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Hommage à Habib Ould Mahfoud par Abdoulaye Ciré Ba

Publié le 31 octobre 2008 par Bababe

J'ai rencontré Habib quatre ou cinq ans avant de le connaître,au détour d'une page de Mauritanie Demain. Un titre inhabituel avait accroché mon regard ... Spirituel, décapant, irrévérencieux... Un subtil mélange de drôlerie et d'intelligence. Un talent immense....J'étais béat d'admiration et, j'ai honte à l'avouer - mais nos sentiments sont rarement purs -j'étais aussi bassement jaloux. Puis je l'ai connu, et au fil des ans, ma mesquine jalousie s'est émoussée, sans jamais totalement disparaître, laissant la place à une admiration "raisonnée". (...) Le plus Maure des intellectuels de la Francophonie ; le plus universel des troubadours maures.

Aussi à l'aise sur le Bateau Ivre de Rimbaud que dans un poème de Ould Ebnou Ould H'Meïda... (...) C'était l'homme le plus étranger aux vérités toutes faites ; rétif à toute forme d'embrigadement ; un pourfendeur des baudruches de la tyrannie et des moulins à vent de l'intellect ; un iconoclaste. Un poète vrai, dans un pays qui en compte un million de faux ; un de ceux qui vivent leur poésie plus qu'ils ne l'écrivent.

(Cet hommage a été diffusé dans le journal Le Calame à la disparition de Habib ould Mahfoud,  décédé le 31 octobre 2001 à Paris. Il fut le directeur de publication de ce journal.)

Yaa Habiibi"

Il y a comme ça des siècles qui se nourrissent dès leur naissance de la mort des hommes d'esprit. Peut être ont-ils besoin pour venir au monde du sacrifice des plus belles fleurs du jardin de la vie. Jamal Ould Hassan, Diagana Ousmane, Habib Ould Mahfoudh…, 2001 aura été une année mortelle pour les intelligences fécondes. Pourquoi faut-il que les étoiles meurent quand les ténèbres n'en finissent pas d'étendre leur voile d'obscurité sur l'univers ? Et pourquoi faut-il qu'une étoile s'éteigne pour que nous commencions seulement à reconnaître l'immense part de lumière qu'elle apportait à nos vies ?

J'ai rencontré Habib quatre ou cinq ans avant de le connaître. C'était, en 1987 ou 1988, au détour d'une page de Mauritanie Demain. Un titre inhabituel avait accroché mon regard :"Lettre ouverte à Nas'r Ed Dine". Spirituel, décapant, irrévérencieux, iconoclaste. Un subtil mélange de drôlerie et d'intelligence. Un talent immense. L'article était signé d'un nom qui m'était alors inconnu, Habib Ould Mahfoudh. J'étais béat d'admiration et, j'ai honte à l'avouer - mais nos sentiments sont rarement purs -j'étais aussi bassement jaloux. Puis je l'ai connu, et au fil des ans, ma mesquine jalousie s'est émoussée, sans jamais totalement disparaître, laissant la place à une admiration "raisonnée". J'avais pour lui une profonde affection. Il m'honorait de son amitié. Et par un de ces étranges cheminements de l'esprit dont lui seul détenait le secret, il avait décrété que je m'appelais Mouhammad Abdullah. Je soupçonne que ce fut après m'avoir entendu réciter un ou deux versets du Coran dans cet accent exécrable que nous autres Négro-africains prenons pour le nec plus ultra de l'Arabe. Il décida alors que j'étais un ancien t'lamid de medersa trop longtemps absent de son Iguidi natal, et auquel une mystérieuse amnésie avait fait oublier et sa langue maternelle et les leçons de ses vénérables maîtres.

L'Iguidi était, pour Habib, bien plus qu'un lieu. C'était une nostalgie; le monde infiniment riche d'une enfance heureuse; une mère, une âme, plus profonde qu'un puits de désert. L'Iguidi est bien cela, et davantage encore. Cette plus arabe des terres berbères est le royaume des nuances subtiles et mortelles, où toute vérité hormis celle émanant en droite ligne de l'Absolu divin- est fuyante et multiple, où le moindre demi-mot ouvre sur des univers polysémiques, où chaque lettre de l'alphabet est à décoder, à l'envers de sa graphie. Un terroir sur lequel ont poussé des noms aux sonorités étranges, brefs et beaux poèmes qui explosent comme le tonnerre sous une pluie violente : Idowdouniokhoub,Idajadjafaagha, Idenndehound.

