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La voix humaine

Publié le 06 novembre 2008 par Porky

« Notes pour l’interprétation musicale

  Francis Poulenc

1 – Le rôle unique de La Voix humaine doit être tenu par une femme jeune et élégante. Il ne s’agit pas d’une femme âgée que son amant abandonne.

2 – C’est du jeu de l’interprète que dépendra la longueur des points d’orgue, si importants dans cette partition. Le chef voudra bien en décider minutieusement, à l’avance, avec la chanteuse.

3 – Tous les passages de chant sans accompagnement, sont d’un tempo très libre, en fonction de la mise en scène. On doit passer subitement de l’angoisse au calme et vice-versa.

4 – L’œuvre entière doit baigner dans la plus grande sensualité orchestrale. »

1930 : Berthe Bovy, actrice de la Comédie-Française crée dans ce théâtre le drame de Jean Cocteau, La Voix humaine.

1959 : Vingt-neuf ans plus tard, Denise Duval crée à l’Opéra Comique l’opéra La Voix humaine : le texte de Cocteau est devenu livret, il a été mis en musique par Francis Poulenc

Œuvre singulière s’il en est que ce monologue lyrique, qui se réduit à une longue conversation téléphonique à une voix, celle d’une femme en train de se faire abandonner par son amant. En quarante minutes, au cours de ce bouleversant monologue interrompu plusieurs fois par des coupures de ligne, elle va tenter en vain de le reconquérir, notamment en évoquant les jours heureux de leur liaison. Toute l’histoire tient en quelques mots : à travers un moyen de communication défaillant, c’est une difficile et dramatique rupture amoureuse. 

Achevée en août 1958, l’œuvre lyrique a été écrite pour une interprète : Denise Duval. Cette dernière avait déjà créé le rôle de Blanche de la Force dans les Dialogues des Carmélites du même Francis Poulenc. Voici ce que dit la cantatrice à propos de La Voix humaine :

« La Voix Humaine a été une expérience étonnante pour moi car j’ai vu Francis Poulenc l’écrire, page par page, mesure par mesure, pour moi. […] Je travaillais alors avec mon amie Janine Reiss. […] Chaque jour, Poulenc apportait une ou deux nouvelles pages de sa partition, l’encre à peine sèche et, aussitôt, nous nous jetions dessus Janine et moi. Nous travaillions détail par détail, devant Poulenc qui restait à nous écouter. Parfois, je lui demandais de changer une note ou un passage, pour trouver une plus parfaite harmonie avec ma voix. Ce fut une expérience unique, celle de participer à la gestation et à la naissance même d’une œuvre. […]

« Chaque fois, depuis la création le 6 février 1959, j’ai ressenti cette même impression de devoir agir sur les nerfs des spectateurs à travers une musique, un texte, une mise en scène. Chaque fois, j’ai ressenti cette difficulté à capter le public au début –on perçoit cela aux toussotements, aux mouvements des gens sur leur siège- et puis, au bout d’un quart d’heure, le silence, le poids de ce silence oppressant, et, à la fin, ces corps suspendus qui ne respirent plus.[…] En même temps, c’est une œuvre terrible, à la mesure de son intensité. On peut s’y asphyxier, nouée par le drame et l’exigence vocale tout à la fois. […]

« On peut la jouer en jean ou en chemise de nuit, dans une chambre d’hôtel ou dans une cabine téléphonique : la douleur est partout. » (1)

Quant à Francis Poulenc, voici ce qu’il écrivait à Pierre Bernac en août 1958, alors que l’œuvre était terminée :

« La voix est recopiée. C’est une œuvre « monstrueuse » qui dure 40 minutes mais qui avec les pauses est parfaitement chantable. Il y a des moments où je suis épouvanté par cet intolérable enfant… C’est vraiment de la musique composée en état second. » Le 30 mars 1958, il lui avait écrit : « Blanche, c’était moi et Elle, c’est encore moi. »

(1) Propos recueillis par Alain Duault in L’avant Scène Opéra n° 62.

La didascalie d’ouverture du texte de Cocteau résume à elle seule le drame :

La scène, réduite, représente l’angle d’une chambre de femme : chambre sombre, bleuâtre, avec, à gauche un lit en désordre et à droite une porte entr’ouverte sur une salle de bains blanche très éclairée.

Devant le trou du souffleur, un chaise basse et une petite table : téléphone, lampe envoyant une lumière cruelle.

Le rideau découvre une chambre de meurtre. Devant le lit, par terre, une femme, en longue chemise, étendue, comme assassinée. Silence. La femme se redresse, change de pose et reste encore immobile. Enfin, elle se décide, se lève, prend un manteau sur le lit, se dirige vers la porte après une halte en face du téléphone. Lorsqu’elle touche la porte, la sonnerie se fait entendre. Elle s’élance. Le manteau la gêne, elle l’écarte d’un coup de pied. Elle décroche l’appareil.

De cette minute, elle parlera debout, assise, de dos, de face, de profil, à genoux derrière le dossier de la chaise-fauteuil, la tête coupée, appuyée sur le dossier, arpentera la chambre en traînant le fil jusqu’à la fin où elle tombe sur le plat à plat ventre. Alors, sa tête pendra et elle lâchera le récepteur comme une pierre.

Vidéo 1 – Début de l'opéra : Denise Duval

Vidéo 2 : Scène finale : Léa Sarfati est la femme.


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