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La critique d’art a mauvaise presse

Publié le 10 novembre 2008 par Maglesauvage

Raoul Hausmann, Le Critique d'art, 1920

Raoul Hausmann, Der Kunstkritiker (Le Critique d’art), 1919-1920. Courtesy Tate Gallery, Londres

Pas vraiment journaliste, parfois historien de l’art, souvent prof ou « chargé de mission », commissaire d’expo occasionnel, courant la pige comme les musiciens courent le cachet, le critique d’art, comme le soulignait Gaël Charbau dans le dernier numéro de la revue Particules, vit rarement de son art — et encore moins de celui des autres. D’où la propension spectaculaire de certains, explique-t-il, à tenter de se placer en essayant d’élaborer « différents projets au sein du milieu, du moins, si l’on veut vivre financièrement dans l’art », et surtout, en pratiquant le consensus et en confondant com’ et critique.

Parallèlement à cette neutralisation de la pensée critique, on a vu depuis plusieurs années la rubrique Culture des quotidiens, hebdos et mensuels rétrécir à vue d’œil. Et quand il reste quelques pages à remplir, pour la caution intello du canard, bien après le sport, entre les pages Météo et Petites Annonces, elles sont plutôt consacrées à la musique ou au cinéma — industries culturelles autrement plus florissantes. Par ailleurs, un a priori vivace sur la critique d’art, souvent jugé absconse et élitiste, ne va pas dans le sens de la « métroïsation » (ou « 20minutisation ») du journalisme à laquelle on assiste, qui privilégie l’info jetable — courte, digeste et surtout pas polémique.

D’où un malaise grandissant chez les critiques d’art, dont le prestige en prend un coup. Peinant à trouver une oreille attentive et des revenus réguliers, le critique vit mal son immersion dans un monde de plus en plus gorgé d’argent. Dans un article publié dans le magazine Frog, Eric Troncy l’a mauvaise : « L’industrie de l’art déborde de fric, de pognon, de flouze, de pèze, de cash, de blé, d’oseille. A plus savoir qu’en faire, à plus savoir à qui vendre, ni même quoi », ajoutant  avec amertume que « plus personne, ou presque, dans cette industrie, n’a de temps à perdre avec la critique d’art ». Le critique d’art n’a en effet plus sa place dans le système marchand-critique, né à la fin du XIXe siècle — lorsque Félix Fénéon dialoguait avec Bernheim-Jeune pour promouvoir sans équivoque ni concession Seurat ou Matisse, ou Apollinaire avec Kahnweiler pour démontrer au monde la validité du cubisme —, auquel a succédé le système marchand-artiste (voir artiste-artiste, comme l’a montré récemment la réussite de l’opération de Damien Hirst), l’œuvre de celui-ci étant sensée se suffire à elle-même pour « vendre ».

Ceci étant dit, le but de la critique d’art n’est pas de faire vendre les œuvres commentées, et la réduire à cela démontre l’impasse dans laquelle elle se trouve. Expliciter, donner de l’œuvre une vision subjective, à l’aune de critères objectifs, englober de mots une forme ou une démarche afin de les rendre intelligibles, pratiquer la description selon un angle de réflexion, c’est être critique. La critique n’est pas innocente. Provenant d’un contexte donné, elle se doit d’être relative, politique, partiale, injuste, imparfaite. Pas rentable.

  

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