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Sur quoi fondez-vous votre autorité?

Par Jean-Louis Richard

Autorit_2 Eh oui... l'autorité. Parlons-en. Qu'on la baptise leadership, envergure, poids ou charisme, l'autorité reste cette force d'attraction qui réunit les groupes. Dans l'entreprise, il n'y a qu'un No 1 mais mille autorités s'articulent pour élaborer l'action.

A 30 ans, un responsable d'unité croit fonder son autorité sur sa compétence et l'énergie qu'il dépense. A 40 ans, l'homme de métier qu'il est devenu s'appuiera davantage sur ses réseaux, son expérience et son image.

A 50 ans, c'est devenu un patron, avec tous les attributs du pouvoir, davantage de recul, d'écoute et une autorité "naturelle". Est-ce si simple?

L'autorité semble impalpable : la définir c'est la nier puisque la véritable autorité se passe d'explications. Ce qui la fonde résulte aussi de son exercice, en une boucle qui nous interroge. Quels rapports entretient donc l'autorité avec le pouvoir, la séduction, l'exemplarité ou la vision? Comment s'invitent les réseaux non moins denses des désirs des uns face aux volontés des autres? Et au fond de celui ou celle qui exerce l'autorité, quelles forces sont en jeu?

Patrick a 42 ans. Vif, énergique et avenant. Il remplit l'espace de ses paroles, sans douter un instant de ce qui l'anime. Au travail, il s'active 7 jours sur 7 et entraîne ses collaborateurs et collègues dans un rythme insensé. Ses résultats sont bons, on peut juste se demander si ils sont à la hauteur des dépenses d'énergie engagées pour les obtenir. Patrick aimerait bien fonder ce qu'il estime être son autorité sur l'homme au travail qu'il montre. Il est en effet compétent, il maîtrise tous les outils du cadre supérieur, il sait s'exprimer, convaincre, arbitrer et engager sa responsabilité. Il fixe les objectifs de chacun de ses collaborateurs directs et sait comme personne contrôler, récompenser et sanctionner. Oui, mais non. Patrick sait bien qu'il n'est pas cet homme qu'il montre. Le regard de Patrick traduit bien qu'il ne sent au fond de lui aucune autorité, ni sur lui, ni sur qui que ce soit. Il n'a jamais davantage ressenti ni accepté une quelconque autorité "d'en haut". Il est au lieu de cela dans une course folle vers ce qui lui manque, et qu'il peine à nommer.

Pour ceux que le sort de Patrick inquièterait (quelle subite générosité?), rassurez-vous. Six mois de travail lui ont permis de dénouer ce qui lui pesait pour découvrir sa forme bien à lui d'autorité et de rapport aux autres, sans avoir besoin de se consumer à côté. Sa vie professionnelle en a été bouleversée. Ce que son histoire nous rappelle c'est que l'autorité ne peut se fonder sur aucun rituel, si perfectionné soit-il. Si le regard des autres est nécessaire pour que l'autorité y soit reconnue, donner à voir l'image de l'autorité ne la crée pas. Décider, déléguer, bâtir des plans ne sont que la partie émergée de ce qui anime le manager. C'est sans doute là que l'autorité sert à quelque chose, ce n'est pas là qu'elle prend sa source.

Bruno a 51 ans. Le meilleur patron d'usine de sa génération, brillant, posé, il a su évoluer dans les strates supérieures de sa multinationale. Tout ce qu'il touche devient or. Bruno est adoré par ses patrons, dont il a plus d'une fois fondé la réussite. Bruno est exemplaire. Il aimerait croire que son autorité en découle, d'ailleurs ses collaborateurs voteraient pour l'élire No 1 sans hésiter. Pourtant Bruno n'a pas réalisé son désir professionnel le plus ancien : racheter une entreprise de son secteur et en devenir le patron. Au fil de son travail, Bruno va comprendre qu'il a cherché à éluder des interrogations très anciennes. Son autorité est, sous sa forme actuelle, la moins pire des solutions, loin de celle dont il aurait besoin à la tête de son entreprise, et par voie de conséquence de l'autorité qu'il lui faudrait pour davantage contribuer au succès de son employeur actuel.

Passons sur la suite qui a été pour Bruno un long parcours. Il nous rappelle qu'être efficace et productif ne confère aucune autorité. C'est faire le travail pour lequel on est payé. Cela conduit juste ceux qui ont de l'autorité à désirer s'approprier ladite production. Quant au vote "démocratique" des collaborateurs, si même il était recevable, il dénote que le pouvoir n'est pas forcément dans le sens que l'on croit.

Solange a 37 ans lorsqu'elle décide de se faire accompagner à titre personnel, car elle souhaite pouvoir quitter son entreprise. Fondée de pouvoir d'une banque réputée, elle fait autorité dans son domaine. Ses projets sont toujours menés à bien, ses équipes aiment l'association de pression et d'affection qu'elle dégage. Mariée, deux jeunes enfants, une vie privée satisfaisante quoique très encombrée de ses exploits professionnels. Très vite, Solange exprime sa souffrance de femme dans un monde d'hommes dont les clés semblent lui échapper. Rien de ce qu'elle a obtenu ne lui a été donné facilement, elle a tout arraché à la force du poignet. Elle a gravi tous les échelons, mais se sent prise à son propre piège : comment remettre en jeu l'autorité qu'elle croit détenir dans un nouvel environnement où, une fois de plus, des années d'efforts lui seront nécessaires pour se faire une place? Lui faudra-t-il à nouveau endurer la pression que, cette fois, son mari et sa famille ne supporteraient plus? Solange s'est bien construit une certaine autorité, mais en composant si habilement avec ses noeuds personnels et la formation de son identité de femme qu'elle n'a obtenu qu'un résultat fragile, et limité à son histoire professionnelle bien spécifique.

