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Les aventures du Prince Lexomil : XXXV

Publié le 04 novembre 2008 par Porky

Episode 35

Des retrouvailles émouvantes

(Où le lecteur aura sans doute besoin de se rapporter aux cartes du Pays de Déprime parues dans les tous premiers épisodes)

Le TPV n’était certes pas un train à vous faire prendre des crises cardiaques, ni à vous faire exploser les poumons. Par contre, il était à l’origine de quelques attaques de nerfs dans la mesure où, comme le Prince l’avait si bien dit, il se posait devant la première cabane en bois qu’il rencontrait. C’est ainsi qu’ils mirent quatre heures pour parcourir les quelques kilomètres qui séparaient Déprime-sur-Boulot de Congédiement. Lexomil regrettait fortement que la ligne de chemin de fer ne traversât par le fleuve Génétique et ne passât pas par des villes au nom aussi charmant que Déprime-Sur-Amour, Sanglots Nocturnes, Rupture, Tromperie… Ce devait être des endroits bien agréables. « Votre Altesse Royale aura tout le temps d’aller faire son voyage de noces de l’autre côté du royaume, dit Atarax entre deux apparitions d’un contrôleur chargé de lui tendre son portable. Il paraît que c’est encore plus déprimant que tout ce que nous avons vu. » « Oui, mais la mer du Suicide ne m’attire pas tellement, dit Lexomil. Et la Montagne de la Folie encore moins. » « On dit pourtant que Douleur Insurmontable et Désespoir sont de bien belles villes », murmura Atarax qui commençait à s’endormir. « Certes, acquiesça Lexomil. Mais ne pensez-vous pas que pour un voyage de noces… » et il s’arrêta parce que le train, une fois de plus, s’était arrêté lui aussi. « Congédiement, cinq minutes d’arrêt », annonça la voix du contrôleur dans le couloir.

Lexomil se leva et ouvrit la fenêtre du compartiment. Quelle ne fut pas sa surprise en reconnaissant sur le quai celle qui l’avait aidée lors de la douloureuse mésaventure qui lui avait valu une entorse. « La ! cria-t-il. La, La ! » Elle tourna la tête, le regarda, le reconnut et agita joyeusement la main. « Montez ! cria Lexomil, venez dans mon compartiment, on pourra discuter ! » « Je viens », dit La et elle grimpa dans bien que mal dans le wagon.

Une fois les présentations faites (« c’est l’espion royal », avait dit Lexomil en désignant Atarax qui ronflait), on s’installa commodément pour bavarder. La était heureuse de quitter Congédiement. Elle avait trouvé un travail à Coup Dur et ne regretterait certainement pas cette ville où l’on s’ennuyait comme un rat mort. « Mais c’est formidable, dit Lexomil, ravi. On va pouvoir se voir à Coup Dur. Vous viendrez à mes noces, n’est-ce pas ? » « Volontiers, dit La. J’ignorais cependant que vous alliez vous marier. Avec la Demoiselle dont vous m’avez parlé ? » « Voui, fit Lexomil, tellement heureux de prononcer le nom de Citalopram-Biogaran qu’il en perdait son royal vocabulaire. Elle-même. Sa mère a accepté de me donner sa main. Mais il a fallu que je la fasse Princesse de Coup Dur. » « Vraiment ? fit La, intriguée. Vous avez le pouvoir de faire ça ? » « Etant le Prince Héritier du Royaume de Déprimé, je peux tout me permettre », dit Lexomil, modestement et La resta bouche bée en entendant cette révélation.

