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Repenser la reconnaissance avec Nancy Fraser

Publié le 31 octobre 2008 par Anonymeses

Proche de Habermas, Nancy Fraser a d'abord acquis une notoriété avec son commentaire critique de l'œuvre de celui-ci, gouverné explicitement ou tacitement par des préoccupations féministes. Contre la perspective défendue par Habermas d'un espace public unique, coextensif à la société, elle introduit l'idée d'une multitude de contre-publics subalternes, arènes de délibération des groupes en position de subordination. Elle établit en outre une distinction, au moyen d'une expression qui connaîtra une certaine fortune, entre publics forts et publics faibles, les premiers étant des lieux de formation de l'opinion autant que de prise de décision tandis que les seconds ne produisent que l'opinion.

Elle développe l'idée, prémisse des théories de la reconnaissance, que les espaces publics sont des espaces de «luttes pour l'interprétation des besoins». Cette lutte passe par la dénaturalisation des interprétations institutionnalisées des besoins, par l'invention d'un nouveau vocabulaire, à l'image de ce qu'ont fait les groupes féministes, qui en inventant des termes tels que «harcèlement sexuel» ou « viol conjugal» ont réinterprété en besoins des données sociales qui ne l'étaient pas.

La «lutte pour la reconnaissance» est en peu de temps devenue la forme paradigmatique du conflit politique à la fin du XXe siècle. Les revendications de «reconnaissance d'une différence» alimentent les luttes de groupes mobilisés sous la bannière de la nationalité, de l'ethnicité, de la «race », du genre et de la sexualité. Le concept de reconnaissance est à la base d'une redéfinition des principes de justice. Nancy Fraser tient pour acquis que, la justice implique à la fois la redistribution et la reconnaissance. Dans Qu'est-ce-que la justice sociale ?, 2004 elle cherche à repenser la justice sociale à partir du concept de parité de participation. Toute prétention ou revendication est examinée en fonction de sa congruence avec ce critère, défini ainsi «L'égale participation est [ ... ] empêchée lorsque certains acteurs manquent des ressources nécessaires pour interagir avec les autres en tant que pairs. Dans de tels cas, la distribution inique constitue un obstacle à la parité de participation dans la vie sociale, et donc une forme de subordination sociale et d'injustice » A partir de la distinction entre deux formes d'inégalité, elle met à jour un dilemme redistribution/reconnaissance.

Elle sépare deux conceptions globales de l'injustice. « La première, l'injustice socio-économique, est le produit de la structure économique de la société et peut prendre les formes de l'exploitation (voir les fruits de son travail appropriés par d'autres), de la marginalisation économique, des emplois pénibles ou mal payés ou se voir dénié l'accès à l'emploi) ou du dénuement. La  seconde conception de l'injustice est de type culturel ou symbolique. A ce titre, l'injustice est le produit des modèles sociaux de représentation, d'interprétation et de communication, et prend les formes de la domination culturelle. Charles Taylor s'est inspiré de Hegel pour soutenir que : « L'absence de reconnaissance ou la reconnaissance inadéquate [ ... ] peuvent constituer une forme d'oppression ou emprisonner certains[...] Le défaut de reconnaissance ne trahit pas seulement un oubli du respect normalement dû. Il peut infliger une cruelle blessure en accablant les victimes d'une haine de soi paralysante. La reconnaissance n'est pas seulement une politesse qu'on fait aux gens : c'est un besoin vital »

Le remède à l'injustice économique passe par une forme de restructuration économique. Ceci peut comprendre la redistribution des revenus, la réorganisation de la division du travail, la soumission des décisions d'investissement à un contrôle démocratique ou la transformation des structures économiques fondamentales. Le remède à l'injustice culturelle, pour sa part, réside dans le changement culturel ou symbolique. Ceci peut prendre la forme d'une réévaluation des identités méprisées et des produits culturels des groupes discriminés. Il peut aussi prendre la forme de la reconnaissance et de la valorisation de la diversité culturelle.

La reconnaissance est pour Nancy Fraser une question de justice, et sur ce point, elle s'oppose à Charles Taylor et Axel Honneth, qui, selon elle, considèrent la reconnaissance comme étant affaire de réalisation de soi. « Traiter de la reconnaissance comme d'une question de justice a un deuxième avantage : faire du déni de reconnaissance un tort relevant du statut, situé dans les relations sociales, et non dans la psychologie. Se voir dénier la reconnaissance, ce n'est pas simplement être victime des attitudes, des croyances et des représentations méprisantes, dépréciatives ou hostiles des autres. C'est être empêché de participer en tant que pair à la vie sociale. En posant la question en termes de justice, on évite de tomber dans le piège de la psychologisation. » Elle définit ainsi un nouveau cadre théorique, au sein duquel le principe de parité de participation est central.

par Frédérique


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