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Pourquoi jaillit le profit ?

Par Jean-Louis Richard

Source J'entends dire d'un dirigeant qu'il (ou elle) est "bon" car il fait dégager par son groupe un "beau" profit. A l'inverse, tel(le) autre ne serait pas à la hauteur, au vu de résultats financiers décevants. C'est trop, ou trop peu, dire. Admettons, c'est aussi ma conviction, que l'impact du No 1 est majeur sur la façon dont l'entreprise génère ses profits. Qu'est-ce qui différencie vraiment l'auteur de profits exceptionnels de cet autre qui se contente d'équilibrer ou de ce troisième qui s'enfonce dans les pertes ?

Il est plus facile de passer en revue ce qui ne suffit pas à les différencier : l'âge, le sexe, le niveau d'éducation, l'origine culturelle ou sociale, l'intelligence, l'énergie, l'ambition, la diversité du parcours, la rémunération, la réputation auprès des pairs. Voilà des critères qui viennent à l'esprit, mais qui ne différencient pas les dirigeants sous l'angle qui nous intéresse.

On trouve autant de patrons très intelligents et créateurs de valeur que géniaux et destructeurs. L'âge, l'origine sociale ou le niveau d'éducation ne fournissent aucune corrélation claire. Pour certains critères, comme l'ambition, la rémunération ou la réputation, on observe parfois leurs excès associés à de pauvres résultats financiers, mais sans lien de causalité évident.

En parcourant ma propre galerie de portraits de dirigeants coachés et anciens coachés, je dois admettre qu'il existe une infinie variété de profils psychiques et de comportements associés, tant du côté des "excellents" que du côté des "insuffisants", sous cet angle de leur capacité à faire jaillir le profit.

Au moins deux facteurs peuvent aider à comprendre que des écarts importants séparent les performances des Numéros 1.

Les cas de Marc et de Gérard illustrent le premier facteur (les prénoms et d'autres éléments sont comme d'habitude modifiés pour préserver l'anonymat).

Marc a près de 50 ans, et Gérard 45 ans. Milieux modestes, belles études, ils se sont imposés par leur charisme, leur énergie et leur volonté. Ils font tous deux preuve de générosité, au sens où ils cherchent, et obtiennent, le bien commun, avant leur propre intérêt. Ce sont de brillants dirigeants, au sens où ils maîtrisent tous les savoir-faire de leur fonction. La carrière de Marc s'est accélérée plus tardivement que celle de Gérard : il est devenu No 1 à 45 ans, alors que Gérard a présidé son premier conseil d'administration à 35 ans. Leurs capacités à générer du profit sont très différentes. Gérard bat tous les records, de profits comme de pertes. A la tête d'une entreprise, et il en est à sa quatrième, il sait comme personne générer 20% de profit, même si ce profit est parfaitement inutile. Mais il peut tout autant brûler ses réserves dans des déficits incomblables avant de partir dans un grand fracas. Marc, au contraire, a toujours atteint ses objectifs, en les dépassant parfois, avec une belle régularité. Et il ne génère que le profit qu'il ressent fondé et nécessaire à préparer l'avenir.

Là où Marc et Gérard se distinguent le mieux, c'est face à un collaborateur qui n'est pas de leur avis. Marc écoute, cherche, s'appuie sur le lien de confiance établi de longue date avec son interlocuteur. Au final, la décision prise est souvent très différente des positions d'origine, et chacun a le sentiment d'avoir gagné à la confrontation. Gérard au contraire prend vite la mesure du fossé qui sépare les positions. Il fait changer d'avis son interlocuteur, ou lui impose le sien, sans s'éterniser dans ce qu'il croit être de vaines discussions.

Ce qui distingue Gérard et Marc, c'est la façon qu'a chacun de nouer et développer un lien fraternel et productif avec une grande variété d'individus, dans une vaste étendue de contextes. Marc est devenu un tout-terrain à la tête d'une horde improbable, Gérard s'imagine encore comme une Formule 1, incomparable sur son circuit.

Pierre et Jean-Jacques nous fournissent le second facteur.