Lorsque le train s’arrêta –fort longtemps après- en gare de Mise au Placard, La n’avait toujours pas repris ses esprits. Lexomil la claqua gentiment et ce remède salutaire rendit à la jeune femme toute sa lucidité. Se souvenant de l’identité de son gifleur, au lieu de lui rendre sa baffe, elle s’inclina bien bas tandis que Lexomil, confus, la suppliait de se relever que Atarax scandait « plus bas, plus bas, la révérence. » Ces singeries auraient pu durer encore un certain temps si une voix bien connue ne s’était élevée sur le quai de la gare. « Comment, disait la voix, vous n’avez droit qu’à deux heures pour manger à midi ? Mais c’est révoltant. Il faut immédiatement manifester votre mécontentement. Je suis prête à vous aider… » « Cette bonne vieille Fa, pensa Lexomil, épanoui. Elle n’a pas changé. » Et il ouvrit la fenêtre afin de héler la toujours jeune révolutionnaire. Elle était en grande conversation avec un employé de la gare et lui agitait un énorme sac sous le nez. « J’ai là-dedans pancartes et banderoles à profusion, dit-elle. Je vous en vends autant que vous en voudrez. » « Vendre ? fit l’employé, doutant de ses oreilles. Si c’est une plaisanterie, elle n’est pas drôle. Si vous êtes sérieuse, allez vous faire voir. » « Vous ne vous imaginez tout de même pas que je vais vous les donner ? brailla Fa, outrée. J’ai mis des plombes à les faire, j’ai utilisé exactement 850 mètres de drap, six pots de peinture de dix kilos chacun, neuf pinceaux, 75 bâtons en bois et 40 cartons de papier à photocopies. Je veux rentrer dans mes frais. Je vous les fais à 3 anti-dépresseurs la pancarte et 5 anti-dépresseurs la banderole. Et c’est vraiment pas cher, je vends quasiment à perte. » « Fa ! cria Lexomil en agitant la main. Fa, Fa, Fa ! » « Oui, une seconde, répondit la Pasionaria. Alors ? » « Alors, je manifesterai sans pancarte ni banderole, fit l’employé. Adios ! » Et il tourna les talons. « Fa ! Montez dans mon compartiment ! » cria Lexomil. Le regard de Fa se posa sur lui, interrogateur, puis ses sourcils de froncèrent. « Encore vous ! » s’écria-t-elle. « Enterrez la hache de guerre et venez, dit Lexomil. Il y a là des gens qui peuvent former un auditoire intéressant à défaut d’être intéressé. » Fa hésita puis, en grommelant, se hissa dans le wagon.

On fit encore les présentations. « Camarade congédiée, dit Fa à La, j’ai de quoi t’aider à revendiquer quand tu le voudras. » « C’est inutile, dit La. J’ai retrouvé du travail. Et puis, roucoula-t-elle à l’adresse de Lexomil, avec le Prince Héritier comme ami, je ne crains pas grand-chose. » « Quel Prince Héritier ? » dit Fa en se tournant de tous côtés. « Moi, fit Lexomil, toujours très modeste. Je suis Lexomil, le mou fils du super mou. » Et Fa dut s’asseoir quelques minutes, le temps de digérer l’information.

Lorsque le TPV, après avoir cueilli un certain nombre de marguerites et de pâquerettes dans les champs, s’avisa qu’il fallait peut-être accélérer un peu, la gare de Harcèlement ne tarda pas à engloutir dans ses entrailles malodorantes train et voyageurs. Fa était en train d’exposer à Lexomil tout ce qui n’allait pas dans le Royaume de Déprime et exigeait de lui qu’il obligeât son père à se lancer dans les réformes nécessaires, indispensables et vitales. Saoulé au-delà du descriptible, Lexomil promit tout ce qu’elle voulait tandis que La et Atarax avaient l’un et l’autre sombré dans un sommeil comateux.

Pour se remettre de ses émotions, Lexomil ouvrit une fois de plus la fenêtre et aperçut parmi la foule des gens qui tenaient absolument à monter dans le train, un visage connu. Il réfléchit un instant : mais bien sûr, c’était Sol ! Il la héla à grands cris et la jeune femme, ravie d’échapper à des compartiments bondés ne se fit pas prier pour accepter l’invitation de Lexomil.

On fit une fois de plus les présentations. Sol, mise au parfum immédiatement par une Fa péremptoire, s’inclina à son tour devant Lexomil, puis, gourmandée par la Pasionaria (« depuis quand s’incline-t-on devant n’importe qui ? ») s’assit entre La et Atarax. Elle avait décidé de quitter Harcèlement pour chercher du boulot à Coup Dur. N’importe quoi. Le palais Royal avait-il besoin d’une femme de ménage supplémentaire ? « Une femme de ménage, non, dit Lexomil. Mais la Reine ma mère cherche une dame de compagnie. » « Ce travail est pour moi ! » affirma Sol, épanouie. « Ce n’est pas de tout repos, je vous avertis, dit Lexomil. La compagnie de ma mère, c’est pire que le pire des esclavages. Les femmes de ménage sont beaucoup plus heureuses. » « J’ai l’habitude, rétorqua Sol. Sa Majesté Xanaxa ne peut pas être une harceleuse plus harcelante que les harceleurs de Harcèlement. » « Ca, c’est encore à voir », murmura Lexomil et Fa, pour distraire la compagnie, se mit à réciter les Mille deux cents cinquante commandements de la Révolutionnaire Déprimée.

