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Carmina Burana 1

Publié le 20 novembre 2008 par Porky

Nous quittons, le temps d’un billet, le domaine de l’opéra pur pour entrer dans celui de la « cantate scénique ». Les trois parties de l’œuvre forment un ensemble où se mélangent chant de solistes, très nombreuses interventions du chœur, passages musicaux et danse. Les Carmina Burana peuvent être représentés soit en version concert, soit avec une mise en scène plus ou moins élaborée, ce dernier choix étant rendu possible par les passages dansés.

La réputation du compositeur, Carl Orff, est plutôt sulfureuse à cause de ses engagements politiques. Après le triomphe des Carmina Burana, Orff va devenir l’un des musiciens officiels du Troisième Reich ; il connaîtra après la guerre l’enfer d’oubli réservé aux artistes qui n’ont pas su faire les bons choix. L’œuvre, cependant, va ressurgir quelques décennies plus tard, parce qu’elle échappe, par sa force et sa beauté, aux jugements de l’Histoire.

Né à Munich en 1895, Carl Orff se tourne très tôt vers la composition musicale. Il n’est encore que lycéen qu’il fait déjà imprimer ses mélodies, inspirées à la fois de Debussy, de Richard Strauss, de Schönberg et de Stravinsky. Passionné par la littérature antique, le théâtre notamment, il prend ses nourritures spirituelles où bon lui semble, en autodidacte. Après Wagner, il essaiera de donner au théâtre musical allemand une forme neuve.

Ouvert à tout, il se passionne également pour la danse et fonde avec Dorothée Gunther à Munich en 1924 la Guntherschule de gymnastique rythmique et de danse classique. Jusqu’en 1930, il écrit de nombreuses cantates et forge peu à peu son style basé sur les répétitions de rythmes et les incantations magiques. Il met en forme de drame La Passion selon Saint Luc : c’est la première alliance entre l’oratorio et la représentation dramatique.

Composée entre 1935 et 1936, la cantate scénique Carmina Burana fut créée le 8 juin 1937 à Francfort sur le Main. L’accueil est enthousiaste. « Le compositeur y fond, puissamment, comme dans un creuset, toutes ses expériences et ses découvertes spirituelles. Il unit les éléments essentiels, fondamentaux, du Théâtre Bavarois, le monde spirituel nordique –Shakespeare- et le latin. Sa fréquentation intérieure de Monteverdi n’est pas absente de sa création… Il tente de faire revivre dans un langage actuel, moderne, proche de ses auditeurs, l’héritage profond de l’Occident. » (1)

En 1953, la cantate fut réunie à deux autres œuvres, Catulli Carmina et Triomphe d’Aphrodite pour former un triptyque « Triomphes ». La partition de Carmina Burana ne comporte aucune indication de jeu scénique et aucune exposition d’action. « J’ai simplement extrait ces chansons latines du 12ème siècle de leur contexte, sans commentaire et sans rien y ajouter, pas même une intrigue et je m’en suis servi comme d’une patère où accrocher la musique. On ne saurait vraiment appeler cela un livret. » (2)

Mais que sont, exactement, ces Carmina Burana ? Ils sont connus des érudits sous le nom de Codex Latinus 4660 et ce sont d’importants textes littéraires de l’Allemagne médiévale. Le manuscrit a été trouvé au monastère bénédictin de Beuren (d’où le titre : carmina burana = chants de Beuren) et se trouve actuellement à la Bibliothèque d’Etat de Monaco. Ce manuscrit rassemble quelque deux cents chansons du 12ème et 13ème siècles ; elles sont écrites en latin, en vieux français, en allemand ancien. Ce sont des chansons profanes pour la plupart, souvent dionysiaques, voire paillardes, dont les auteurs sont anonymes ; on trouve également des hymnes à la nature et à l’amour mais aussi des satires ironiques et acerbes de la dégradation des mœurs ou des abus de l’Eglise et de l’Etat. C’est la deuxième phase du Moyen Age : païen, près de la terre, admirant la beauté de l’univers mais déjà teinté d’un pessimisme matérialiste.

Carl Orff fit son choix parmi tous ces chants et à partir des textes, créa un spectacle qui n’est plus l’opéra traditionnel mais quelque chose où s’entremêlent danses et chansons. « Ici, dans Carmina Burana, mélodie, rythme et timbre sont souverains. […] De la répétition obstinée de motifs cycliques, roulant sur eux-mêmes –la roue symbolique de la Fortune est l’idée motrice de cette œuvre- soutenus par un accompagnement élémentaire, d’un puissant et violent effet dynamique, naît une impression d’ivresse, d’emportement. Le mot lui-même, -la langue morte : le latin- sert de parti pris répété à l’infini et, prisonnier des volutes de la mélodie, devient incantation magique : l’auditeur, le spectateur sont pris, envoûtés, conduits vers un climat obsessionnel et irrésistible, tel en ces cérémonies rituelles des religions primitives. Le rythme, la danse, le chant martelé sont repris jusqu’à l’angoisse ou à l’extase. » (1)

(1) Martine Cadieu

(2) Carl Orff

L’œuvre est écrite pour deux solistes principaux, une soprano et un baryton, et un soliste secondaire, un ténor, un petit chœur, un grand chœur, un immense orchestre, des danseurs et des mimes. Elle est divisée en un prologue et trois parties d’inégale longueur.

PROLOGUE : FORTUNA IMPERATRIX MUNDI (Fortune, impératrice du monde) – Sans doute le passage le plus connu des Carmina Burana. Cet hommage à Fortuna, déesse romaine du Destin, repose sur la répétition lancinante du même motif. Il ouvre et il ferme la cantate car on le réentendra à la fin de la troisième partie.

PREMIERE PARTIE : PRIMO VERE (Premier printemps) - Cette partie est divisée en deux sous parties : la première comporte les numéros 3 à 5 ; la seconde, nommée « Uf dem Anger » comporte les numéros 6 à 10. On célèbre le printemps par des chants et des danses.

SECONDE PARTIE : IN TABERNA (Dans la taverne) – Cette partie comporte 4 numéros, de 11 à 14. Ce sont les épisodes les plus théâtraux de la cantate. Changement de climat. On entre dans l’enfer des tripots et des tavernes, où règnent lascivité et atmosphère pernicieuse. Le baryton y proclame sa foi en la doctrine d’Epicure puis le ténor, ivre mort lui aussi, chante et provoque les commentaires du chœur.

TROISIEME PARTIE : COUR D’AMOUR - Divisée en trois sous parties, la « cour d’amour » chante l’amour en une alternance soli / chœurs. La première sous partie comporte les numéros 15 à 23 : dans un langage où le provençal se mêle au latin, le baryton parle de l’amour. La seconde sous partie ne comporte qu’un numéro, le 24 et s’intitule « Blanziflor et Helena » : le chœur y chante la beauté de l’amour. Enfin, la dernière sous partie, composée d’un seul numéro elle aussi, « Fortuna imperatrix mundi », voit réapparaître en final l’éclatante louange d’ouverture de Dame Fortune. Les chœurs chantent la joie du monde et la puissance de la Roue qui tourne, emportant les hommes vers leur destin.

Vidéo 1 : Extrait du film tourné par Jean-Pierre Ponnelle avec Lucia Popp et Hermann Prey : Fortuna imperatrix mundi. Ce morceau, on ne peut pas le rater…

 

Vidéo 2 : même film - In taberna


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