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Why not blog : la vulgarisation est aussi affaire de terrain!

Publié le 20 novembre 2008 par Timothée Poisot

Le mot d’ordre du C@fé des Sciences, vous le savez maintenant, est d’amener un maximum de chercheurs et de doctorants à utiliser le blog comme un outil de diffusion du savoir scientifique. Savoir scientifique doit ici être pris dans son sens le plus vaste : non seulement de la réaction à l’actualité, comme donner son avis, ou offrir une perspective sur des papiers récents dans le domaine qui nous intéresse, mais aussi entretenir un bruit de fond à fort contenu scientifique, dans le souci de diffuser en permanence de la science dans la société. Et bien sûr, ne pas oublier de présenter l’aspect humain de la recherche, et des chercheurs qui la font.

Mon attrait pour le dialogue scientifique, au sens large, c’est à dire entre scientifiques de disciplines différentes (et c’est à ce moment là qu’on entre dans la vulgarisation, dès qu’on ne parle plus à un collègue spécialiste!) aussi bien qu’entre science et société (et réciproquement!) date de la première fois où… je n’ai pas fait de science. C’est en ayant l’opportunité de réfléchir à des questions de socio-économie avec mon approche et mes outils conceptuels de biologie évolutive que j’ai compris qu’un dialogue transversal était important. Et dans le même temps, en découvrant les idées de personnes comme Funtowicz & Ravetz, qui cherchent à estimer la valeur du chant d’un oiseau, en bref en me frottant à la science post-normale par le biais de questions environnementales, que j’ai compris qu’il fallait alimenter un débat sociétal avec des faits scientifiques.

La science post-normale se définit comme une science dans laquelle les faits sont incertains, les valeurs discutables, les enjeux élevés, et les décisions urgentes. Ce qui caractérise cette science, c’est qu’elle introduit un concept de communauté de pairs étendue, et par là même, des faits étendus. Autrement dit, on invite à parler tous ceux qui sont concernés et qui ont quelque chose à exprimer par rapport au sujet, et on utilise tout le matériel théorique et factuel disponible. Le territoire sur lequel règne la science post-normale est celui des grands débats science-société : les OGM, le changement global, et d’autres débats de ce type.

A mes yeux, la vulgarisation doit tenir de cette manière d’aborder la science, en permettant à tous les acteurs d’échanger autour d’idées. Dans un précédent billet, je vous livrais toutes les raisons pour lesquelles je tiens un blog. Aujourd’hui, il me semble important de faire l’exercice inverse, c’est à dire de détailler les raisons qui me pousseraient à ne pas tenir de blog de science. Ou plutôt, pour être exact, toutes les raisons qui font que je ne me limiterai pas à tenir un blog de science, et que je compléterai cette activité par un travail “de terrain”.

Blog de science, où plutôt blog de scientifique (d’autres diraient blog de principe contre blog de forme). Blog de scientifique, parce que si j’utilise le blog avant tout comme un outil pour arriver à mes fins (diffuser un peu de science), c’est aussi un espace dans lequel je me permet une liberté d’expression importante. J’oppose, en quelque sorte, le blog de scientifique au blog de science, dans la mesure ou le blog de science n’est à mes yeux qu’une utilisation de l’outil pour faire passer une information dé-personnifiée. Dans les blogs de science, par exemple, on trouvera The Great Beyond, qui traite d’information scientifique, ou encore… PLoS One! PLoS One est un bon exemple du fait qu’utiliser un support type blog n’assure pas d’être un moyen de diffuser l’information. Les revues à comité de lecture ne participent pas à la diffusion de l’information vers la société, puisqu’elles sont destinées à fonctionner dans le vase très clos du milieu académique, et plus précisément chaque papier circulera dans un petit groupe d’experts. Si l’on veut instaurer un dialogue, il est donc nécessaire de se poser la question des modes de communication alternatifs.

La diffusion de l’information sera donc le fait, soit de personnes enthousiastes ventilant l’arrivée d’une nouvelle information, soit des chercheurs et producteurs de science eux même. Et surtout, il faut s’assurer qu’en plus de diffuser l’information, on en permet la réception optimale.

Network effect

D’autres se posent la question!

Le premier point tient de “l’écologie” de la communication scientifique. Pour que de l’information passe d’un compartiment à l’autre, il est nécessaire d’établir un contact. On ne peut que déplorer que les chercheurs, dans la grande majorité, n’aient pas cherché à établir ce contact. Cependant, il serait malhonnête de leur jeter la pierre : les opportunités et les outils n’étaient pas aussi nombreux qu’ils ne le sont maintenant. Tenir un blog est un grand pas en avant, mais c’est une action qui trouve ses limites rapidement : n’ont pas accès à l’information ceux qui n’accèdent pas à l’informatique. Le credo actuel de notre ministère est justement 100% de numérique pour 100% des étudiants. Je m’y oppose, pour deux raisons. D’une part, je pense que rien ne permet de mémoriser une information aussi sûrement que de l’écrire, et qu’on travaille beaucoup mieux sur des documents papier. 75% de numérique me semble être un maximum. D’autre part, le contact humain est un moteur important dans l’apprentissage et la compréhension. Il n’y a pas de raison qu’il en soit autrement dans la vulgarisation; rappelons nous un instant que Montaigne disait, dans ses Essais, [je] n’enseigne point, je raconte.

Faisons notre cette volonté de raconter la science, de le faire au coin du feu, du bar, de la rue, ou de toute autre chose à laquelle vous pourrez penser; prenons le soin de ne pas faire que de la publication, en changeant les codes d’écriture. Oublions un instant que quand on parle d’un chercheur, on dit un auteur, et qu’on utilise littérature pour désigner tout ce que la science a produit avant nous. En bref, décollons nous de l’écrit, et sortons des labos — tout au moins, ouvrons les!

Le second point est plus ou moins inhérent au premier. Rien ne remplace le contact direct. Plus de 90% de ce que nous échangeons durant un dialogue face-à-face est non-verbal. Si l’on s’en tient à ce que l’on sait de la compréhension des e-mails, vous aurez reçu correctement environ 400 mots sur les 1020 que compte ce texte jusqu’à la fin de cette phrase!

A partir de ce constat, je pense que la réponse à la question why not blog? que je posais en début de billet est plus claire. Ne pas bloguer, en tout cas ne pas seulement bloguer, parce qu’on peut faire passer un message autrement. Parce qu’on peut aussi travailler à plusieurs “en vrai”, plus efficacement. En enfin, parce que j’ai envie d’une autre forme d’interaction, plus locale, plus humaine.


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