Dans les rues tortueuses des bas fonds de Bowerstone, un jeune enfant et sa soeur aînée déambulent, en quête de quelques pièces. Fable 2 débute comme un sombre conte des frères Grimm, même si la cruauté originelle du récit est quelque peu édulcorée par l’enthousiasme des deux jeunes protagonistes.
Avec son esthétique du Moyen Age fantastique très inspirée par les dessins animés, Fable 2 reprend à son compte tous les archétypes du jeu d’aventure, à commencer par un schéma actantiel des plus rudimentaires.
Dans le jeu, chaque personnage remplit un rôle-type, bien identifié : Thérésa, le destinateur, guide le héros, quand des adjuvants, bonhommes, ironiques ou cyniques, viennent l’aider. La trame narrative, lutte atemporelle du bien et du mal, est aussi ponctuée par des étapes traditionnelles du conte, dont le passage par le “négatif”, aussi bien réel, que symbolique. Au fil de l’aventure, le héros est enfin guidé par une traînée lumineuse, qui constitue les rails immatériels de sa destinée.
Contrairement à ce que pense Peter Molyneux, cette approche, ancrée dans une tradition, et finalement assez dirigiste, ne saurait être meilleure ou pire que celle, libertaire, d’Oblivion, titre de référence du studio Bethesda. Il n’y a pas de monopole de l’heroic fantasy, comme il ne saurait encore y avoir d’école européenne du jeu de rôle.
Par ailleurs, si la philosophie générale du jeu est plutôt cohérente, la confirmation du système manichéen de bonté/méchanceté est un archaïsme. Le seul intérêt symbolique de ce procédé est que personnage, sorte de portrait de Dorian Gray virtuel, porte tous les stigmates des choix et des actions passées.
Très porté vers l’action, au détriment de la réflexion, Fable 2 ne réalise pas non plus, à la différence d’un bon épisode de Zelda, la meilleure alchimie possible entre aventure et réflexion. A partir de sa trame élementaire, Fable propose toutefois quelques innovations. Le jeu superpose d’abord les modes de narration, dans une mise en scène assez baroque : du narrateur omniscient au barde qui chante les exploits, l’histoire se raconte à plusieurs voix. Les concepteurs ont également su jouer avec les différentes temporalités. De l’enfance à la vieillesse, les (més)aventures du personnage principal sont narrées dans un temps long, oscillant entre diastole et systole temporelle. Les concepteurs ont aussi su attiser l’intérêt du joueur, en faisant en sorte que la fin de la quête héroïque ne coïncide plus avec la fin du jeu.
Héritée du premier volet de Fable, la mécanique de jeu accorde, de manière assez efficace, la part belle aux aspects sociaux. Pour parvenir à ses fins, le héros ne doit pas seulement maîtriser la magie ou le maniement de l’épée. Il doit aussi apprendre une autre grammaire élémentaire, celle du comportement. Certaines phases de jeu, où il faut séduire, convaincre ou terroriser, sont ainsi très proches des simulations ludiques, comme les Sims. Avec la possibilité de la propriété et des activités commerciales, Fable se mue aussi en proto-simulation de gestion.
Cette cohabitation de genres a priori disparates serait plutôt bienvenue, si elle ne s’inscrivait pas dans une conception nouvelle de l’économie du jeu de rôle. Dans un souci d’ergonomie, la gestion globale de la vie du héros est grandement simplifiée : gestionnaire de quêtes, liste des objets et des capacités. Mais avec cette interface, Fable 2 bannit tout un pan de la mécanique de jeu traditionnelle : la construction progressive d’un personnage. Si le héros peut se parer de mille accoutrements, il n’en demeure pas moins, dans la création de Lionhead, une essence monolithique qui ne meurt jamais.La simplification est encore plus réductrice avec le système de quêtes : dès qu’il le souhaite, le joueur est téléporté, séance tenante, sur les lieux de l’aventure choisie. Avec cette vision parcellaire et utilitariste du monde, Fable produit trop souvent une expérience de jeu stroboscopique.
Laurent Checola
Crédits : Lionhead studios