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Les photos de Lee Miller

Publié le 30 octobre 2008 par Edgar @edgarpoe
Lu dans Le Monde un article sur des photos de Lee Miller. Cette photographe de mode a ramené des clichés de la libération de Buchenwald, qui figurent dans une exposition consacrée à l'ensemble de son oeuvre.

Petit détail, les photos de camps de concentration n'ont pas été exposées telles quelles, comme les autres photos, mais reproduites comme sur les magazines dans lesquelles elles ont été publiées.

Explications du commissaire de l'exposition : "Je ne me sentais pas à l'aise à l'idée de montrer des photos aussi horribles avec une approche esthétique, au côté de chefs-d'oeuvre surréalistes soigneusement encadrés, prêtés par les plus grands musées. J'ai préféré donner le contexte de leur publication." Il ajoute, ravi : "D'ailleurs, ces images ainsi présentées n'ont suscité aucune polémique."

La directrice de l'exposition enfonce le clou : "La mise en page et le texte d'origine sont essentiels pour lire et comprendre ces photographies. Il est important de faire la différence entre ces images de guerre destinées à être publiées, et les expérimentations formelles auxquelles Lee Miller s'est livrée par le passé."

Quelle erreur ! Comme si la photo ne devait jamais remuer des souvenirs douloureux, comme si jamais un artiste ne devait perturber son public autrement que par des provocations bébêtes toutes répéttives après l'urinoir de Duchamp.

Le fait de publier ces photos sur des pages de magazine plutôt que dans leur format normal est une façon de rassurer le spectateur, de dater l'horreur de ces images pour le convaincre "qu'aujourd'hui ça n'existe plus".

Quelle baffe à Lee Miller elle-même, qui écrivait, à propos de ces photos « je fais des documents, pas de l’art » (lire un bon article sur une de ses photo de gardiens de camp à Buchenwald). C'est une façon de lui donner raison, soixante anées après, elle qui écrivait à son magazine, en envoyant ses photos : " Je sais que vous ne montrerez pas mes clichés". Elle avait tort sur le moment, mais raison aujourd'hui : ces photos ne sont plus montrables sans un cadre destiné à alerter le spectateur sur l'historicité de ces documents.

Cela me rappelle la controverse à propos des photos d'André Zucca dans l'exposition "les parisiens sous l'occupation" (lire le commentaire de l'exposition chez Embruns, qui concède que le titre est mal choisi mais que l'exposition n'était pas ambigue, et lire aussi son récit de Paris sous l'occupation, illustré des photos de Zucca).

Il avait été reproché aux organisateurs de l'expo de ne pas avoir assez prévenu les spectateurs du fait que Zucca avait publié dans Signal, revue collaborationniste. Pourtant, les photos de Zucca étaient parlantes. Les passants ont l'air inquiet, quand ils n'ont pas une étoile juive et se hâtent de traverser la rue sous l'oeil du photographe ; et les images de drapeaux nazis éclatants dans Paris suffisaient à frigorifier quiconque.

Je suis perplexe devant de telles précautions. On a l'impression que le spectateur n'est admis à se faire sa propre opinion qu'à regret, que les organisateurs de ces événements, ou qu'une partie de la conscience collective, souhaiteraient réserver ces souvenirs à l'interprétation savante. Je crois pour ma part que les passants d'aujourd'hui sont adultes et aptes à juger par eux-mêmes de la portée de ces photos. Et le sucès des Bienveillantes est là pour confirmer que le public veut comprendre.

*

Je fais un lien entre ce type de comportements et les vendeurs d'Europe, qui, à grand coup de marionnettes et de propagande bétifiante, essaient de nous faire oublier qu'il s'agit de démocratie et de raisons d'Etat, et que la plupart du temps ces affaires là sont douloureuses, et difficiles. Un anti-européen avant moi avait une autre exigence vis-à-vis de l'information à apporter aux citoyens et une haute idée de la capacité du citoyen moyen à comprendre les enjeux du monde.





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