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Kaspi contre les Vaches sacrées

Publié le 14 novembre 2008 par Nicolas007bis

Marcel

Le rapport Kaspi du nom d’André Kaspi, historien de son état, a provoqué, avant même sa publication, une belle unanimité…contre lui. Il faut dire qu’il a osé s’attaquer à une des nombreuses vaches sacrées de notre beau pays, les commémorations nationales…sacrilège !

Pourtant, fondamentalement, je suis assez d’accord avec les conclusions de ce rapport :

Il y a trop de commémorations nationales en France et leur forme n’est pas satisfaisante.

Néanmoins, la manière qu’a la Commission de justifier cette conclusion ne me paraît ni la plus habile ni la plus pertinente et il n’est guère étonnant que telle qu’elle a été formulée, elle ait soulevé autant de levées de boucliers.

Que dit ce rapport en résumé :

Qu’il y a trop de commémorations nationales en France (12) notamment depuis 1999 puisque depuis cette date, leur nombre a été multiplié par 2 par la grâce de Jacques Chirac particulièrement prolixe en la matière.

La commission justifie cette position de la manière suivante :
« Il n'est pas admissible que la nation cède aux intérêts communautaires et que l'on multiplie les journées de repentance au risque d'affaiblir la conscience nationale ».

Que partant de ce constat, la commission suggère de ramener le nombre de commémorations nationales à trois : le 11 novembre pour commémorer les morts du passé et du présent, le 8 mai pour rappeler la victoire sur le nazisme et la barbarie et le 14 juillet qui exalte les valeurs de la Révolution française.

Les autres commémorations n’étant pas supprimées en tant que telles mais dé-nationalisées pour être ramenées à un niveau local voire privé.

Enfin, dernier élément trop souvent laissé de coté, le rapport appelle à « inventer de nouvelles formes de commémoration »

Ce rapport et les réactions qui ont suivies m’amènent aux quelques réflexions suivantes :

Le fait de dire qu’il y a trop ou pas trop de commémorations doit être considéré en fonction du sens que l’on souhaite donner à chacune d’entre elle et de ce que l’on en fait.
Donner un sens suppose de définir l'objectif que l'on cherche à atteindre. Ensuite, si le constat est fait qu’il y a des redondances entre les commémorations par rapport au message qu’elles ont destinées à faire passer, pourquoi ne pas en regrouper plusieurs sous la même « thème ».

Ce que l’on en fait est également important, une journée de commémoration nationale n’a d’intérêt que si elle permet de répondre à l’objectif qu’on lui a fixé. Si elle n’est perçue que comme un perpétuel retour vers un passé dont on ne tire pas les leçons ou comme une séance annuelle d’auto-flagellation nationale, elle ne sert à rien et pourrait même être contre-productive.

Cette méthode aurait le mérite d’éviter de hiérarchiser ou d’avoir à faire des choix entre les évènements commémorables et ceux qui ne le sont pas, en les réunissant derrière un même message. De plus, elle permettrait de mettre en avant, non pas un évènement « historique », mais une idée forte.

Enfin, en en réduisant le nombre et en leur attribuant un sens clair et sous réserve qu’on leur donne une véritable signification pédagogique, ces occasions de mémoire et de réflexion collective seront plus efficaces.

Sur la base de ces considérations, Je définirais 3 grandes catégories de commémorations:

Il y a les commémorations destinées à rendre hommage aux « morts pour la France » :
• Aux "morts pour la France" de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie (5 décembre),
• Aux « morts pour la France » en Indochine (8 juin),
• Aux « morts pour la France » lors de la guerre de 14-18 (11 novembre)

Il y a les commémorations destinées au souvenir lui-même destiné au « plus jamais ça » qui concernent des évènements suffisamment graves avec :
• La commémoration de l'abolition de l'esclavage (10 mai),
• La journée de la déportation (fin Avril)
• La commémoration de la capitulation de l’Allemagne nazie (8 mai)

Enfin il y a les commémorations destinées à honorer un groupe d’hommes, un homme ou une femme en tant que symboles d’une lutte pour la France :
• L’hommage aux Harkis (25 septembre)
• L’hommage aux Justes de France (16 juillet)
• L’hommage à Jean Moulin (17 juin)
• La fête nationale de Jeanne d’Arc (2éme dimanche de Mai)
• L’appel du 18 juin du Général de Gaulles (18 juin)

Et puis un peu à part, on trouve le 14 juillet, Fête nationale, symbole de la révolution française qui bénéficie d’un statut particulier sur lequel je n'épiloguerai pas.

