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Au "Mercredi du poète" d'Octobre : Richard Rognet

Par Ananda
En ce Mercredi 22 Octobre, je me retrouve, comme pratiquement chaque quatrième mercredi du mois, au premier étage de cette "brasserie des poétes" qu'est le François-Coppée, au 1 Boulevard du Montparnasse, métro Duroc.
Le sympathique et sémillant animateur Jean-Paul Giraux accueille cette fois une valeur plus que sûre de la poésie française contemporaine, Richard Rognet, présenté par l'une de ses amies, Claudine Helft.
Jean-Paul Giraux nous l'indique, Richard Rognet est un Vosgien à cent pour cent, né dans les Vosges et résidant, encore aujourd'hui, à Epinal, où il est à présent enseignant en retraîte. Au passage, Jean-Paul nous gratifie d'une anecdote aussi amusante que touchante : Richard Rognet fut un enseignant si attachant , si passionné par ce qu'il enseignait ("un enseignant qui n'enseignait pas en enseignant, mais en poète") et, en conséquence, si apprécié de ses élèves que ces derniers ont été jusqu'à lui dédier un site web de leur "fabrication".
Sous ses airs d'homme simple, un peu austère, Richard Rognet est "bardé de prix". Traduit en de nombreuses langues, il a reçu l'hommage de la ville d'Epinal.
Et Jean-Paul d'enchaîner sur le ton animé, enthousiaste qui le caractérise, que son invité totalise "une série impressionnate de publications chez de grands éditeurs, tels, par exemple, Gallimard, Bellefond, La Différence".
Claudine Helft prend à ce moment le relai en renchérissant sur une "trilogie qui marquera cette époque".
Si la présentatrice partage avec le présenté une amitié de trente deux ans, elle n'en avoue pas moins que "voilà deux ans que je découvre -ou redécouvre- tous ses livres".
On  s'en rend compte, la dame est vraiment sous le charme de cette poésie, qu'elle cerne en affirmant que "son unité ne souffre pas de sa pluralité". Puis elle ajoute : "c'est une qualité d'être multiple, je crois, dans la poésie".
Nous découvrons ensuite qu'en matière de poésie, les goûts de Claudine Helft et de Richard Rognet sont en "accord total". Pour Claudine Helft, il n'y a pas à y revenir, toute "grande poésie" tourne forcément autour de trois axes cardinaux qui sont : "l'enfance, la quête d'identité et le questionnement".
Caldine Helft , péremptoire, assure qu' "un poète qui ne questionne pas n'est pas un poète".
A propos de l'oeuvre de Richard Rognet, elle explicite : "je suis frappée par le suivi dans le domaine de la pensée, voire du style". Ce style, assurément, fait, dans son optique, de son ami "une des plus grandes voix de la poésie française des trente dernières années" et elle désigne, avec assurance, "Délire du Voyageur" comme étant "son livre le plus achevé", un livre dont elle dit "le verbe y sert une pensée très forte, très stucturée".
Claudine Helft définit la poésie de Richard Rognet comme empreinte de lyrisme et traversée par "le sens de la précarité de la vie". Des mots lui viennent à l'esprit : "silence à l'envers du récit", "déchirure" et "morsure", "ventre de la Mère".
Richard Rognet est "tout entier dans la respiration d'un temps qu'on interroge". Belle formule. Pour définir une très belle poésie "entre silence et mélancolie", une poésie qui "désigne ce qui se dérobe et interroge l'insaisissable". Une poésie construite autour des "figures emblématiques" du voyageur et du visiteur.
Avec Richard Rognet, continue Claudine Helft : "vie et mort se taillent dans l'infini" et "la nature est à la fois reposoir et sortilège" avec les "joies d'infini et d'affermissement" que le cadre vosgien apporte au poète.
Par delà la richesse ("Il n'est pas une seule, mais des écritures de Richard Rognet"), sa présentatrice débusque "une volonté de maîtriser la langue complètement", et ceci, à présent, "avec plus de réserve, moins de passion, peut-être".
Là-dessus, c'est au tour de Richard Rognet de prendre la parole, en déclarant d'emblée : "je ne sais pas ce que je dis, mais je sais ce que je fais ; je travaille énormément la forme d'un livre à l'autre".
Il confirme ensuite sa "confrontation permanente aves la nature", cette "présence" qui s'avère être une "véritable source d'inspiration". De ses "intrusions dans la mémoire", si fréquentes, il dit : "je retrouve l'enfant enfoui en moi". Explication directe, simple. Forte. Aussitôt après, il signale que son prochain recueil sera "une chronique des instants tout simples qui deviennent des instants d'éternité". On commence à le cerner. A entrer dans sa poésie dense et somptueuse.
