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Ouezzane (Maroc) : retour sur la rue des Ecoles.

Publié le 25 octobre 2008 par Pensezbibi

Rue des Ecoles Ouezzane (Maroc)

« En revenant dans la rue des Ecoles, rue de mon enfance, je m’étais attendu à voir une rue sous un soleil de plomb, des arbres vieillissants mais encore costauds, encore debout, ayant gardé leurs intervalles sur le bord du trottoir mais la rue avait changé.
J’avais gardé le souvenir aigu de cet arbre coupé court avec ces nœuds concentriques sur le tronc qui rappelaient un sexe féminin mais en avais-je claire conscience à cette époque ? Probablement non, mais j’avais retenu son dessin, son écorce ouverte, cet entrelacs de courbes creusées dans le bois tendre. Il y avait aussi ces deux vieux garages attenants, aux tôles ondulées, alignés côte à côte dans le renfoncement de la rue, deux enclaves qui servaient de cages de football. D’ailleurs le ballon est encore là, il va d’un but à l’autre sur ce terrain limité par la rue qui le coupe en deux. On s’arrêtait rarement dans la partie car il n’y avait pas beaucoup de voitures ou alors elles passaient sans vraiment que la partie ne s’interrompe. De ces jours, je ne crois pas avoir tellement aimé les jeux avec ballons. Une seule idée me reste en tête tandis que je remonte et descends la rue tant d’années après, c’est le constat du fabuleux pied gauche de mon frère qui aurait pu facilement devenir professionnel mais trouver à cette époque un manager ou un agent qui prît mon frère sous son aile tenait de l’impossible. Pour sortir de la ville, il fallait passer des montagnes désertes, traverser des champs inhabités, se préserver de la poussière soulevée par le chergui, ce vents chaud local. Nul n’imaginait que nous pouvions vivre ailleurs.
Ouezzane était le Monde, un Monde concentré, avec ses espagnols, ses juifs marocains, ses arabes, ses algériens, ses grecs. Comment aussi oublier cet hôtel et sa vieille marquise devant lesquels je passais souvent à bicyclette (j’y avais vu accoudée à la fenêtre une fille du Treize. J’étais retourné aussitôt chez moi pour chercher et trouver quel était donc le numéro de ce département français) ? Et comment ne pas se souvenir encore de cette église très moderne, au bout du square rectangulaire avec ses deux allées et ses contre-allées, de cette église anachronique qui laisse place aujourd’hui à une mosquée à moitié construite, mosquée qui attend l’argent des fidèles pour en finir avec son minaret.
Je vivais dans ce monde, il n’y en avait pas d’autre. Sur ce mince territoire qui englobait un bout de la zone du souk et tout le quartier européanisé, tout du Monde était là. Je garde l’impression que ce qui venait d’ailleurs était déjà là. Tout à côté, il y avait à Asjen un pèlerinage annuel des juifs du Monde entier venus rendre hommage à Rabbi Amrane Ben Diwan et à l’autre bout de la ville, sur le Jbel Bou Hellal, des hommages réguliers à Sidi Ben Chrif et aux Saints des Saints.
J’étais content lorsque je rencontrais des étrangers car c’était l’occasion de leur faire voir ce que nous avions. Et là, sans contestation possible, la nouveauté était pour eux. Nous écoutions sur le Normende les matches du Real et du Benfica, on était abonné à Tout l’Univers, à Spirou et à Miroir-Sprint, le magazine sépia que je dévorais dès que mon père en avait fini la lecture. J’appris confusément la mort d’une grande chanteuse, celle d’Edith Piaf le jour même du décès conjoint de Jean Cocteau. Ces noms ne me disaient rien, j’ai cru qu’ils étaient de ma famille tellement la peine était grande autour de moi. Est-ce à cet instant-là que j’eus conscience que nous étions – que j’étais - mortels et qu’il me fallait dans cette vie-ci prendre soin de mon corps même s’il n’était pas – surtout s’il n’était – pas malade ? J’étais dans la voiture des amis de mon père lorsque nous avons appris ce double décès. Nous descendions au terrain de volley-ball, l’activité sportive nocturne qui réunissait les différents mondes sous des projecteurs de fortune (à l’exclusion des pauvres du Souk). Le troisième décès tout aussi important fut celui du Président Kennedy. Mais l’Amérique pour moi, c’était un pays imaginaire, le pays des westerns et des films noirs de Ciné-club, films que Monsieur Bitton, chauffeur de car Rabat-Ouezzane, déposait à la porte de l’entreprise paternelle située au bout de la grande Place de l’Indépendance, antichambre du Souk et du lacis de ses ruelles. Depuis, Kirk Douglas, James Stewart, Richard Widmark et Steve MacQueen sont restés mes amis.
Pas un endroit au monde qui ne fut mieux informé que ce coin du Rif. Oui, c’étaient les étrangers qui avaient à apprendre en arrivant à Ouezzane ».


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LES COMMENTAIRES (1)

Par pierre20b
posté le 05 avril à 20:19
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merci pour cet article je suis né a ouezzane en 1941 j'y ai vecu jusqu'en 1960 j'eatis a l'ecole a la ville nouvelle mon maitre m.drillon

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