Une année plus tard, Solange quittera son premier et unique employeur pour faire sa place dans une nouvelle organisation, sur la base de son autorité retrouvée de femme -presque- mûre, avec ses forces et ses doutes. Chacun peut, comme elle, s'ancrer dans la forme d'autorité qui émane en droite ligne de la personne qu'il ou elle est, et de la texture particulière qu'il ou elle sait imprimer à ses liens à chaque autre professionnel. Cette autorité-là se reconnait du premier coup d'oeil : elle ne s'autorise de rien d'extérieur, elle est là, tout simplement. Elle s'exprime à nu dans la profondeur de chaque lien à l'autre, au fil des désirs réciproques et contradictoires et de leur destin commun. Pensez-vous que vous devriez vous conformer à tel ou tel standard dans vos relations et comportements, pour fonder votre autorité ? Ce n'est pas une tâche impossible, mais quelle dépense d'énergie inutile quand vous pourriez juste agir selon vous-même! Cela nécessite souvent une revisite de ce qui, tout au long de la formation de votre identité, vous a conduit à sédimenter ainsi les copies, en oubliant l'original. Cette nature profonde révèle de multiples facettes : le rapport à l'autre sera plus ou moins enveloppant, pénétrant, confrontant ou indirect, l'assise personnelle sera plus ou moins secrète, ouverte ou autonome. Peu importe, puisque chacun porte en lui une forme d'autorité largement suffisante à la plupart des situations professionnelles, qui ne sont pas, loin s'en faut, les plus vastes défis d'une vie d'homme ou de femme.

Marc a 59 ans lorsqu'il commence son travail sur lui. Grand professionnel, il est un numéro 2 qui s'ignore dans un grand groupe. Malgré ses qualités, il s'est toujours efforcé -avec succès- d'éviter le poste de No 1. Même être numéro 2 lui fait peur, et plus il se réfugie dans un activisme rare pour son âge, plus il fait l'unanimité par ses résultats professionnels, dans une spécialité où il excelle. Marc va découvrir la bulle dans laquelle il s'est soigneusement enfermé. Il va découvrir aussi pourquoi et comment il se réfugie dans diverses addictions, pourtant banales à première vue, pour éviter de faire face à des sentiments qu'il croit ne pas pouvoir gérer. Après des mois d'archéologie de ses racines professionnelles et personnelles, un autre homme, beaucoup plus posé, libre et assumant sa place de clé de voute de son entreprise, va apparaître. Juste à temps pour aider son patron, donc son entreprise, à se sortir d'une mauvaise passe.

L'histoire de Marc illustre comment l'autorité peut aussi prendre sa source dans le système humain de l'entreprise. Marc va bientôt accepter d'apparaître, non comme le No 1, mais comme un fondateur, au sens où la plupart des règles de fonctionnement interne du groupe émanent de lui. Sans le savoir, Marc a bâti une autorité systémique. Ce type d'autorité s'auto-alimente dans une boucle permanente. Elle se lit dans l'histoire, c'est l'autorité de celui-là même qui fonde, au sens où il crée, régule, répare le système au sein duquel chacun, parfois y compris le No 1 officiel, apporte sa contribution. Elle se nourrit des secrets partagés ou non. Elle est aussi parfois l'autorité de celui ou celle qui, seul, a cette capacité de faire face à la réalité extérieure que tout le reste de l'organisation a perdue dans un commun évitement. L'autorité systémique contient toutes les autres autorités, et celui qui la détient enveloppe ses collègues sans les posséder ni les étouffer. Il parle au nom de l'entreprise et tous les autres parlent en terminant ses phrases. Comme tout système, une entreprise a besoin d'une peau extérieure et donc d'un contenant, et c'est ce qui fonde cette forme irrépressible d'autorité.

Vous pouvez multiplier les exemples en observant autour de vous. Vous constaterez que l'autorité, telle une pierre précieuse, ne livre son secret par aucune de ses multiples et mystérieuses facettes. Bien au contraire, plus elle se manifeste sous des abords différents, moins elle se laisse analyser, et c'est tant mieux. Comprendre l'autorité serait refuser de la comprendre. Un regard en dit plus long sur l'autorité que tous les discours.

Restent quelques fruits de la pratique. La bonne nouvelle est que chacun peut trouver, dans son authenticité d'homme ou de femme, dix fois plus d'autorité massive et vraie qu'il n'en aura jamais besoin dans son parcours professionnel. Nul besoin de chercher à l'extérieur ce qui est déjà à l'intérieur.

Cette autorité personnelle doit parfois s'associer à l'autorité systémique, qui agit comme un bras de levier pour soulever l'entreprise. Dans ce cas, les plus intenses leaderships s'épanouissent, pour le plus grand bien de la collectivité et de celui ou celle qui assume ce pouvoir.

Vous ne saurez jamais assez sur quoi se fonde votre autorité, mais plus vous travaillerez à dénouer les fils de votre vie et de votre image professionnelle, mieux vous userez de ce que vous possédez déjà, en vous ou au travers du système, sans le savoir, ou sans en avoir encore besoin. Et lorsque vous aurez suffisamment labouré cette terre, la question du fondement de votre autorité ne se posera plus!


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