Noms fossiles venus d'une langue et d'un monde disparus et terriblement présents, pour désigner des tribus"civilisées jusqu'à la moelle". Nievrar est le cœur de l'Iguidi, et la patrie du grand Nas'r Ed Dine. C'est dans ce lieu magique de la grande "brousse" de Mederdra, qu'entre ascèse et érudition, le petit H'Bib aborde aux rivages de la modernité par le biais de mots, noms et expressions aussi étrangers à son monde qu'un dromadaire à celui d’un petit Inuit. Marigot, chéchia, la case de Birama, la daba de Famara, Toto boit le dolo…

Etape cruciale dans une existence vécue comme un parcours initiatique, parsemé d'émerveillements et de désillusions, toujours riche de découvertes fécondes. De Nievrar à New York et de Ould Ahmed Youra à Barthes. De la classe sous la tente à l'enseignement, des cours de Hassanya aux volontaires du Corps de la paix américain au journalisme et à Calame. Singulier itinéraire d'un guerrier "teigneux"* nourri à la sève de la société maure la plus maraboutique, et maîtrisant avec une rare aisance les concepts les plus avancés d'une modernité en perpétuelle mutation.

Il avait l'Iguidi dans l'âme, et l'esprit aussi large que l'Univers. Paradoxe ? En apparence seulement, car Habib reste un Maure, un vrai, dans l'acceptation la plus noble et la plus riche du terme. Le plus Maure des intellectuels de la Francophonie ; le plus universel des troubadours maures. Aussi à l'aise sur le Bateau Ivre de Rimbaud que dans un poème de Ould Ebnou Ould H'Meïda, aussi familier de la littérature de l'Occident que des boutiquiers rimailleurs qui mêlaient en de savoureuses combinaisons le wolof et le hassanya pour dire la solitude et les "charmes" de leur exil.

C'était l'homme le plus étranger aux vérités toutes faites ; rétif à toute forme d'embrigadement ; un pourfendeur des baudruches de la tyrannie et des moulins à vent de l'intellect ; un iconoclaste. Un poète vrai, dans un pays qui en compte un million de faux ; un de ceux qui vivent leur poésie plus qu'ils ne l'écrivent. Hindou l'appelait "le fou". Petit mot et grande affection pour dire un homme hors-norme : insouciant, insoucieux, généreux, modeste, bordélique, génial, intarissable, timide, maniaque du mot juste, insoumis et pourtant « rebelle à toute vanité », incorruptible, d'une capacité d'indignation sans égale, fidèle en amitié, respectueux de l'autre, intolérant seulement à l'égard des médiocres et des cons de tout acabit. Un homme cohérent et absurde. L'homme, disait-il, est le seul animal capable d'absurdité. Il la cultiva, lui, jusqu'au sacrifice ultime. Ce n'est pas ce qu'il fit de mieux. Mais qu'importe ce qu'il fut et fit le mieux. C'était Habib**, et rarement prénom aura été porté avec autant de vérité, de bonheur et de grâce.

Adieu, petit frère. Puisses-tu, où que tu sois, trouver un petit coin d'Iguidi, quelques livres à ton goût, deux ou trois amis Idenndehound avec lesquels t'extasier sur un poème de Ould Ahmed Youra, et pousser de grands éclats de rire.

MOUHAMMAD ABDULLAH

(ABDOULAYE CIRE BA)

  • Habib appartient aux Goure (les Teigneux), tribu guerrière de la région de Dakhlet Nouadhibou
    • Habib : l'aimé, en arabe

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LES COMMENTAIRES (1)

Par Salah Eddine Sy
posté le 19 octobre à 23:47

Habib! Habib ould mahfoud, qu'une artere dans toutes les villes Mauritaniennes lui soit dediee.C'est le plus mauritanien des mauritaniens cuturellement parlant et comme politiquement parlant le plus mauritanien des des mauritaniens demeure le professeur Saidou Kane.

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