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Petite leçon d'histoire pour ceux qui rêvent d'un système bancaire entre les mains de l'Etat

Publié le 08 novembre 2008 par Cabinetal

Filons tout d'abord en 1715. Louis XIV vient de mourir, laissant les finances de l'Etat dans une situation de délabrement colossale : les dépenses annuelles sont doubles des recettes dont la dette publique représente ... 40 années. C'est ni plus ni moins qu'une situation de « banqueroute » ! Un Ecossais, John Law, a l'idée de fonder une banque initialement privée, devenue banque d'Etat, quasi-publique en 1718. Cette banque émet des billets (remboursables contre « métal ») en échange de dépôts d'argent. Les fonds reçus sont prêtés aux commerçants et à l'Etat (au demeurant, les actions de la banque pouvaient être payées contre des titres émis par l'Etat). Toujours avec la bénédiction de l'Etat, la banque de Law contrôle la Compagnie des Indes, créée en 1717, qui obtient le monopole du commerce colonial français. Après un fort engouement (les actions s'échangeront jusqu'à 40 fois le nominal), la confiance s'épuise devant l'absence de résultats et donc de dividendes. La chute des actions provoque une panique bancaire, les déposants voulant récupérer au plus vite leurs avoirs. Et la banque fait simplement faillite, les émissions de billets étant sans commune mesure avec les dépôts. Certes, l'activité économique s'en est trouvée dynamisée et la dette publique réduite mais au prix d'une méfiance exacerbée en regard des innovations financières, même avec la bénédiction de l'Etat.

On pourra toujours alléguer que ce système n'était pas totalement public. Soit ! Si le seul soutien de l'Etat ne suffit pas à l'obtention de ce qualificatif, franchissons quelques décennies.

Nous sommes maintenant à la fin des années 1789. La Révolution Française a besoin de fonds. L'Assemblée Nationale, sur proposition de Talleyrand, décide d'émettre des billets représentatifs de la dette publique, les assignats, qui servent un intérêt de 5 %. Ils sont gagés sur les « biens nationaux », c'est-à-dire les biens du clergé « nationalisés » par l'Etat révolutionnaire (auxquels s'adjoindront un peu plus tard les biens des émigrés ; les titres sont « assignés » sur ces biens, d'où leur désignation). La première émission représente le cinquième de la valeur des dits biens. Pas d'inquiétude donc ! Les sommes collectées sont cependant très rapidement dépensées et une deuxième émission – double de la première - est organisée au printemps 1790. Puis une troisième à l'automne de cette même année. La valeur émise des assignats dépasse alors celle de la garantie. Le doute s'installe sur la valeur réelle de ces titres, transformés en papier-monnaie, d'autant que les émissions se poursuivent : l'Europe est en guerre contre la France, les impôts ne rentrent plus ... Au final, le total des émissions représentera près de 25 fois la garantie, et la valeur des assignats tendra vers 0. Et ce n'est pas faute pour l'Etat d'avoir essayé d'en défendre le cours : à compter de 1793, quiconque refusait l'assignat en paiement était passible de la guillotine !

Circonstances exceptionnelles, objectera-t-on ? Soit. Partons alors aux débuts des années 1980. L'Etat dirige le système bancaire, par détention du capital (« nationalisations » de 1945, renforcées par celles de 1982) ou par tutelle directe (il désigne le patron du Crédit Agricole ou celui des Caisses d'Epargne, par exemple). De fait, le système bancaire fonctionne alors comme un ensemble d'administrations publiques. La concurrence y est faible, les clients y ont peu de latitudes de choix. Faute de concurrence, ses coûts de fonctionnement sont mal maîtrisés. Ses prix – c'est-à-dire les taux d'intérêt – sont élevés et l'Etat doit subventionner massivement, par le recours aux « bonifications », c'est-à-dire la prise en charge d'une partie de l'intérêt par le budget, ce qui au demeurant rend inefficace les politiques monétaires ! Le prêt bonifié est devenu la norme. Le recours systématique au crédit bancaire nourrit l'inflation tandis que la croissance des bilans bancaires ne s'accompagne pas d'un renforcement des fonds propres. Bref ! Le système bancaire s'asphyxie tout doucement et se fragilise en même temps que l'Etat se nourrit de l'illusion de diriger alors qu'il ne fait que poser des rustines sur des tuyaux percés de partout. La loi bancaire de 1984 qui organise notamment la concurrence bancaire, c'est-à-dire la fin du privilège et du passe-droit, est née de contraintes économiques – la lutte contre l'inflation - et budgétaires – en finir avec le formidable gâchis des subventions -. Cette loi a ouvert la porte à la « déréglementation » au cours de la deuxième moitié des années 80 qui a permis aux agents économiques de diversifier leurs sources de financement en abaissant les coûts. Et le grand gagnant, c'est ... l'Etat, qui en France, représente presque 80 % des ressources empruntées sur le marché financier. Cette « déréglementation » s'est par ailleurs accompagnée d'une « rerèglementation » qu'on oublie souvent de citer : obligations déontologiques, protection de l'emprunteur et de l'investisseur, règles rigoureuses de gestion des banques en termes de fonds propres, de divisions des risques, de contrôle interne ... sous la férule de la Banque de France notamment.

Les années 90 verront quelques faillites ... de banques publiques. Tout d'abord, celle du Crédit Lyonnais ! Les qualités qui font un brillant directeur du Trésor ne sont pas celles qu'on attend d'un patron de banque. Confondant coups financiers avec projets industriels, son patron, ancien haut fonctionnaire, monte au début des années 90 sur tous les fronts. Son manque de discernement conduira le Crédit Lyonnais à accumuler les pertes et ce, d'autant plus que l'Etat actionnaire n'a pas joué son rôle de contrôle. Au final, ce seront plus de 15 milliards d'euros de pertes payés par le contribuable !

Le cas du Crédit Foncier est également révélateur. Il subit péniblement la crise immobilière du début des années 90 puis perd en 1995 le monopole des « prêts aidés à l'accession à la propriété ». Incapable de maîtriser ses coûts – être un monopole n'encourage pas une gestion rigoureuse -, il part à la dérive. Et c'est le Groupe Caisse d'Epargne qui le reprend en 1999, retirant ainsi une belle épine du pied à l'Etat.

L'Etat banquier n'est donc pas un modèle de vertu ou de sécurité. Si les banques françaises résistent plutôt bien à la crise financière, même si elles souffrent, c'est parce que depuis les années 80, le double phénomène de « déréglementation – rerèglementation » a reposé sur une véritable séparation des fonctions : le rôle de production revient au secteur privé ; celui de la régulation et du contrôle à l'Etat. Contrairement à une idée répandue, les banques n'ont reçu ces dernières semaines aucune subvention publique. Et c'est peut être même l'action de l'Etat qui aujourd'hui constitue un danger- ce qui, au final, n'est guère une nouveauté -. En poussant à prêter à des emprunteurs devenant insolvables (ou fortement susceptibles de le devenir), il réitère le mécanisme à l'origine de la crise des subprimes. Pourquoi alors pourquoi ne pas plutôt s'attaquer directement à la cause première des difficultés des entreprises et à l'origine de la pauvreté, c'est-à-dire, au final, au manque d'efficacité des actions de l'Etat et des dépenses publiques ?

A.B. Galiani.


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