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Vendredi 12 septembre 2008, Gubbio : un ministre n’efface pas les autres

Publié le 24 octobre 2008 par Memoiredeurope @echternach

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Je n’avais pas bien compris pourquoi la ville de Gubbio était dans une telle effervescence au point qu’il me soit difficile de loger sur place. Je ne regrette d’ailleurs pas de m’être retrouvé au milieu des vignes. J’aime la nature et les agritourismes italiens ont à cœur de mettre en avant des produits typiques et le calme des nuits. L’orage nocturne a quelque peu changé le temps, au point que l’étonnante chaleur des derniers jours vient de disparaître au profit de l’automne, mais la chambre de ce petit palais où j’ai passé la nuit qui commandait une exploitation agricole, mériterait qu’on y séjourne quelques jours si on souhaite se reposer, loin de tout. 

L’effervescence avait une origine. Samedi et dimanche a lieu un séminaire de Forza Italia que la radioradicale titre « Gubbio, sei anni dopo. Forza Italia per il Pdl : strumenti, tappe, obiettivi. » Si je traduis bien : Gubbio, six années après. Forza Italia pour le Parti de la Liberté : instruments, étapes, objectifs. La machine de guerre de Berlusconi en état de marche, avec ses messieurs milanais en cravate et costume, venant faire montre d’un fringant succès dans une terre plutôt à gauche et dans une ville carrément gérée par une majorité communiste refondatrice. Leur chef est en effet au plus haut dans les sondages et, comme en France, la gauche attend comme un soldat dans le désert, le moment où les Barbares vont apparaître à l’horizon. Malheureusement, les Barbares sont passés depuis longtemps et les fortins socialistes ne constituent, ni en France, ni en Italie, des prises de guerre très tentantes.

Titre de l’école de formation : « Le Parti de la Liberté et l’Italie qui change ».Combien de fois me faudra-t-il entendre que le monde change et que seuls les libéraux et les populistes y comprennent quelque chose ?En tout cas, mes partenaires de la Route de la Paix ont souhaité en profiter pour que le maire de Gubbio me ménage un entretien d’un quart d’heure avec le Ministre des Biens et Activités culturelles, Sandro Bondi, à qui était revenu l’honneur de structurer et de tirer les conclusions de cette école de formation du parti. 

La mairie de Gubbio est installée dans un très beau palais du Podesta, en face du Palais des Consuls, tous deux situés sur la terrasse de la Grande Place. Venir voir un ministre, comme un Podesta, mérite en effet l’expérience de la somptuosité, surtout quand celui-ci est venu du parti communiste, pour rejoindre le parti démocrate de gauche, avant de devenir le secrétaire de Berlusconi, de coordonner un livre d’images sur la vie publique et privée de son patron « Una storia italiana » et de prendre le poste de porte parole de Forza Italia. On lui doit également un autre ouvrage sur le pouvoir féminin et des poèmes dont les radios italiennes les plus critiques se plaisent à donner des extraits chaque matin pour provoquer un sourire ou carrément le rire.Dont celui-ci à destination de Silvio :

Vita assaporata

Vita preceduta

Vita inseguité

Vita amata

Vita vitale

Vita ritrovata

Vita splendente

Vita disvelata

Et cet autre à la mémoire de la maman de Silvio : Rosa Bossi-Berlusconi :

Mani dello spirito

Anima trasfusa

Abbraccio d’amore

Madre di Dio

Autrement dit :

Mains de l’esprit

Âme de transfusée

Etreinte d’amour

Mère de Dieu

Quinze minutes pour évoquer les itinéraires culturels italiens et l’importance de la Via Francigena pour une meilleure connaissance de l’identité des petites villes méconnues et de celle des pèlerinages religieux. Et un soutien de principe à la Route de la Paix.Un homme plein d’onction qui me semblait plutôt un évêque présidant une sorte de conclave où les élus attendaient beaucoup plus d’aide quant à la restauration des patrimoines que d’aura politique, comme si l’Italie était partie pour une longue période de fierté et de protectionniste contre l’Europe.

Dois-je dire que mon intervention sur les valeurs européennes de la route n’a pas vraiment suscité de réaction ?

Cela m’a fait souvenir des profils de différents ministres italiens que j’ai pu connaître ou rencontrer.

