Magazine

Mefistofele 1

Publié le 31 octobre 2008 par Porky

Walter Legge (illustrissime mari de l'illustrissime Elisabeth Schwarzkopf) disait de Mefistofeleque c'était un des plus mauvais opéras qu'oreille humaine pouvait supporter (ou quelque chose de ce genre, d'aussi sympathique). Affirmation qui tend à prouver qu'on peut être un homme remarquablement intelligent et un très grand professionnel et dire de grosses sottises... Il est vrai qu'il y a certainement moins hétéroclite dans le genre, peut-être plus musical, mais de là à jeter l'oeuvre à la poubelle, non, non et non.

Réfugions-nous pour défendre notre position sous l'autorité de George Bernard Shaw. Voici ce qu'il écrit : "Nous nous passerions plus volontiers de La Traviata que de Mefistofele." Peut-être exagère-t-il un peu...  Mais il trouvait La Traviata simpliste et mélodramatique sauf par la musique alors que le Mefistofele de Boïto présentait de la recherche, de la finesse, de l'imagination. Et Boïto n'était pas dépourvu d'originalité intellectuelle. A la fin du 19ème siècle, ce fut lui qui théorisa le plus dans le monde musical et littéraire italien.

Mais qui était Arrigo Boïto, compositeur de Mefistofele, librettiste du Falstaff de Verdi, de La Gioncondade Ponchielli ? Né le 24 février 1842 à Padoue, fils d'une comtesse polonaise (Giuseppina Radolinska) et de Silvestro Boïto, peintre miniaturiste, il grandit à Venise dans une gêne financière due au fait que Silvestro Boïto quitta assez vite la Comtesse pour aller faire sa vie ailleurs.  Grâce à une bourse, Arrigo Boïto entra au conservatoire de Milan et en sortit quelques années plus tard bardé de prix et de médailles. Puis il partit faire un an d'études à Paris et en Allemagne. L'avènement de la nation italienne en 1861 trouva, Verdi mis à part, la musique italienne en très piteux état. Revenu dans son pays, Boïto décida de la régénérer. Il fonda avec un ami la branche musicale d'un mouvement radical d'avant-garde "la Scapigliatura" qui avait pour but de renverser les valeurs culturelles établies. Boïto exigeait dans ses écrits la réforme du drame parlé et de l'opéra et ne se privait pas de critiquer avec virulence tous ceux qui s'attardaient dans les chemins battus.

C'est ainsi qu'il conçut son grand opéra Mefistofele comme l'apologie ultime de ses idées. Il rédigea lui-même le livret, sorte de condensé des deux Faustde Goethe. Et il décida que l'opéra serait créé à la Scala de Milan, première salle lyrique de la péninsule italienne. Ambition démesurée et irréalisable ? Non. Car Boïto avait su se faire des amis bien placés : son ancien professeur au conservatoire de Milan était directeur musical de la Scala ; son meilleur ami Giulio Ricordi dirigeait déjà la maison d'édition musicale de son père. En 1868, les répétitions de Mefistofele commencèrent. Le livret était exceptionnellement volumineux et l'opéra d'une longueur démesurée. A un critique qui lui reprochait d'avoir choisi un sujet "usé jusqu'à la corde", Boïto répondit que le personnage de Faust était éternel, universel et appartenait à la grande littérature mondiale.  "Tout homme qui brûle du désir de connaître la science et la vie et qu'obsède la curiosité du bien et du mal, est Faust. ; tout homme qui aspire à l'Inconnu, à l'Idéal est Faust. Quant à Méphistophélès, il est l'incarnation du Non éternel adressé au Vrai, au Beau, au Bien."

La première eut lieu le 5 mars 1868 à la Scala de Milan. A part le Prologue et la scène du Jardin, le reste fut accueilli avec une hostilité croissante et la décision de scinder l'oeuvre en deux et de jouer les deux parties en deux soirées consécutives ne changea rien. Ricordi lui-même reconnut qu'il y avait dans l'opéra "de beaux passages" mais qu'il était aussi bourré de défauts.

