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La vengeance du pied fourchu 21

Publié le 02 novembre 2008 par Porky

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Marie n’était pas contente. Mais pas contente du tout. Elle en voulait à ses deux filles, et dans des proportions à peu près identiques. D’abord cette sotte de Catherine avait trouvé le moyen d’égarer un bijou magnifique et c’était bien fait pour elle si son mari la boudait –le terme était assez faible- depuis une semaine. Ensuite, cette autre sotte de Missia avait cassé la statuette de la Vierge. Non que cette perte affligeât grandement Marie. Elle avait toujours trouvé la statuette affreuse et doutait fortement de son efficacité protectrice. Elle était néanmoins dans la famille depuis des générations et voir ses morceaux éparpillés sur le carrelage l’avait désagréablement impressionnée. Et depuis quelques jours, Missia faisait n’importe quoi. L’indocilité était certes un trait dominant de son caractère, mais là, elle se surpassait. Il avait fallu que Marie se fâchât toute rouge pour l’obliger à épousseter les meubles, laver par terre, bref, à faire ce que d’habitude, elle accomplissait sans rechigner. Et encore, mieux valait fermer les yeux sur le résultat. « C’est peut-être l’absence de Martin qui la met dans cet état », songeait Marie en épluchant ses légumes. Le jeune homme était parti depuis quelques jours dans la montagne avec son troupeau. Lui aussi avait eu un comportement bizarre. Il était venu frapper en pleine nuit à la porte de la maison pour avertir Arnaud qu’il n’avait finalement plus besoin de lui et qu’il préférait mener seul ses moutons vers les alpages. Arnaud avait été quelque peu vexé de cette volte-face. « Et il y avait de quoi, continuait de penser Marie. Je me demande quel vertigo l’a saisi. Lui si gentil, si correct. Enfin, il a au moins pris la peine d’avertir, c’est déjà ça. »

On frappa à la porte. Avant d’aller ouvrir, Marie jeta un coup d’œil par la fenêtre afin de s’assurer qu’il ne s’agissait pas encore des gendarmes dont le zèle avait été fortement aiguillonné par son gendre. Ils étaient déjà venus deux fois lui poser des questions au sujet du collier et sa patience avait été mise à rude épreuve. Quoi, Philippe s’imaginait-il que sa belle-mère était dans le besoin au point de voler le collier de sa propre fille ? Et qu’en aurait-elle fait, franchement ? A part le revendre… Et à qui ? Et où ? Elle n’allait jamais en ville, Arnaud non plus et Missia encore moins.

Ce n’était pas les gendarmes, mais Catherine, vêtue de noir des pieds à la tête comme si elle était en grand deuil. Mon Dieu, qui est donc mort ? pensa Marie, affolée en ouvrant la porte. « Que se passe-t-il ? s’écria-t-elle. Pourquoi ce noir ? » « Tant que je n’aurai pas retrouvé le collier, je serai en deuil », affirma Catherine en entrant et Marie soupira de soulagement. Allons, sa fille aînée était toujours aussi folle, rien n’avait changé de ce côté-là, et c’était plutôt rassurant. « Toujours aucune nouvelle ? » demanda Marie en reprenant son travail tandis que Catherine posait délicatement son séant sur une chaise. « Non. Philippe ne me desserre pas les dents et les enfants sont infernaux, soupira Catherine. C’est à croire qu’eux aussi participent à ma punition. Je soupçonne Philippe de les avoir vivement engagés à me faire tourner en bourrique. » « Allons, allons, dit Marie d’une voix grondeuse, ne dis pas de sottises. Mais reconnais que ton mari est en droit d’être un peu fâché. »