Richard Rognet se met alors à lire des extraits tirés de ses recueils, et nous découvrons à quel point la nature vosgienne y est omniprésente.
"Le tremblement des doigts sur les souvenirs", "le traquenard de l'aube" qui "ne dit rien", mais "saigne", "le silence du sable inhabité [...] Silence en moi halte, blessure..."ombre de la parole jetée au vent", "enfance de gloire, de graminées". Nous sommes transportés, gagnés par un enthousiasme grandissant.
Le poète poursuit : "Un rameau dans ma main. Le temps s'y concentre" et "je nais de la blessure blanche dans le vent".
A ce stade, on découvre que sa poésie n'est pas solaire. On prend la mesure de la lucidité sombre, désespérée qui l'habite : "A peine le temps de voir et tout s'éteind, tout se retire [...] on se retrouve en soi, défait [...] encoche où s'engouffre l'aigreur du monde"...comment ne pas être subjugué par une telle beauté, une telle justesse ? Cette poésie fait penser à un ciel qui, soudain, s'assombrit,se couvre. Elle atteind un "sommet 'inquiètude" qui nous serre presque le coeur. Tant il est vrai que "chaque mot prononcé creuse nos solitudes", et que le poète, avec une sorte de résignation implacable, avoue : "J'ai vieilli dans un lointain futur. Je ne fus jamais du présent".
Tous les poètes peuvent se reconnaître dans cette solitude-là. La faire leur.
Pour Richard Rognet, "l'enfance et la nature sont profondément liées" et le poète reconnait que, chez lui, l'on a affaire à un "questionnament perpétuel qui serait triste s'il n'était sauvé par l'amour de la nature" (donc, de la vie), un questionnement dont la réponse paraît être une manière de panthéisme admettant que dieu existe.
"Ecologisme" assumé (puisqu'à son propos, le poète déclare : "Je m'engage vraiment") et "mysticisme" tout à fait particulier seraient donc les deux socles de cette oeuvre.
Richard Rognet, d'ailleurs, ne répugne aucunement à s'étendre un peu sur son idée de la croyance; il précise : "Je suis très croyant mais pas très pratiquant" et "j'ai vécu à la campagne jusqu'à l'âge de seize ans, au rythme des saisons et de la vie catholique, ce qui était très stucturant". Il ajoute que l'idée d'"énigme" est centrale dans ce qu'il écrit : "Il y a une énigme autour de la nature et il y en a une autour de l'être" et cette énigme a toujours "préoccuppé" Richard Rognet, qui n'hésite pas à professer que "le poème tourne autour de l'énigme", quand il n'assure pas que "le langage est créateur d'énigme". Quoi de plus normal, puisqu'il le répète, "l'énigme est partout présente" ?
Sa présentatrice aborde avec lui le problème du statut du mot. Comment l'appréhender ? Le mot est-il "dangereux" ou "créateur" ?
Richard Rognet se montre très clair : "Le poème crée le poète qui le crée" et "une fois créé, provoque une sensation d'étrangeé" indéniable. Il insiste : "Le poème est énigme avant tout et c'est lui qui nous guide"; "être poète, c'est être dans l'instable, dans le mouvement, hors de soi". Quelle magnifique définition ! Elle fait penser au chamanisme.
Pour Richard Rognet, la paradoxe de l'entreprise poétique tient en ce qu'elle consiste à "trouver une chose qui tient debout à la suite d'une démarche qui ne tient pas debout".
On le voit, comme Gabrielle Althen, Richard Rognet a l'art des formules heureuses, riches, qui font mouche.
Là-dessus, comme tout naturellement, surgit, s'impose le mot "mystère". Selon Richard Rognet, le poète " se délivre de ce qu'il est à travers le cheminement de la mémoire". En ceci, sa démarche s'apprente à celle du psychanalyste et Richard Rognet nous assène encore une de ses formules fulgurantes, géniales : "j'ai fait l'effort de soulever la mémoire, pour aller voir si j'y étais". En effet, nous apprenons qu' "il y a des éléments biographiques qui sont les assises du poème". Richard Rognet est sensible à la filiation, à l'ancestralité, qu'il nomme, très bellement, "préhistoire de l'individu". C'est même avec force qu'il proclame : "Je l'entends, ce coeur d'avant ma naissance". A l'écouter, on en arriverait presque à se demander si cette chose, au fond, on ne peut plus mystérieuse qu'est le poème n'a pas pour but (s'il en a un) de dépasser l'histoire de l'individu qui le compose, et aussi de dépasser les mots qu'il emploie pour s'alléger, s'échapper, embrasser la dimension cosmique qui, elle, nous dépasse complètement. On en a, en quelque sorte, la confirmation lorsqu'il nous lit : "Hurles, poème. Demande aux fourmis, aux brindilles d'entrer avec toi dans les mots [...] Aies confiance en ce qui fuit l'homme". N'est-ce pas proprement magnifique ?