Deux jours et demie plus tard, le TPV atteignait Stress. Les occupants du compartiment princier étaient dans un état variable et varié, selon les individus. On avait ligoté et bâillonnée Fa et Atarax avait cassé tous les portables de tous les contrôleurs. Conséquence directe : Xanaxa en était réduite à parler toute seule dans le Palais, Valium n’accordant aucune attention à ce qu’elle racontait. Lexomil était à peu près frais, La était fatiguée, Sol se sentait devenir « une loque sale et nauséabonde » et Atarax contemplait toutes les cinq minutes la photo de Damoiselle Séropram afin de s’ôter de la tête ses envies de suicide.

A Stress, beaucoup de monde descendit et peu monta. Mais parmi la gent voyageuse trop pauvre pour s’offrir l’avion et devant par conséquent se taper le TPV figuraient trois individus louches dont l’un braillait sur le quai des malédictions envers la société pourrie de Déprime. Lexomil exulta : C’était Do, Ré et Mi ! On n’allait plus s’ennuyer ! Seul inconvénient, mais de taille : résisterait-on à l’envie de jeter le trio infernal par la fenêtre ? Et fallait-il libérer Fa ? On lui ôtait son bâillon pour qu’elle puisse boire et manger et c’était largement suffisant à rendre le compartiment très nerveux. Il n’eut pas le loisir de réfléchir bien longtemps. Do l’avait repéré et agitait les bras vers lui : « Ohé, jeune Camisole, que devenez-vous ? » « Montez avec nous, cria Lexomil, il y a de la place pour tout le monde. » « Ai-je envie d’y aller ? grommela Ré en gravissant les marches du wagon. Il va encore falloir supporter tous ces gens abrutis qui ne diront que des âneries et dont la cervelle est réduite à de la bouillie pour chat dégénéré. » « Avance ! gronda Mi en lui donnant une bourrade dans le dos. Tu verras bien ! »

On fit pour la dernière fois les présentations. « Aimez-vous la littérature ? demanda Ré à La avant même de lui dire bonjour. Je parle bien sûr de la vraie, pas du pipi d’oiseau dont on nous régale à l’heure actuelle. » « Oh, je… Oui, bien sûr » bafouilla La tandis que Fa s’agitait désespérément et ouvrait des yeux grands comme des soucoupes. « La camarade saucissonnée veut parler », fit remarquer Do. On ne tint pas compte de ce qu’il disait. Lexomil déclina sa véritable identité. « Enfin quelqu’un de mon rang », affirma Do sans vergogne. « Un Prince sans culture n’est pas un Prince », déclara Ré, sévère, et Mi se contenta de dire qu’une royauté à cette époque était quelque chose de totalement déplacé.

On parla de choses et d’autres. Le temps finit par s’écouler et, au hasard d’une phrase, Lexomil parvint à placer qu’il allait épouser Damoiselle Citalopram-Biogaran et que tous les voyageurs du compartiment étaient invités aux noces, même ceux à qui cela ne plaisait pas. « C’est un ordre ? » s’enquit Ré. « Oh non, se défendit Lexomil. Une simple invitation. » « Je ne fais que les choses obligatoires, rétorqua Ré. Les facultatives, je m’assois dessus. » « Alors considérez que c’est obligatoire, répliqua Lexomil. Mais j’eusse préféré que vous vinssiez par amitié pour moi. » « Si vous me prenez par les sentiments, vous allez me faire pleurer », avertit Ré et il ne se passa pas deux minutes avant qu’il ne fonde en larmes bruyantes.

L’arrivée à Coup Dur fut saluée par tous comme un soulagement inouï. On délivra Fa qui fonça en courant aux toilettes, chacun descendit avec ses bagages et on se donna rendez-vous le jeudi en huit à quatorze heures au Palais Royal. « Et si la cérémonie a lieu avant ? demanda La. Comment faites-vous pour nous joindre ? » « Ne vous inquiétez pas, dit Lexomil, je connais ma mère. Avant qu’elle donne le feu vert définitif à mes noces, vous avez le temps d’être tous à la retraite. »

Aucune voiture officielle n’attendait le Prince et Atarax. Ce dernier héla donc un taxi et ce fut d’une façon fort peu protocolaire que Lexomil regagna son palais natal.

(A suivre)


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