Si on reprend ces 3 premières catégories que peut-on en dire :
Que les commémorations entrant dans la catégorie « Morts pour la France » pourraient effectivement être réunies sous une même bannière, le 11 novembre par exemple. Honorer ensemble, ceux qui sont morts au nom de la nation au cours d’une guerre menée par le pays quelle qu’elle soit, « bonne » ou « mauvaise » pour peu que l’on puisse faire la distinction, parait logique. Surtout si on considère que ce n’est pas une guerre en particulier dont on veut rappeler les atrocités, les drames et les malheurs mais le fait que c’est le lot de toutes les guerres.

Et puis pourquoi ne remonter qu’à l’Indochine et ne pas commémorer les morts de la guerre de 1870 ou celles provoquées par les guerres napoléoniennes. Pourquoi ne pas commémorer également les soldats français morts en Afghanistan, au Kosovo ou en Afrique …à partir de combien de morts a-t-on le droit à une journée de commémoration nationale ?

La deuxième catégorie est fondamentalement différente.
L’esclavage, la déportation et le nazisme ont ceci en commun, outre leur caractère abject, qu’ils répondent à la définition de « crimes contre l’humanité » telle qu’elle a pu être énoncée par le tribunal de Nuremberg qui le défini comme étant « l’assassinat , l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou après la guerre… ».

En cela ces tragédies ne doivent pas être oubliées ou même diluées au milieu des nombreuses atrocités qui ont parsemées l’histoire de l’humanité.

Elles doivent être commémorées pour se souvenir des faits et des circonstances qui ont provoqué ces évènements mais surtout pour témoigner des horreurs dont l’Homme est collectivement capable si il ne prend pas garde, individuellement, à ne pas se laisser aller à la haine, le racisme, l’antisémitisme ou l’intolérance.

Elles doivent être considérées comme des alertes, des incitations à la vigilance d’autant plus nécessaires quelles s’adressent à des gens pour lesquels ces évènements font partie d’une histoire qu’ils considèrent de moins en moins comme la leur et dont ils se désolidarisent d’autant plus facilement qu’ils sont persuadés qu’avec eux tout cela ne se serait jamais produit !

Or, force est de constater que ces commémorations sont trop souvent perçues comme des réunions de vieux nostalgiques ou pour la commémoration de l’abolition de l’esclavage, comme un moment de repentance collectif au cours duquel la Nation toute entière s’auto-flagelle en psalmodiant « c’est ma faute, c’est ma très grande faute, pardonnez nous » !

Y a-t-il tous les 10 mai un vaste débat, une explication de texte sur le sujet de l’esclavage ? non !

Que ce soit le 8 ou le 10 mai et même la journée de la déportation, ces journées sont trop tournées vers le passé, vers l’aspect « commémoratif », qui en amènent beaucoup à s’en désintéresser prétextant que le passé c’est le passé et qu’il ne sert à rien de le ressasser en boucle.

Pour autant, la solution n’est pas de supprimer ni la commémoration de la déportation ni celle de l’esclavage qui correspondent à des causes différentes et suffisamment graves et exceptionnelles pour mériter qu’une journée leur soit dédiée. Mais sortons de l’idée de pure commémoration pour en faire de vraies journées pédagogiques tournées vers le présent et le futur.

Simone Veil dans un discours en 2006 rappelle très bien pourquoi il est nécessaire de rester en permanence vigilant afin que de telles horreurs ne se répètent pas et pourquoi ces évènements restent encore d’actualité : « … nous connaissons aujourd’hui les méfaits engendrés par les idéologies qui ont semé la désolation au siècle passé. Il faut du courage, je le sais bien, pour renverser les affabulations sur lesquelles se construisent les idéologies de haine. Mais, prenons garde, elles se répandent d’autant plus facilement qu'elles se passent de la vérité, qu'elles opèrent des simplifications afin de s'adresser à tous.