Sept ans s'écoulèrent pendant lesquels Boïto s'occupa entre autres à réviser son opéra : c'est ainsi que Mefistofele fut revu, rogné et représenté à nouveau non plus à la Scala mais au Teatro Communale de Bologne. Ce ne fut pas un triomphe mais l'accueil fut beaucoup plus positif que celui de la Scala sept ans auparavant. En 1876, l'oeuvre fut montée à Venise et Boïto lui fit subir de nouveaux remaniements, définitifs cette fois. Toutes les révisions successives consistèrent en un impitoyable élagage qui réduisit considérablement la durée de l'opéra.

Le style mélodique de Boïto est très éclectique : il emprunte à Beethoven, à Verdi. Mais certaines de ses idées sont remarquables : la musique céleste du Prologue, par exemple, où l'auditeur a la sensation de monter sans cesse, jusqu'au plus haut des cieux, ou l'air de Méfisto "Son lo spirito che nega" ("je suis l'esprit qui nie") où le refrain consiste en une spectaculaire séries de sifflements. (Le principe du refrain est emprunté à Meyerbeer.)

Boïto fut un penseur original qui prenait grand soin de ses partitions ; trop peut-être. Car la spontanéité artistique fut parfois écrasée par la culture et l'esprit critique. Nerone, autre opéra, ne fut à cause de cela, jamais achevé. Il n'empêche que Mefistofele, "coincé" entre Verdi et l'école vériste, reste un formidable opéra.

ARGUMENT : Prologue dans le ciel. Les milices angéliques saluent le Seigneur. A peine se sont-elles tues que paraît Mefistofele, impudent et sardonique, qui salue familièrement le Seigneur, et commence à se plaindre : l'homme, ce présomptueux atome, s'est tellement abâtardi qu'il ne vaut même plus la peine d'être tenté. Le choeur lui demande s'il connaît Faust.  Méfistofele le connait et parie qu'il saura bien le tenter et le faire tomber dans ses rets. Le pari est accepté et tandis que Mefistofele s'éloigne, le choeur mystique entonne à nouveau les louanges du Seigneur.

Acte I : A Francfort, le jour de Pâques, une foule joyeuse déambule dans les rues. Au milieu d'elle circule un moine un frac gris qui excite la curiosité des uns et la peur des autres. Faust et Wagner, présents à la fête, discutent. Faust se réjouit du retour du printemps. Le soir tombant, Wagner propose de rentrer. Faust est intrigué par le moine qui semble tracer autour d'eux des cercles concentriques et il croit voir naître sous les pas du frère gris des langues de feu. Wagner lui assure qu'il s'agit d'un simple moine mendiant et tous deux prennent le chemin du retour.

Le cabinet de travail de Faust : alors que le savant s'apprête à se plonger dans la lecture de l'Evangile, un hurlement jaillit d'un coin obscur et apparait en même temps le frère gris. Grâce à la science occulte, Faust domine l'apparition et à la place du moine surgit Méphistophélès sous l'habit d'un seigneur. C'est alors la grande proclamation satanique : "je suis l'esprit qui nie". Ce discours, ponctué de sifflements provoque davantage la curiosité de Faust que son horreur. Il accepte sans hésitation de signer un pacte : Méphisto le servira dans cette vie et les rôles seront inversés dans l'autre. Faust met toutefois une condition : le diable n'aura son âme que lorsqu'il aura si bien satisfait la soif spirituelle de Faust que ce dernier n'aura plus qu'à s'écrier : "arrête-toi, instant, tu es si beau !". Le pacte est signé et Méphisto enlève Faust sur son manteau.

Vidéo 1 : "Sono lo spirito che nega" - Interprété par Cesare Siepi.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Porky 76 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossiers Paperblog