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Non, je ne prendrai pas l’avion

Publié le 26 octobre 2008 par Anne-Sophie

C’était décidé avant même que j’y pense. Lorsque l’envie m’est venue d’aller vivre avec une ethnie indigène vivant encore en harmonie avec la nature, je me suis tout de suite demandé comment je pouvais aussi rendre mon projet, “Le Peuple du Soleil“, plus éthique.

L’approche humaine est évidemment importante, mes attitudes pour entrer en contact se doivent d’être humbles, j’avais très envie de me retrouver dans cette situation de rencontre déroutante. L’aspect moins philosophique, l’approche très concrète du projet qui consiste en deux voyages en Laponie pour des durées différentes, devait donc aussi avoir un sens.

En effet, comment parler d’une peuplade qui vit beaucoup plus que nous le réchauffement climatique en contribuant à ce phénomène? Je comprends tout à fait que certains ne puisse s’en passer. Si Al Gore ou Nicolas Hulot n’avaient pas pris l’avion, les choses auraient beaucoup moins avancé dans le domaine de l’écologie. Mais parfois c’est aussi bon d’être en cohérence avec ses propos, sa pensée, ses actions. Quand je suis au volant d’une voiture, je ne suis pas tranquille et je cherche à me justifier s’il n’y a personne à coté de moi. Donc je ne prends plus la voiture. Je sais que ce n’est pas évident pour tout le monde, certains habitent à la campagne, d’autres ne peuvent pas faire sans.

Vers une certaine souplesse d’esprit

Je pose alors une question : dans combien de cas l’engin de déplacement que vous avez pris aurait pu être évité? Evité parce qu’on a avait oublié ça et du coup on est retourné à la maison; évité parce que finalement j’aurais pu faire du co-voiturage, mais je n’avais pas le temps de m’en occuper; évité parce que j’y suis allé mais j’aurais très bien pu m’en priver, c’était pas si grave que je loupe…

Dans beaucoup de cas, notre négligence (parce que nous avons le choix), notre manque d’effort (“oui mais si je dois penser à ça tout le temps”) ou notre envie (“après tout j’ai le droit, on va pas me faire ch***”), nous font véritablement polluer. Avant l’ère industrielle, moins de choix s’offraient à nous. Quand j’étais étudiant en école d’architecture, on nous apprenait à dessiner sur une feuille en papier Canson nos plans finaux ! Cela voulait dire qu’on avait aucune possibilité de rattrapper le coup car le Canson n’est pas comme le calque ou l’ordinateur. C’était donc une chose quasi-impossible, on fait toujours une rature, mais cela nous apprenait à faire attention.

Aujourd’hui, nous devons apprendre à faire attention et que cela devienne une souplesse pour l’esprit, non une contrainte.

Prendre le temps du voyage

Dans le cadre de mon projet, j’ai donc décidé de ne pas prendre l’avion, car l’avion pollue. On a beau compenser carbone, ça polluera toujours, donc c’est non, non et non. Et finalement quand j’y pense, c’était pas si long comme voyage, c’était juste quelques jours en plus. Prendre son temps pour franchir une étape est ce que j’ai appris de ce voyage. En effet, ici je suis dans le monde citadin du travail, je suis speed, je bosse jour et nuit, je sors, j’ai finalement très peu de temps pour moi. En Sàpmi (terre des Sàmis), on dirait que, soudainement, le temps s’est arrêté. Ou plutôt que j’ai franchi Stargate, la porte des étoiles, qu’on m’a débranché de la Matrix et que je suis arrivé dans l’Odyssée de l’Espace. Je flotte. Je flotte parce que c’est l’espace, l’apesanteur et tout…

Si j’imagine tout à coup que je décide de pas utiliser Stargate, la porte des étoiles, que je ne me débranche pas de la Matrix, je vais avoir un choque trop violent. En résumé si je prends l’avion, je loupe toute l’étape de transformation de moi-même et donc le passage dans cette nouvelle peau culturelle que j’essaye de revêtir pour mieux connaître et comprendre (qui est le travail d’ethnologie).

Le temps du voyage, je me retrouve. Je renoue avec ce moi intérieur qui a tant donné pendant ces semaines intenses de préparation et d’action. Je regarde par la fenêtre. Je dors. J’ose la discussion avec un inconnu. Je souris aux gens.

Alors quand j’arrive, je suis prêt à m’ouvrir “parce que ça forge de se taper autant de route” et parce que toutes les “programmations” que m’a inculquées la “Matrix Française” s’envolent. Je reconnais et suis alors mes propres codes du coeur.

Souvenez-vous cet été, j’ai mis 3 jours à atteindre Kautokeino en stop, à hurler sur le bord de la route parce que personne ne s’arrêtait, j’étais sous la pluie, grelottant de froid. Ensuite j’ai mis encore presque 3 jours pour atteindre les plateaux du cap Nord pour vivre un peu avec les éleveurs de rennes. Je n’étais pas pret à la rencontre encore. Ce temps-là de la route, du train, du bus, du bateau est important pour vivre pleinement l’expérience humaine. C’est le temps du lâcher-prise.

Liberté et organisation de vie

Une autre chose : l’organisation de sa vie. Souvent on pense qu’on doit faire ci ou ça parce que c’est dans la programmation de notre vie, de nos dates, de nos calendriers et qu’on a pas le choix puisque notre “métier” nous y oblige. Quelle mauvaise volonté, non ? Cela voudrait dire que je ne suis pas libre de mes actes ? Cela voudrait aussi dire que ma réussite individuelle passe avant la survie de l’humanité ? N’est-ce pas aussi une prétention de l’homme industriel (finalement néo-colon ?) que de pouvoir partir quelques jour à l’autre bout du monde pour visiter ? N’est-ce pas insolent ? J’ai décidé que je ne voyagerais plus comme avant.

L’avion à du bon : il a bousculé les frontières alors qu’elles étaient en train de se durcir après la guerre froide. C’est une richesse énorme de pouvoir être proche les uns des autres, c’est peut-être ce qui rend le monde plus humain… si tant est qu’on sache se parler alors que nos racines n’ont pas grandi dans la même terre.

1 trajet en avion x 1 milliards de personnes = les rennes vont avoir “la mort subite de chaleur”, c’est un calcule d’empreinte écologique.

Il nous faut repenser le voyage car voyager par la terre, c’est aussi prendre conscience que “le problème d’à coté” n’est pas si loin, que “le problème d’à coté”, j’en suis aussi responsable. La réalité est alors digérée dans le trajet du retour, à travers la vitre du train, je pense à cela. J’espère aussi que les Sàmis ont conscience du danger de ce bon vieux pétrole qui les menace plus vite que partout dans le monde.

Un glaçon dans un verre d’eau chaude, c’est l’image qui me vient… et j’ai peur. Cette peur m’empèche alors de polluer. Loin de devenir phobique, je structure ma vie avec ses nouvelles valeurs.

Avion = pollution = je fais autrement, sans même me poser la question.

Un trajet où l’on prend le temps permet de s’accoutumer à un nouveau climat, au travers des frontières on pénètre dans un autre état d’esprit. Se retrouver permet de créer alors de vrais liens.


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