Aujourd’hui, il convient de mettre à bas toutes ces idéologies qui sont nourries de la haine de l’autre. Les nouvelles générations sont aussi vulnérables que celles du passé ; nous les avions crues immunisées par les leçons de leurs aînés et les leçons de l’histoire. En réalité, à chaque époque, de nouvelles sirènes endorment les consciences et attirent vers elles les esprits les plus désorientés et malheureux. »

Ces 2 journées ont tout leur sens dans notre époque ou le racisme et l’antisémitisme sont bien vivaces et l’esclavage, sous des formes diverses, sévit encore un peu partout dans le monde (même en France).

Ces commémorations doivent participer à cette action de vigilance, en cela elles sont importantes voire indispensables mais probablement pas sous leur forme actuelle et en cela la Commission Kaspi a raison.

Quand au 8 mai, je serais assez tenté de le répartir à la fois sur la journée dédiée « aux morts à la guerre » et de l’amalgamer avec la journée de la déportation car, me semble t-il, le nazisme et la déportation des Juifs, des Tsiganes, des homosexuels etc sont si étroitement liés qu’ils ne peuvent se considérer qu’ensemble.

Enfin, il y a la troisième catégorie, un peu hétérogène, je le reconnais, mais qui regroupe néanmoins des individus ou des groupes d’individus vis-à-vis desquels la France a voulu marquer sa reconnaissance considérant que par leur comportements, leurs actions, leurs propos courageux, ils ont honoré la France toute entière.

Je ne vais pas remettre en cause les mérites respectifs de Jean moulin, du général de Gaulles, des Harkis ni même de Jeanne d’Arc et certainement pas celui des Justes, mais néanmoins toutes ces célébrations font un peu liste à la Prévert. Derrière la personne ou le groupe de personnes, il faut chercher le symbole. Jean Moulin, l’appel du 18 juin du Général de Gaulles et Jeanne d’Arc et d’une certaine manière, les Justes également, symbolisent la résistance à l’envahisseur.

Pourquoi ne pas faire une journée de la Résistance au sens large au sein de laquelle seraient honorées toutes ces formes de résistance : celles des Résistants, des Justes mais également de tous ceux qui sans avoir un statut officiel ont résisté, à leur manière, au nazisme ou au totalitarisme sous toutes ses formes.

Quand à l’hommage aux Harkis, sans en contester la nécessité, il me semble qu’il ne se prête pas à une telle commémoration. La meilleure preuve étant qu’elle passe tout à fait inaperçue auprès de la population et que la plupart des politiques y sont indifférents.
De plus cette commémoration constitue l’archétype même de ce que la commission a en tête lorsqu’elle parle « d’intérêts communautaires » et de « journées de repentance ».

Cette journée semble avoir été accordée par jacques Chirac en 2001 sur la base de motivations politiques et par soucis d’essayer de se débarrasser à peu de frais de la mauvaise conscience toute naturelle que la France devrait avoir à l’égard des ces français qu’elle a honteusement laissé tomber.

En conclusion, parmi les 11 journées de « commémoration nationale », je n’en retiendrai que 4 partant du principe que ce qui compte derrière une commémoration c’est le symbole :

• Une date pour honorer les « morts au combat » (le 11 novembre) et par delà pour ne jamais oublier qu’une guerre est toujours une horreur
• La « journée de la déportation » pour tout ce qu’elle révèle sur ce dont est capable la nature humaine lorsqu’elle se laisse aller à ses plus bas instincts et pour ne pas faire la part belle aux mensonges immondes de ces faussaires de l’histoire que sont les révisionnistes.
• La commémoration de l’abolition de l’esclavage, pour les mêmes raisons.
• Et une journée de « la résistance » au cours de laquelle seraient rappelées toutes les formes qu’elle a pris dans l’histoire et toutes celles qu’elle peut continuer à prendre.


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