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Le carré magique d'Obama, par Christian Salmon qui est écrivain. ...

Par Levidepoches
   


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"C'est la dernière chance qu'ont les gens de voir les deux candidats côte à côte et de les comparer", avait prévenu David Axelrod à la veille du dernier débat de la campagne américaine, confirmant ce qui était apparu dans les débats précédents comme la stratégie d'Obama, une stratégie de différenciation plutôt que d'affrontement. Et jamais la distance entre les deux candidats n'avait semblé si abyssale. Différences de style, de génération sans doute. Mais plus encore que par leur âge biologique, les deux candidats se distinguaient par "l'âge" de leur "culture" politique. Se situant de part et d'autre d'une coupure que ne mesurent pas seulement les années, deux Amériques se regardaient incrédules, deux mondes, dont l'un s'éloignait. McCain appartient à la galaxie Gutenberg, ses héros sont d'encre et de papier, coulés comme ceux d'Hemingway, qu'il admire, dans le marbre de l'expérience vécue, rugueux et minéral. Obama est de la planète Internet, l'homme des déplacements et des appartenances multiples. C'est un héros "liquide", en devenir. Deleuzien. Ses atouts ne sont pas qu'élégance et éloquence. Il disposait d'une machine de guerre qu'on pourrait définir comme un modèle intégrant quatre fonctions, les quatre côtés d'un carré magique.

Ces fonctions sont les suivantes :

1. Raconter une histoire capable de constituer l'identité narrative du candidat (Storyline). 2. Inscrire l'histoire dans le temps de la campagne, gérer les rythmes, la tension narrative tout au long de la campagne (timing). 3. Cadrer le message idéologique du candidat (framing), c'est-à-dire encadrer le débat comme le préconise le linguiste Georges Lakoff, en imposant un "registre de langage cohérent" et en "créant des métaphores". 4. Créer le réseau sur Internet et sur le terrain, c'est-à-dire un environnement hybride et contagieux susceptible de capter l'attention et de structurer l'audience du candidat (networking).

Obama et McCain ont fait jeu égal sur le premier point. Chacun d'entre eux a écrit un livre de Mémoires dont les titres se font signe ironiquement (La Foi de mes pères, pour McCain, Les Rêves de mon père, pour Barack Obama.) L'histoire des candidats est devenue un élément-clé des campagnes électorales. Chaque épisode de la vie du candidat constitue l'atome narratif d'une identité politique. Le candidat présidentiel est un homme-récit et un performeur dont les conventions politiques sont la scène. Il en fut ainsi pour McCain, mais c'est à Denver que ce fut le plus visible. "Tous les discours ont l'air d'avoir été écrits par le même storyteller", ironise Corine Lesnes, la correspondante du Monde. Maya Soetero-Ng, la demi-soeur de Barack Obama, parle de leur mère qui était une conteuse d'histoires... L'épouse Michelle inscrivit l'histoire de leurs deux familles dans un roman familial de la middle class américaine : "N'est-ce pas une histoire américaine ?" Et le dernier survivant de la dynastie des Kennedy transmit le flambeau de la légende présidentielle.

Mais sur tous les autres plans (timing, framing, networking), la supériorité de la campagne d'Obama fut écrasante. McCain a multiplié les erreurs de timing, suspendant à deux reprises sa campagne, et, depuis le 7 octobre, s'efforçant de détourner l'attention des électeurs en lançant des attaques diffamatoires contre son rival. Déchiré entre ses allures d'oiseau rare du Parti républicain (le fameux "maverick" modéré sur les questions morales) et le choix de l'ultraconservatrice Sarah Palin comme colistière, il s'est contredit, son programme s'est délité, le faisant apparaître comme un candidat à la recherche d'une définition. L'irruption de la crise financière a, en revanche, servi l'agenda d'Obama en fournissant un horizon d'attente à un interventionnisme régulateur et à une politique sociale et fiscale plus favorables aux classes moyennes... Depuis les primaires en Iowa, Obama a réussi à inscrire son histoire personnelle dans le temps de la campagne, transformant la compétition avec Hillary Clinton en un voyage du héros à la rencontre de l'Amérique. La convention de Denver en fut le théâtre, un théâtre du troisième type qui s'adressait à trois audiences différentes : le meeting, la télé et la Toile. Grâce à un habile fond de décor, simulant la façade de la Maison Blanche, les scénographes de l'événement ont réussi à faire fusionner des performances de nature très différente : le happening politique et la série télévisée. Woodstock et "West Wing". Barack Obama y incarna à la fois la fonction et la fiction présidentielles...

Le blogueur Andrew Sullivan fit l'éloge de sa maîtrise de la politique à l'ère de Facebook ("Facebook politics"). Roger Cohen compara dans The New York Times la montée en puissance de la campagne d'Obama au succès désormais classique des start-up d'Internet. Sur Internet, la campagne d'Obama suscita une participation massive qui se constitua peu à peu en un espace de contagion pour les messages et les histoires du candidat. Finie l'armée des fantassins du tract et de l'affiche. Place à la nébuleuse des wiki-éclaireurs, pionniers des campagnes digitales, militants de My.barackobama.com, activistes de MySpace, "Twitteratti", "YouTubers"... Faiseurs de miracles, et c'en est un, virtuel, que la multiplication des dons et des sponsors... Après l'ère de la radio avec Roosevelt, celle de la télévision avec Kennedy, Obama sera-t-il le premier président de l'âge numérique ?


Christian Salmon est écrivain.

Posté sur : le vide poches / planning stratégique
Posté par : jérémy dumont

Source : le monde


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