Je me souviens de la venue à Strasbourg de Antonio Paolucci en 1995 pour l’examen des politiques culturelles de l’Italie, au moment où il s’agissait de défendre la stratégie muséale encore un peu déficiente et le peu d’engagement de l’Italie en ce qui concerne les arts plastiques. Retourné à Florence au pôle muséal de la ville, après avoir occupé un poste exceptionnel pour mettre en œuvre la politique de restauration qui a suivi en 1997, le tremblement de terre qui a secoué la région où je me trouve et les Marques voisines, et en particulier Assise, il a rejoint il y a peu en situation de retraité les musées du Vatican et acceptera certainement de présider le Comité Scientifique de la Route de la Paix, d’après ce que me dit l’assessore de Cagli, Mazzachera aujourd’hui.

Je me souviens aussi de cette réunion somptueuse dans la Villa Torrigiani, près de Lucques où Maria Adriana Giusti qui enseigne aujourd’hui au Politecnico de Turin avait réussi à convaincre Vittorio Sgarbi en mai 2003 à intervenir dans une table ronde, alors qu’il était secrétaire d’état depuis quelques jours. Mais il n’avait pu résister à la « madone des jardins », selon ses propres termes. Un physique de Marcello Mastroianni entre deux âges, la mèche en bataille et toujours rejetée en arrière entre deux stances, il avait autant apprécié l’accueil de la Princesse Simonetta Colonna Torrigiani que les promenades nocturnes dans le jardin baroque éclairé de milliers de bougies. 

La vitesse avec laquelle il avait rabattu dans sa voiture une jolie écervelée me permet de mieux comprendre qu’il a fini par avouer deux enfants naturels en y ajoutant cette considération qui ne mérite peut-être pas la traduction : « Sono contrario alla paternità. Quella del padre non è une categoria a cui ritengo di dover appartenere. Ciò detto sono anche contrario all’aborto. Ci sono donne che hanno voluto figli da me, non io da loro perché non può esserci l’obbligo di diventare padre. »

Au fond je me demande par contre pourquoi je n’ai pas mieux connu deux ministres qui m’auraient certainement plus intéressés :  Francesco Rutelli, en charge du Ministère des Biens et Activités culturelles de 2006 au début 2008, ancien maire de Rome qui a fait beaucoup pour les itinéraires culturels en Italie et Walter Veltroni, ancien maire de Rome lui aussi, admirateur de Delanoë dont il a adopté la nuit blanche, candidat malheureux aux dernières élections italiennes, venu à la politique très jeune, dans les jeunesses communistes, chef de l’opposition et lui-même ancien Ministre de la Culture.

Deux hommes un peu interchangeables, comme les postes qu’ils ont occupés, complémentaires dans leurs convictions européennes, l’un démocrate chrétien et l’autre, leader du centre gauche, premier président du nouveau parti démocrate italien.

Mais en rédigeant cette revue un peu abrupte, je ne visais pas à tirer de leçon. Je ne souhaitais rien dire d’autre sinon souligner que dans l’activité que je mène, il faut prendre au sérieux ce qui n’est qu’un jeu des apparences, et mettre des distances avec ceux qui peuvent favoriser temporairement le chemin nécessaire.

Le concours des politiques est fait de rencontres et très rarement d’amitié.Et si le ministre actuel est poète et ami du Roi, il devrait se souvenir de la fable du « miroir et du masque » que Jorge Luis Borges raconte dans “Le Livre de sable”. 

-   A l’aube, dit le poète, je me suis réveillé en prononçant des mots que d’abord je n’ai pas compris. Ces mots sont le poème. J’ai eu l’impression d’avoir commis un péché, celui peut-être que l’Esprit ne pardonne pas.

-   Celui que désormais nous sommes deux à avoir commis, murmura le Roi. Celui d’avoir connu la Beauté, faveur interdite aux hommes. Maintenant il nous faut l’expier. Je t’ai donné un miroir et un masque d’or : voici mon troisième présent qui sera le dernier.Il lui mit une dague dans la main droite.

Pour ce qui est du poète, nous savons qu’il se donna la mort au sortir du palais ; du Roi nous savons qu’il est aujourd’hui un mendiant parcourant les routes de cette Irlande qui fut son royaume, et qu’il n’a jamais redit le poème. »

Est-ce que Berlusconi dira le poème, au moins une première fois ? 

Photographies : Assise dans la campagne, Villa Torrigiani en nocturne et coucher de soleil sur Rome


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