Du poème, qui le fait "crier dans le matin avec un visage qui n'est pas le sien", Richard Rognet nous dit : "et c'est moi tout entier qui m'arrache à moi-même". Il ne le dissocie guère de la notion d'allègement, de purification : "Ah, ces minces papillons bleus qui s'inventent une prairie aussi légère qu'eux".
On lui signale ensuite sa "sérénité devant la mort". A quoi il répond en confiant une anecdote de sa vie intime : "La première expérience de la mort que j'ai eue fut celle d'une camarade d'école" et "cette sérénité, c'est dû au rappel de la mort de cette petite". La mort est naturelle : "tu sens peser les siècles sur ton corps".
En veine d'anecdotes, Richard Rognet s'attarde sur un autre souvenir qui l'a beaucoup marqué : celui de "la fille-mère qui s'était suicidée en se jetant dans un étang". Cette anecdote lui est chère, car elle le rencoie à la cruauté de la campagne. Dans son esprit, du coup, l'étang et le "scandale" se trouvent à jamais liés : "l'étang est toujours quelque chose de glauque, de noir, de porteur de mort", précise-t-il.
On lui demande de s'expliquer sur le "tu" qu'il aime tant à employer dans son écriture et sur le rapport que ce "tu" entretient avec la vigueur du questionnement. Sans la moindre hésitation là non plus, il nous éclaire : "Pour moi, le tu, c'est une façon de me projeter à l'extérieur de moi-même pour pouvoir mieux m'observer, me questionner". Voilà qui est clair.
Richard Rognet s'exprime avec calme. Il sait remarquablement aller à l'essentiel, et au profond. C'est un être pondéré et précis, méticuleux et intérieur, passé maître en introspection et en observation du monde. Avec les choses dont il parle, il semble garder une sorte de distance pudique. On sent qu'il a pour souci de ne pas se laisser déborder : " le retour dans le souvenir d'enfance m'a permis d'atteinder à une certaine sérénité". C'est un homme de haute exigence, qui sait garder la tête froide. Sans doute, en reflet fidèle de sa chère région des Vosges qu'il est. En être qui vit avec "la forêt tout près de son visage".
Comment ne pas adhérer aux suggestions, au "programme" que ses vers nous proposent ?
"Vivre...d'un nuage effiloché, d'une étreinte du vent dans les branches [...] s'oublier". On atteind là à une sorte d'ascèse du poème, à une définition même du vivre en poésie : chercher "le silence en pointillés".
Esprit concentré. Regard aigu. Simplicité incisive, dense et fugitive en même temps : "De loin tu as vu que la feuille tombée était un oiseau mort [...] la feuille est restée un oiseau...un oiseau déposé au fond de ta mémoire". Indépassable, une telle netteté du style ! Impressionnante, cette façon d'effleurer, tout en allant profond ! Marque de la poésie la plus achevée, aux frontières mêmes du silence, du rien.
La poésie de Richard Rognet est une poésie de "mémoire plus forte que ta vie". Une poésie droit issue du contact physique avec les arbres (qu'il affirme adorer toucher), du contact visuel "ému" avec la "montagne vosgienne", et du contact jamais rompu avec la mémoire qui "regarde l'enfant qui te précède".
Oui, le projet du poète est bel et bien de "toucher l'inaccessible, l'éternel dans la simplicité" et il est vrai (la preuve) qu' "on peut aller très profond avec peu de choses", par exemple, "les oiseaux que l'automne froisse de son oblique clarté".
On ne peut, bien sûr, rester sans réaction face à une telle poésie. Lorsque Jean-paul Giraux annonce la fin de la présentation et le début du débat, les questions, assorties d'analyses, fusent vite.
Ainsi, un habitué de ces lieux, Laurent Desvoux témoigne de beaucoup d'acuité en signalant, chez Richard Rognet, la présence de "l'inquiétude" et en se demandant si le verbe du poète n'aurait pas en fin de compte pour démarche de "retourner avant le langage, et même hors langage". La vigueur de l'approbation de Richard Rognet ne se fait pas attendre. Il invoque - et évoque - les "poèmes sans mots qui étaient poèmes de l'enfant" et qui seraient - tout simplement - "remontés à la surface à l'âge adulte". Fort pertinemment, Laurent Desvoux renchérit : "vous cherchez une forme qui permet de structurer " et note une "analogie entre le poème et les anciens rituels de l'enfance et du village".
