L’Occident est prosélyte. Il se croit la pointe avancée du développement humain dans le monde actuel et veut imposer aux autres sa conception des choses. Il a réussi à ce que personne ne meure plus de faim : il veut aider au « développement » ; il a réussi à produire bien et neuf : il veut imposer son modèle économique (même en ruines…) ; il a réussi à ce que tous les adultes peu ou prou puissent changer leurs dirigeants dans les urnes sans contrainte : il veut imposer partout la « démocratie » ; il a réussi à créer une culture riche, originale et critique : il veut qu’elle soit « universelle ».
Il est généreux de vouloir que tout le monde soit prospère, dynamique, consulté et civilisé. Un tantinet impérialiste aussi - après tout, le yogi vêtu de vent qui médite dans la nature est-il moins heureux de vivre ? Ou le nègre nu chassant dans sa forêt ? Ou le « mendiant orgueilleux » déraciné du Caire, vivant d’écriture dans son hôtel depuis un demi-siècle ? L’« aide » occidentale privilégie deux formes : la démocratie (politique) et le développement (économique), la culture n’étant que le paravent de l’un ou l’autre.
La « démocratie » a perdu de son attrait mondial à cause de l’échec américain en Irak, de la difficulté de trouver des démocrates en terre d’islam, de l’incapacité d’un régime démocratique à s’implanter dans des sociétés qui ne font pas société, et dans la position de force des pays pétroliers à conserver la rente pour leur élite restreinte. Tous les porte-parole de « la démocratie » ont été là-bas, d’une façon ou d’une autre, identifiés à l’Occident ; il suffit d’être anti-occidental pour mille raisons (revanchisme post-colonial, jalousie de sous-développé, fierté nationaliste, militantisme religieux, dégoût pour l’étalage commercial et pornographique, etc.) pour être de facto anti-« démocratique ».
Qu’est-ce alors que le « développement » démocratique ? Dans aucun pays musulman le jeu politique ne s’est ouvert aux partis non-islamistes. Pourquoi donc privilégier les autocrates aux théocrates ? Est-ce cela, notre conception cynique du « développement » ? Pourquoi ne pas parler d’intérêts tout crus – énergétiques, anti-terroristes, d’exportation, de contrôle de l’immigration ? Ce serait plus honnête et moins « colonialiste ».
Quant aux pays sans Etat, les élections ne font qu’apparence démocratique – on le voit chez le Zimbabouin-en-chef qui persécute, emprisonne et menace de coup d’Etat militaire toute opposition qui « oserait » remporter une élection contre lui-le-grand-chef-père-de-l’indépendance. Pourquoi parler d’« aide » alors qu’il faudrait soit une réelle non-ingérence (position chinoise et russe), soit un protectorat en bonne et due forme (que le Machin est incapable de concevoir) ? Les urnes ne sont pas le nec plus ultra de « la démocratie » dans les sociétés où le concept même d’Etat ou de droit n’existe pas - voir Haïti après le Zimbabwe.
Les autocraties assises sur les champs de pétrole ou d’autres matières rares n’attendent en rien une quelconque « aide » internationale. Les « fiertés » nationalistes comme le Pakistan (« pays des Purs ») préfèrent la bomba atomique au développement de leur population. Partout l’intérêt commande : l’élite rentière au pouvoir ne compte en rien le partager. Elle utilise pour calmer la population la redistribution des ressources via des importations subventionnées et des infrastructures – mais elle cherche à tout prix à empêcher qu’émerge une classe d’entrepreneurs qui, vivant du fruit de leur travail, seraient assez indépendants pour accumuler richesse et pouvoir en dehors du parti autorisé ! Dès lors, que signifie « aider », sinon favoriser les États mendiants ? Répondre au “culte du cargo” ?
De même qu’il ne suffit pas d’incantations à la démocratie pour qu’elle s’implante, l’argent ne crée pas le développement. Il y a de l’argent en Arabie Saoudite, en Chine, en Angola – grâce au pétrole. Ces pays sont-ils « riches » et les populations « développées » ? Ce qu’on appelle « le développement » est un processus auto-entretenu de création de richesses par l’initiative (individuelle ou d’Etat). Les chefs de clans, les militaires de caste, les seigneurs de la guerre, les propriétaires terriens, et autres chefs religieux des pays traditionnels laissent la place - dans les pays enfin développés - aux entrepreneurs, aux représentants élus, aux leaders de partis politiques, aux individus. Le bon plaisir laisse la place au droit et les clans à l’Etat. A ce titre, la Chine reste « en développement », l’Arabie y a semble-t-il renoncé au profit de la persistance du régime féodal, je ne parle même pas de l’anarchie en Angola. Déverser de l’« aide » n’aide en rien les populations à émerger au droit ou à créer un Etat. Infrastructures, Investissement, Innovation et Institutions sont les quatre « i » du développement. Nulle économie ne naît sans société organisée, ni sans droit assuré par un Etat. Pour cela, il faut le vouloir collectivement et nul Occidental extérieur ne peut remplacer la société locale pour le faire.
Pourquoi ne pas parler de « charité » plutôt que d’aide au « développement » ? Il s’agit bel et bien d’aide directe aux gens pour qu’ils mangent à leur faim, disposent d’un puits et de quelques cabanes – pas d’aide à un quelconque « développement » qui, lui, fait appel à la société, à l’économie, à l’Etat. L’humanitaire ressort d’un sentiment, pas d’une “aide au développement”. Ce n’est pas pour cela qu’il ne faut pas la faire - mais il ne faut pas se payer de mots !