Les marchés n’étant soutenus que par la psychologie, la confiance ayant presque disparu pour cause de crédits toxiques, rien d’étonnant à ce que resurgissent les monstres mythologiques. On connaît l’Ogre en Europe et Godzilla au Japon ; Jean de Patmos avait décrit minutieusement la Bête de l’Apocalypse, visionnée dans ses fantasmes. Aujourd’hui, pour les marchés, le monstre a pour nom Déflation. Nous l’avons déjà connue, mais il y a longtemps, ce spectre des années 1930. Mais plus la réalité est loin, plus le retour éventuel de conditions proches prend des proportions apocalyptiques. Jeudi, l’indice CAC 40 a baissé sous les 3 000 points. Les deux franchissements du seuil avaient été faits en séance, les 24 et 27 octobre.
New York donne le ton, puisque marché le plus liquide de la planète et représentatif de l’économie-monde qui est américaine. L’indice Dow Jones a plongé mercredi à ses plus bas niveaux depuis plus de cinq ans, donc tout baisse, en sympathie. La crainte des investisseurs sur le Dow Jones s’appelle Déflation. Un candide qui connaît un peu la langue française pourrait se dire qu’il y a l’inflation que tout le monde connaît bien, qui est la hausse des prix ; la déflation serait donc le contraire, la baisse des prix. Eh bien non : ça, c’est la désinflation, la pure et simple résorption de la bosse que font les chocs sur les prix. La déflation, c’est autre chose, en pire : c’est la baisse combinée de la plupart des prix ET des coûts. Non seulement tout baisse, mais les actifs et la production aussi, donc les salaires, les emplois, l’investissement, l’innovation… Il s’agit d’une spirale infernale, d’un cercle vicieux où la baisse engendre la baisse, précipitant les économies d’une situation « normale » de croissance à une situation dramatique de dépression. Et pourquoi cela ?
Le candide en question pourrait penser que, puisque tous les prix baissent, les entreprises peuvent produire à moindres coûts et les salariés, même moins payés, s’en sortir. Eh bien non : ça, c’est la désinflation. La déflation, c’est autre chose, en pire : les endettés se trouvent de plus en plus endettés et les rentiers de plus en plus confortables. Si les prix baissent et que votre rente se maintien (votre épargne étant investie en obligations à taux fixe par exemple), vous devenez plus riches – pourquoi voulez-vous prendre le risque des actions ? A l’inverse, si vous êtes endetté comme un particulier en immobilier, un commerçant pour son stock ou un État en déficit, vos rentrées de loyers, de salaires ou d’impôts vont fondre mais vos remboursements vont rester constants – comment pourriez-vous prendre le risque de consommer ou d’investir ? Dans les deux cas, le risque ne paie pas puisque ce qui vaut 100 aujourd’hui vaudra moins demain. Autant thésauriser. C’est d’ailleurs l’approche des écolos intégristes qui prônent la décroissance, puisque le climat se dégrade, les poissons disparaissent, le pétrole se raréfie… Pourquoi prendre le risque de la croissance ? Suivons Malthus et sa continence, rencognons-nous chez nous, ne faisons plus de gosses, cessons de consommer, attendons le Déluge.
Si, hier investisseur, vous gardez aujourd’hui tout bonnement votre magot en coffre, vous aller gagner du pouvoir d’achat sans rien faire et sans aucun risque – puisque la déflation fait baisser les prix des biens et des actifs. Le patron qui utilise ses capitaux pour créer une entreprise, acheter des machines, embaucher des salariés, ne sera pas sûr de vendre avec un bénéfice, puisque tout vaut moins d’un jour à l’autre. Ce pourquoi la conjoncture se fige peu à peu et que le chômage augmente. Et que la bourse baisse. La situation étant perçue comme plus grave qu’avant, nous devrions voir des indices plus bas qu’avant : le niveau 2650 sur le CAC semble un support, atteint fin 1997, à l’été 2002 et au printemps 2003. Je ne dis pas que nous allons y aller, je dis qu’il s’agit d’un support « superstitieux » plausible pour terminer la séquence baissière qui a commencé en juin dernier. Comme je l’ai déjà dit, ce ne sera sans doute que la première jambe d’une figure en double-creux, classique des périodes où la crainte laisse place à l’euphorie, avec des retours de crainte.
La seule solution pour briser la spirale infernale est d’injecter des fonds pour renflouer la consommation des ménages et donc inciter les entreprises à investir : d’où les plans de relance. Mais à condition que la demande puisse être remplie par les entreprises nationales – sinon ce sont les importations qui vont exploser alors que l’investissement national ne décollera pas. C’est typiquement le danger français : à part l’immobilier et pour moitié l’automobile, tout le reste (agroalimentaire, habillement, jouets, informatique, films et disques…) est majoritairement importé de Chine, d’Allemagne, du Japon ou des États-Unis. Ce pourquoi le « remède keynésien » est chez nous devenu relativement inefficace (la relance par la dépense publique pour lequel l’économiste anglais des années 30 John Maynard Keynes est célèbre dans les cercles technocratiques parisiens). En revanche, il serait efficace sur l’ensemble de la zone euro. Mieux vaudrait conforter en France l’offre, c’est-à-dire les entreprises, qui investiront et créeront des emplois, donc de la consommation et des impôts.
Mais tant que rien de concret n’est fait – et il faut attendre février-mars pour que l’équipe Obama se mette enfin en place – pourquoi voudriez-vous que l’investissement en actions retrouve quelques couleurs ? Il y aura les yoyos habituels, pas de quoi investir.