Pierre a 50 ans, Jean-Jacques 55. Tous deux de bonnes familles, ils ont réussi dans de grands groupes de cultures assez proches, l'un et l'autre dans un climat de stabilité. Ingénieurs et titulaires de MBA américains réputés, ils ont cette aisance du patron international qui en impose. Auprès de leurs collaborateurs, ils développent, chacun à sa façon, des liens intenses, comparables à ceux que crée Marc. Pierre est adulé par ses collaborateurs, il s'en amuse, reste modeste et proche de chacun. Jean-Jacques est reconnu comme un très grand patron. Il vit, en ancien rugbyman, la chaude intimité des groupes dans lesquels il intervient, toujours avec un très fort impact. Pierre et Jean-Jacques obtiennent des résultats financiers comparables quand ils bénéficient des mêmes environnements. Dans une conjoncture courante, Ils sont très proches. C'est lorsque les vents leur sont contraires que tout les oppose : la belle mécanique de Jean-Jacques se grippe, ses résultats chutent, et il doit déployer des trésors d'ingéniosité pour se tirer de ce mauvais pas. Le métier de Pierre n'est pas plus à l'abri que celui de Jean-Jacques, même un peu moins. Lui aussi a rencontré des imprévus, et chaque fois il les a mystérieusement transformés en occasions de croissance, puis de nouveaux profits. Jean-Jacques ne navigue bien que poussé par le vent. Pierre sait comme personne louvoyer contre, au point de passer pour un sorcier dans son secteur.

Pour bien comprendre ce qui différencie Pierre de Jean-Jacques, il faut leur soumettre un problème farfelu. Quelque chose qu'ils n'ont jamais envisagé, du neuf de chez neuf. Par exemple comment ils feraient pour absorber une entreprise dix fois plus forte que la leur. Ou comment ils gèreraient leur entreprise cloués au lit dans une clinique suisse, à raison de cinq heures de travail par semaine. Jean-Jacques reste poli, mais il déteste ce genre de devinettes. Il peine à trouver des réponses originales, et préfère se replier sur des problèmes précédents. Chez Pierre, au contraire, c'est un festival de créativité. Il répond en imaginant trois autres situations encore plus farfelues, agite des hypothèses en tous sens et finit par retomber sur ses pieds en enrichissant son questionnement de tous les jours.

La capacité développée par Pierre, et bridée chez Jean-Jacques, c'est l'agilité psychique, cette mobilité du judoka qui se sert des forces extérieures pour arriver à ses fins. Jean-Jacques se sert de ses seules forces, et de celles de son équipe, pour arriver au résultat. Pierre sent d'instinct le frémissement du système qui l'entoure, et change la donne pour arriver à un tout autre résultat d'une nouvelle manière quand l'environnement le surprend.

Chacun de nous connait des dirigeants qui cumulent la fraternité de Marc et l'agilité de Pierre. Sont-ils nés ainsi ? Certes non. Pour en avoir connu beaucoup, je peux attester que la plupart, au fil de leur vie, ont dû développer ces deux capacités en se remettant en question.

C'est d'ailleurs pour cela qu'il serait vain de classer les futurs dirigeants sur ces deux dimensions. C'est souvent celui ou celle qui semble à 30 ans le moins agile ou la moins fraternelle qui a le plus fort potentiel, prêt à s'épanouir le moment venu. Gérard et Jean-Jacques, qui ont chacun fait des progrès qui les ont étonnés, peuvent en témoigner.

Bien sûr, cela complique la sélection des futurs dirigeants. Tant mieux, car les meilleurs n'ont besoin de personne pour être détectés. Ils surgissent au moment où on les attend le moins, justement parce qu'ils sont devenus agiles à l'âge ou d'autres se cristallisent. Ils font l'unanimité grâce à leur nouvel appétit de fraternité quand leurs concurrents d'hier restent à l'abri de leurs réseaux.

L'avantage, avec ces deux facteurs de différenciation, c'est qu'ils offrent un champ de travail et de progrès illimité : qui peut croire être arrivé au plus haut degré d'amour professionnel de l'autre ou d'agilité face à l'incertain ? Quel est le prochain seuil qu'il vous faudra franchir pour repousser vos propres limites de dirigeant ? La réponse n'appartient qu'à vous, et ce n'est pas la moindre de vos responsabilités.


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