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« C’est d’la daube !!! »

Publié le 31 octobre 2008 par Jlhuss

… à la bourguignonne et bressane !

par Chambolle

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Je ne serais pas surpris si l’expression était née dans quelque salle des marchés, à l’époque, récente, où, par la grâce de la vitesse, les traders transmuaient en or le temps qui, jusqu’ici, s’était contenté d’être en argent. Car le temps est le premier et le principal ingrédient d’une daube réussie. Or, comme l’avait observé Balzac, le petit monde des financiers a toujours trouvé ridicule de le donner au bonheur alors qu’il pouvait le négocier en dollars, yens ou euros.

Ennemie à la précipitation, rebelle aux oukases de la diététique moderne, méprisant le clinquant et l’ostentatoire, la daube ne révèle sa magie qu’aux patients et aux sages. Elle est et demeurera à jamais étrangère aux frénétiques amateurs du sorbet de topinambours cryogénisés à  l’azote liquide, aux adorateurs speedés de la poudre de noix de cajou confite  en gelée d’algue, et aux vibrionnants obsédés de la crème de lait de chamelle brûlée au chalumeau oxhydrique qui, entre deux spéculations, couraient s’intoxiquer en Catalogne.

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La daube résume des siècles d’économie et de prudence paysannes. Elle veut donc, redisons le, du temps et beaucoup : des années. Celles que vous aurez passé à découvrir un boucher qui connaisse son métier et à gagner la confiance de cet artisan qui préparera pour vous la tranche, le paleron et le gîte. Pesant chacun sa livre (ou son kilo, c’est selon le nombre de convives), ces morceaux goûteux, fermes et persillés sont les fondations sur lesquelles vous édifierez votre chef d’œuvre. Un pied de veau fendu par le milieu, une solide tranche de lard gras frais, autant de lard de poitrine maigre et quelques couennes complèteront une commande dont le montant, comparé à la félicité qui vous attend, n’a rien d’exorbitant.

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Vous êtes quelqu’un de prévoyant et vous avez en réserve les quatre ou cinq carottes, le même nombre de beaux oignons jaunes et ventrus, les trois échalotes, les six gousses d’ail, le verre d’honorable armagnac, le persil, le thym, la demi feuille de laurier, le sel, le poivre, les épices et les cinquante grammes de bon beurre dont vous aurez également besoin. A cela il faut ajouter du liquide. Si, lors de votre dernier pot-au-feu, vous avez eu la sagesse de conserver un bon demi-litre de bouillon c’est le moment de le sortir du congélateur. A défaut les cubes de bouillon concentré offrent un substitut passable. Enfin il vous faut du vin. Qu’il soit bon, honnête et robuste. L’Irancy est parfait, mais certains Bourgognes des Hautes Côtes ont aussi leur mérite.

Vous voilà à pied d’œuvre. Vous avez revêtu le vaste tablier à poche ventrale, uniforme obligé du jardinier et du cuisinier amateur. Devant vous, brillent vos couteaux aiguisés par un professionnel qui n’a pas son pareil en ville pour leur donner un impeccable fil. Enveloppés dans leur papier sulfurisé, paleron, tranche, gîte et lard cernent la planche à découper, cadeau de votre marraine pour le premier anniversaire de votre mariage (comme c’est loin tout ça). Débitez la viande de bœuf en gros cubes d’un peu moins de cent grammes et le lard gras et maigre en lardons de l’épaisseur et de la longueur du petit doigt d’une première communiante. Mettez dans une terrine la viande, le cognac, du poivre, les échalotes émincées, deux ou trois branches de persil et assez de vin pour couvrir le tout. Pour les lardons, posez les dans une assiette creuse et assaisonnez les de sel, poivre, d’une pointe d’épices et de quelques brisures de thym et de laurier. Laissez reposer le tout, deux heures.

Pendant ce temps, mettez à blanchir la chair du pied de veau et les couennes que vous détaillerez ensuite en petits carrés. Vous pouvez aussi épluchez les oignons, les carottes et les gousses d’ail que vous dégermerez. Il faudra, pour finir, couper les carottes en rondelles, hachez grossièrement l’oignon et écraser l’ail.

Au bout de deux heures, retirez la viande de sa marinade. Egouttez la et épongez la avec un papier absorbant. Dans une sauteuse, faites fondre le beurre. Lorsqu’il commence à grésiller dorez rapidement sur toutes leurs faces les morceaux de viande. Pour que le résultat soit parfait, votre grand-mère vous a souvent répété qu’il fallait opérer en plusieurs fois. Suivez le conseil de cette femme d’expérience, vous vous en trouverez bien.

Une fois les cubes convenablement rissolés, prenez l’ancestrale marmite en terre, héritée de la bisaïeule dont la photographie sépia veille sur votre bureau. Garnissez-en le fond avec l’os du pied de veau que vous aurez fragmenté en menus morceaux. Sur cette base disposez le tiers de la viande que vous recouvrez de la moitié des carottes, de l’oignon, de l’ail, des morceaux de couenne et de pied de veau et des lardons. Saupoudrez d’un peu de sel et de poivre et ajoutez une seconde couche de viande, puis ce qui reste de la garniture et terminez par une dernière couche de viande dans laquelle vous insérez un bouquet garni. Salez encore, très modérément, poivrez et versez sur le tout le demi-litre de bouillon et le vin de la marinade. Qu’il y ait assez de liquide pour que la viande soit totalement recouverte. Attention, je n’ai pas dit engloutie. Un centimètre de marge suffit.

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Lutez le couvercle de la cocotte avec une pâte faite de farine et d’eau et faites partir sur une plaque à feu assez vif. Quand un bruit caractéristique vous avertit que l’ébullition est atteinte, mettez la cocotte à four moyennement chaud et laissez mijoter pendant cinq heures. S’il reste de l’Irancy au fond de la bouteille, vous avez bien gagné le droit d’en boire un verre.

A la fin de la cuisson, goûtez et ajoutez, si c’est nécessaire, un peu de sel puis mettez la marmite au frais jusqu’au lendemain, quand vous reviendrez de votre randonnée hebdomadaire. La daube, contrairement aux promesses électorales, c’est meilleur quand c’est réchauffé. Alors, mais alors seulement, retirez le couvercle et ôtez le bouquet garni et la graisse (c’est facile, elle s’est solidifiée). Faites chauffer très doucement. En accompagnement préférez les pâtes aux pommes de terres. Elles s’accordent mieux à l’onctuosité de la sauce. Pour boire, inutile de chercher midi où il n’est pas. Le même vin qui a servi à la cuisson s’impose. Il ne m’étonnerait pas qu’alors, un ou une de vos convives s’exclame, la lèvre gourmande et l’œil humide : « Ça, c’est d’la daube ! » et cette phrase prendra alors son vrai sens : celui d’un hymne à la douceur de vivre.

Chambolle

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