Tu te souviens? Nos deux corps étaient en chaleur d’avoir couru pour échapper à nos ennemis. Tu te souviens comme nous avions soif? Au bas de la côte solitaire et lointaine, il y avait une source cachée. Nous l’entendions sans la voir. L’immense ciel vide de juillet était rempli de sa petite voix. Nous l’avons cherchée en silence et nous l’avons trouvée sous une touffe de fougère. Nous y avons mis nos bouches, tu te souviens? La pureté de la glace dans cette coupe faite pour nos deux bouches.
Mais nous n’étions pas au bout de notre bonheur. Sous un grand pin, nous sommes morts, tu te souviens? Des laboureurs nous ont ramenés au village sur un grand lit de planches et ils ont dit : « Les amoureux sont morts d’amour. »
Moi, je me souviens.
Félix Leclerc, Le calepin d’un flâneur