mues par la seule volonté de leur auteur. Depuis Un an, je crois que se noue entre Echenoz et ses personnages un lien d'empathie qui, livre après livre, accroît l'attention que je lui porte. Dans ses romans, Echenoz est un dieu bienveillant qui veille sur ses personnages, s'y regarde et, j'en suis sûr, ne s'estime pas beaucoup plus pour ça.
Ce "supplément d'âme" (formule de merde mais je n'en trouve pas d'autre) est ce qui fera toujours d'Echenoz un grand romancier et des autres, si brillants soient-ils, des petits maîtres.
D'ailleurs, Courir, ce soir, je l'offre à ma femme.


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