Georges-Emmanuel Clancier en vient à son tour à prendre la parole, pour mettre l'accent sur "la haute dimension de la poésie de Richard Rognet" et sur "la structure profondément métaphysique de l'oeuvre, de la trilogie". Cela l'amène à s'arrêter sur l'emploi du "tu"  qui, en quelque sorte, dédoublerait cette poésie ("les deux Richard"), et G-E Clancier de conclure, une pointe de regret dans la voix : "Je ne comprends pas qu'il n'y ait pas des milliers de gens qui lisent cette poésie; elle contient ce que nous avons tous en partage : cheminement, accomplissement; elle a pour elle un  dépouillement très étonnant, mais un dépouillement qui n'est pas décharnement".
Richard Rognet profite de l'occasion pour rebondir en admettant qu'il utilise beaucoup "tremblement" et "trembler". C'est alors que Jean-Paul Giraux intervient à son tour pour mettre en avant ce qui le frappe, ce qui lui tient à coeur : "Je me demande si Richard Rognet a conscience de la cruauté terrible avec laquelle il peint le monde rural", observe-t-il, d'un ton pensif et quasiment perplexe, s'empressant là-dessus d'ajouter "nous ne sommes pas dans un décor idyllique". Certes. Les "horreurs de la campagne" sont bel et bien au rendez-vous, témoin "l'étang" où l'implacable tradition accule toute déviance. A cela, Richard Rognet rétorque : "Tout ce que l'humain touche est adultéré". France Burghelle-Rey, pour sa part, insiste sur le fait que "L'enfant n'est pas serein".
Richard Rognet essaie ensuite de cerner sa propre poésie, et  cela le conduit à penser (tout haut) qu'"on ne peut l'écrire qu'à partir de soixante ans". Pour quelles raisons ? La réponse vient : "Il faut du recul par rapport à l'urgence et à une certaine culture; avant, je n'avais pas le temps de voir".
Sur ce, Gabrielle Althen y va de son intervention : sa réaction lui ressemble bien : accrochée par "hurle le poème", elle considère que "si le poème n'est pas vivant, ce n'est peut-être pas la peine"
Et le bonheur ?
Selon Colette Klein, il "ne peut s'exprimer que parce qu'il y a cette cruauté" et "le poète fait passer son propre bonheur". Selon Jean-Paul Giraux, la chose est plus simple encore : "Le bonheur, c'est le poème". Claudine Helft, elle, reprend la parole pour y aller de son opinion, qui est toute autre puisqu' elle, ne voit "aucune sérénité, aucun bonheur". Evitant de trancher, Richard Rognet se contente de confesser : "je n'aime pas les choses abouties". On lui pose, à ce moment-là, une question sur "le travail de la forme". Il nous renseigne : celui-ci, chez lui, se fait "à partir de notes, de proses très longues", qu'il dit "sabrer", le plus difficile étant, à ses yeux, sans doute, de "savoir s'arrêter au moment où l'on risque de tomber dans la banalité".
Richar Rognet enchaîne sur une analogie qui lui est, on le constate vite, chère : celle avec la musique ("Il y a une dynamique, qui me renvoie à la construction musicale"). Comme un musicien, Richard Rognet cultive "la répétition", "le silence, porteur d'intensité". Peut-être est-ce à relier avec une anecdote puisée (encore) dans ses souvenirs d'enfance profonds, qu'il nous raconte, et qui le montre, très tôt, "intéressé par le chant du rossignol". Le goût, l'attirance pour l'univers musical résulteraient de là.
En tout cas, Richard Rognet confirme : "j'ai beaucoup travaillé la forme".
Lorsque l'on prononce, aussitôt après, les mots de "recueil de poèmes", Richard Rognet a des réactions qui se révèlent être très personnelles, inattendues. Après nous avoir affirmé ne pas aimer beaucoup le mot même de "recueil", il nous livre l'espèce d'aversion que lui inspirent les anthologies poétiques ("Je ne veux pas être déconstruit, mis en morceaux"). Quand au mot "poèmes" lui-même, "sur une couverure, il me gêne".
Nous sortons de cette rencontre avec le poète Richard Rognet impressionnés, conquis. De lui comme de son verbe émanent une grande rigueur, une hauteur d'exigence qui frappent.
Richard Rognet est, avec Gabrielle Althen de ces poètes en quête d'une perfection, d'un absolu verbal, poétique qui les obsède...et qu'ils finissent (à force de fulgurance intuitives, de concentration et de persévérance) par trouver.


Patricia Laranco.

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