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Cabinet des antiques

Publié le 14 novembre 2008 par Mtislav
             Si vous voulez rire, lisez la deuxième partie. Si voulez pleurer, lisez la deuxième partie. Si vous n'aimez pas faire la poussière, détestez Balzac et Sulitzer, vous pouvez tout lire.
I - Qui se souvient qu'avant 1981, ils étaient nombreux ceux qui rêvaient de voir Michel Rocard candidat à la présidence plutôt que François Mitterrand ? Entre temps, Michel Rocard a vieilli. Il s'imagine qu'il peut faire office d'historien. Parce qu'il est une antiquité ?
C'est amusant de voir ce qu'il dit du Mitterrand de l'époque. "En ce temps là, nous avions une sorte de "pape" à la tête du parti." C'est un extrait d'un entretien au Monde 2 de la semaine dernière pompeusement intitulé "2008, l'Austerlitz de la pensée social-démocrate". A première vue, vous vous dites qu'il confond Waterloo et Austerlitz, le Panthéon et la fosse à purin.
Revenons sur la parenthèse enchantée, la période 1971-1981. "(...) il y a  des périodes dans la vie du parti où les fractures théoriques ont occupé une place marginale. Ce fut le cas à l'époque où Mitterrand était premier secrétaire. Son charisme, autrement dit l'idée largement partagée que c'était lui qui allait nous mener à la victoire, explique que beaucoup de gens soient restés au fond assez timides sur ce plan-là." Entendez, timide pour ne pas provoquer la fracture théorique. A l'époque, Rocard se voyait déjà au pont d'Arcole. Beaucoup pensaient que Mitterrand méritait le qualificatif que lui avait adressé VGE durant la campagne de 74, "l'homme du passé". On se souvient que Mitterrand se vengera en 1981 en faisant de Giscard "l'homme du passif". En attendant, c'était bien tonton, l'ancien ministre de l'intérieur en 1954  opposé à l'indépendance de l'Algérie, celui qui devenait garde des Sceaux en 56 dans le gouvernement de Guy Mollet. Rocard qui avait 40 ans au début des seventies avait justement rompu avec Guy Mollet à cause de la question algérienne. Rocard était tout neuf, tout propre à côté de celui qu'on n'appelait pas encore tonton.
C'est intéressant de voir comment Rocard analyse sa défaite de l'époque. On se souvient que Rocard avait présenté sa candidature à la présidence de la République en octobre 1980... pour la retirer moins de trois semaines plus tard, le jour où Mitterrand présentait la sienne. Rocard raconte comment il a fait un discours au congrès de Nantes en 1977 sur le thème des "deux cultures" du PS : "l'une plutôt étatique, jacobine, néo-guediste, l'autre moins autoritaire, plus décentralisatrice, plus soucieuse du combat social et de l'avancée par contrat et conventions, s'inscrivant davantage dans l'héritage de Jaurès." On comprend à travers cet autoportrait en creux que sur le plan idéologique, Rocard pensait être à la fois moderne et plus légitime que Mitterrand. Pour revendiquer l'héritage de Jaurès. Rocard venait du P.S.U., Mitterrand de l'U.D.S.R. (ce n'est que plus tard que se popularisa son entière trajectoire). 
Rocard estime avoir effectué une grave erreur tactique en se rendant visible par ce discours et ne peser au congrès de Metz en 79 "qu'à peu près 20 %". Le chiffre qu'à fait la motion Hamon à un point près... 
Si je peux me permettre un petit avis, le charisme dont il affuble Mitterrand a posteriori constitue une explication assez amusante. La défaite de Rocard était bien une défaite tactique, à l'intérieur comme à l'extérieur du parti. Le charisme, Rocard l'avait. Enfin, il en avait autant que Ségolène... Il était minoritaire mais surtout incapable de réaliser l'alliance tactique que Mitterrand avait concocté à Epinay (avec le CERES de J.P. Chevènement). Au congrès, il s'attache Mauroy mais cela ne suffit pas. Pas très bien vu des communistes parce qu'ayant toujours ostensiblement soigné son profil anti-stalinien. La bagarre avec le PC avait abouti à la défaite de la gauche aux législatives de 1978. Bref, Mitterrand tenait le parti. Au congrès, Rocard osa un "entre le plan et le marché, il n'y a rien". Fabius répliqua : "entre le plan et le marché, il y a le socialisme". Heureusement, Fabius était déjà là pour défendre les valeurs de la gôche... 
Rocard a la lucidité d'observer que Mitterrand "a très délibérément coupé toute discussion de fond à l'intérieur du parti". Sur cette période, le témoignage de Rocard vaut le coup : il finit par cafter tous les mauvais coups du vieux cacique.
II - Thomas Wieder, le journaliste qui interviewe Rocard, effectue alors un saut dans le temps et l'interroge sur le fait que le PS a attendu 2008 pour intégrer dans sa déclaration de principe l'idée d'économie de marché. Rocard saisit la perche : "Les Français sont fondamentalement un peuple de paysans et de notaires, pas un peuple de marchands. L'école ne joue pas son rôle en matière d'apprentissage des règles élémentaires de l'économie, de sorte qu'on peut dire à peu près tout et n'importe quoi sur la question." Voilà qui a dû plaire à bien des privilégiés... Quel dommage, ces caboches dures, ces esprits qui résistent au bourrage de crâne le plus élémentaire. Même pas foutus de perdre leur pognon dans des fonds de pension ou des junk bonds... Si les professeurs leur faisaient moins lire du Balzac et un peu plus Sulitzer !
"Les Français ont bêtement préféré voté contre la directive Bolkestein [sur la libéralisation des services à l'intérieur de l'Union européenne] alors que celle-ci avait été réécrite en profondeur par les socio-démocrates européens." Ils sont bêtes. Pourtant, c'était tellement bien écrit. Apprenez-leur l'amour de la littérature. Dès le biberon.  Et les socialistes, qu'en pense-t-il ? Manque de discipline dans le parti. "Fabius n'a même pas reçu un blâme alors qu'en faisant campagne pour le "non" il s'était délibérément assis sur le vote des militants socialistes qui s'étaient majoritairement prononcés pour la Constitution européenne !" Heureusement, au PS, ils ont le sens du ridicule. Ils n'allaient pas en faire un martyr... Mais souvenons-nous, il y a des blessures narcissiques qui ont du mal à se cicatriser. La faiblesse structurelle du PS. "Moins nombreux que les socialistes wallons ! Et qui sont-ils, les socialistes français ? Pour un tiers ce sont des conseillers municipaux, pour un autre tiers des gens qui veulent devenir conseillers municipaux, et pour un troisième tiers des curieux de passage qui s'en vont vite parce qu'ils s'ennuient ferme aux réunions de section..." Les conseillers généraux socialistes apprécieront. Je ne parle pas des sénateurs vexés qui ont quitté le navire. Ce qui est inexplicable, c'est qu'il n'y ait pas plus de curieux pour assister à ces séances d'auto-mutilation collective et qu'on s'y ennuie ! Alors que les Belges se marrent, eux.  

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