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La route du Nord et les “notables”

Publié le 30 octobre 2008 par Jlhuss

Après Arion , continuons avec un beau texte.  Ça nous change des “gros titres” ! Mais, cette fameuse “route du nord” est-ce la bonne? Le Clézio et le “dialogue Nord-Sud”

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La mort est venue. Elle a commencé par les moutons et les chèvres. les chevaux aussi, qui restaient sur le lit de la rivière, le ventre ballonné, les pattes écartée. Puis ce fut le tour des enfants et des vieillards, qui déliraient et ne pouvaient plus se relever. Ils mouraient si nombreux qu’on dut faire un cimetière pour eux, en aval de la rivière, sur une colline de poussière rouge. On les emportait à l’aube , sans cérémonie, emmaillotés dans de vieilles toiles, et on les enterrait dans un simple trou creusé à la hâte , sur lequel on posait ensuite quelques pierres pour que les chiens sauvages ne les déterrent pas.

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C’était la faim qui rongeait les hommes et faisait mourir les enfants…. Chaque jour, le grand cheikh envoyait ses guerriers devant les murs de la ville, pour demander de la nourriture et des terres pour son peuple. Mais les notables promettaient toujours et ne donnaient rien. Ils étaient si pauvres eux-mêmes, disaient-ils. Le pluies avaient manqué, la sécheresse avait durcit la terre, et les réserves de la moisson s’étaient épuisées. Quelque fois,le grand cheikh et ses fils allaient jusqu’aux remparts de la ville; pour demander des terres, des semences, une part des palmeraies. Mais il n’y avait pas assez de terres pour eux-mêmes, disaient les notables, de la tête du fleuve jusqu’à la mer les terres fertiles étaient prises, et les soldats des Chrétiens venaient souvent dans la ville d’Agadir, ils prenaient pour eux la plus grande part des récoltes […]
Alors quand il a compris qu’il n’y avait plus rien à espérer, qu’ils allaient mourir tous, les uns après les autres, sur le lit brûlant de la rivière, devant les remparts de la ville impitoyable, Ma el Aïnine a donné le signal du départ vers le nord […]
“La route ! La route du Nord !”   […]
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Les Sénégalais tirent genou en terre, puis ils courent, baïonnette en avant. […] Les soldats débusquent des hommes bleus partout; mais ce ne sont pas les guerriers invincibles qu’on attendait. Ce sont des hommes en haillons, hirsutes, sans armes, qui courent en boitant, qui tombent sur le sol caillouteux. Des mendiants, plutôt, maigres, brûlés par le soleil, rongés par la fièvre, qui se heurtent les uns aux autres et poussent des cris de détresse, tandis que les Sénégalais, en proie à un vengeance meurtrière, déchargent sur eux leurs fusils, les clouent à coup de baïonnette dans la terre rouge. …
Partout les corps des hommes bleus jonchent le sol. Les derniers coups de feu résonnent, puis l’on entend plus rien, à nouveau le silence torride pèse sur le paysage.

Jean-Marie Gustave Le Clézio, Prix Nobel de littérature. [Désert ]

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