« Je ne comprends pas, fit Catherine. J’en prenais pourtant tellement soin… La nuit je l’avais toujours avec moi… Enfin, je ne suis pas venue pour ça. J’ai à me plaindre de Missia. » « Qu’est-ce qu’elle a encore fait ? » interrogea Marie en levant les yeux vers Madame la Mairesse. « Elle est insolente avec moi, avec Philippe et elle tient des propos scandaleux aux enfants. » Marie fronça les sourcils et posa son couteau. « C'est-à-dire ? » « Et bien, elle les pousse à désobéir. Comme s’ils avaient besoin de ça ! » « Ce n’est pourtant pas dans les habitudes de ta sœur, protesta Marie. Au contraire. Elle a toujours trouvé qu’ils étaient très mal élevés et qu’il fallait sans cesse les reprendre. » Catherine, offensée, se raidit sur sa chaise. « J’estime élever parfaitement mes enfants, répliqua-t-elle, la voix vibrante de colère. Et en tout cas, cela ne regarde personne, sinon leur père et moi. » « D’accord, d’accord, dit Marie, apaisante. Et il y a longtemps qu’elle… heu… marche sur les plates-bandes de ton… heu, éducation ? » « Une semaine, environ. Depuis le jour où j’ai constaté la disparition du collier. Je suis sûre que c’est elle la voleuse. » « Cathy, cesse de proférer des inepties, ordonna fermement Marie. Ta sœur a un comportement bizarre depuis un certain temps, mais ce n’est pas une voleuse. Tiens, connais-tu le dernier scandale du village ? » continua-t-elle afin de faire dévier la conversation. Catherine était certes furieuse contre Missia mais pas au point de négliger un commérage. Aussi fit-elle un « non » vigoureux de la tête et demanda-t-elle des précisions. « Rosette a disparu, expliqua Marie. D’un seul coup. Plus personne ne l’a revue depuis quelques jours. Sa mère est dans tous ses états. » « Oh, elle est partie courir le guilledou avec un vaurien de son genre, répliqua Catherine. Tu la connais. Tout le monde la connaît. » « Je sais. Mais quand même… Il parait que les gendarmes vont ouvrir une enquête. » « S’ils se montrent aussi doués pour la retrouver qu’ils l’ont été dans l’affaire du collier, on n’est pas près de la voir revenir », dit Catherine en haussant les épaules. « Ils vont peut-être y mettre plus d’ardeur, suggéra Marie qui avait déjà oublié ce qu’elle avait pensé dix minutes auparavant. Un être humain est plus important qu’un collier. » C’était le genre d’affirmation qui mettait Catherine hors d’elle. Comment pouvait-on prétendre une telle absurdité ? Aucun être humain ne valait un collier d’émeraudes. Surtout son collier. Et surtout pas cette Rosette, insolente, cancanière, et de mœurs très douteuses ; et qui racontait n’importe quoi sur Dieu sait qui. Est-ce qu’elle n’était pas allée affirmer que Catherine se baladait la nuit dans la montagne ? Et puis quoi, encore ? Pourquoi ne pas clamer tout de suite qu’elle avait un amant et qu’elle allait le retrouver nuitamment ?

Estimant qu’elle n’avait plus rien à faire dans cette maison, Catherine se leva et prit congé de sa mère, non sans lui avoir recommandé de tancer Missia et d’exiger d’elle qu’elle cessât ses provocations. Les enfants étaient suffisamment grands pour choisir eux-mêmes les bêtises qu’ils allaient faire. Et pour mettre en pratique leurs talents innés pour rendre fou leur entourage. Marie la vit partir sans regret. Ce qu’elle pouvait être fatigante… Puis son esprit revint à Missia et, soucieuse, elle reprit l’épluchage de ses légumes en tentant vainement de dissiper le malaise qui l’avait tout à coup envahie.

Catherine n’avait pas fait cent mètres sur la route qui menait à sa maison qu’elle rencontra Louis et Sigrid, qui semblaient surgir de nulle part. L’idée qu’ils l’attendaient peut-être derrière un buisson ne l’effleura pas. Mais la vision de ceux qu’elle considérait comme ses meilleurs amis lui rendit sa bonne humeur. Elle s’avança vers eux, le sourire aux lèvres.

(A suivre)


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