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Séance du 17/11/2008

Publié le 21 novembre 2008 par Colbox

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Il n’est d’humanité que sexuelle
(De la pulsion au désir 2)

« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme… » ça n’est pas du Freud, c’est du Lavoisier.
« Nous ne pouvons renoncer à rien, nous ne faisons que remplacer une chose par une autre ; ce qui paraît être un renoncement est en réalité une formation substitutive ou un succédané.. » , ça c’est Freud.
La parenté se situe dans l’économie, dans le traitement de celle-ci, et Freud gardera cette position de principe au moins jusqu’à ce qu’il introduise « l’au-delà du principe du plaisir ».
Cette leçon, c’est aussi celle qui lui a permis de découvrir à la fois le champ de l’inconscient et la méthode psychanalytique qui autorise sa lecture.

« Rien ne se perd… » est à entendre encore à partir de ce que montre l’hystérique qui « souffre de réminiscence ». Rien ne se perd et donc « l’oubli n’est là que pour mémoire » , et cette mémoire refoulée et inconsciente fait retour avec les symptômes et autres formations de l’inconscient.
En 1895, dans « l’Esquisse », Freud constate que « Il doit exister un caractère de la représentation sexuelle qui explique que seules des représentations sexuelles soient soumises au refoulement… » puisque c’est bien de cela qu’il s’agit avec les réminiscences des névrosés.
Il le réaffirmera en 1938, dans son dernier ouvrage inachevé (« L’abrégé… ») : « …théoriquement rien n’empêche de supposer que toute revendication pulsionnelle, quelle qu’elle soit, puisse occasionner les mêmes refoulements et leurs conséquences ; mais l’observation nous montre invariablement, dans la mesure où nous pouvons en juger, que les excitations qui jouent ce rôle pathogène émanent de pulsions partielles de la sexualité… Le point faible de l’organisation du Moi gît dans son comportement à l’égard de la fonction sexuelle. »
En publiant en 1905 les « Trois essais sur la théorie sexuelle », qui sera sans doute l’ouvrage qui lui vaudra le plus grand opprobre de la part de ses contemporains, Freud propose, en quelque sorte, le résultat le plus conséquent de sa découverte : Il n’est d’humanité que sexuelle !
C’est cette affirmation, que je livre là de façon très condensée et provocante, qui vaut encore à Freud et à la psychanalyse tant de résistances sans doute encore aujourd’hui.
Avec ses « Trois essais… » Freud sera accusé de pansexualisme, mais, comme nous le rappelle J. Laplanche ce « pansexualisme, c’est la découverte que, dans l’exploration de l’inconscient, qui est le domaine spécifique de la psychanalyse, il n’est pas de cheminement qui ne coupe et ne recoupe sans cesse des représentations sexuelles. Si elle n’est pas tout, la sexualité est néanmoins présente partout dans le champ psychanalytique : elle est coextensive à l’inconscient ».
De plus, non content de nous signifier que notre humanité tient à notre sexualité (et il ne s’agit bien évidemment pas seulement de la sexualité comme aspect de la vie humaine, mais de comment elle prend place dans la constitution de notre humanité, dans tous les sens du terme), ces trois essais viennent battre en brèche nombre de conceptions ou de représentations apparemment organisatrices de nos rapports intra et inter humain.
Par exemple : Le premier essai sur « les aberrations sexuelles » aura pour effet de replacer ces aberrations dans le cadre même de la sexualité humaine telle qu’elle ne peut que se développer. Ce qui aura pour signification qu’il n’y auraient d’aberrations qu’au titre de la répression. La répression ne viendrait pas seulement repousser une déviation, mais la créerait de toute pièce au sens où elle lui apporterait sa consistance de déviation. Hors de l’instance répressive, l’aberration n’est plus qu’une voie de satisfaction parmi d’autres.
Le second essai, sur « la sexualité infantile », vient à son tour ruiner la conception d’une sexualité humaine uniforme qu’on pourrait qualifier de « naturellement génitale », au sens où elle pourrait y trouver à la fois son origine, sa justification, sa modélisation et son objet. Freud nous montre qu’il n’en est rien et qu’au contraire la vie sexuelle adulte sera tributaire des expériences constructives et/ou traumatiques de la vie sexuelle infantile avec sa temporalité particulière et son histoire singulière : « Les déviations sexuelles sont donc déterminées par les impressions de la période infantile » nous dit-il clairement et preuves à l’appui.
Quant au troisième essai : « Les remaniements de la puberté », il tend à nous montrer que la découverte de l’objet sexuel (hétéro érotique) risque d’être tout sauf justement une découverte, puisque les chemins parcourus des satisfactions pulsionnelles, plus ou moins intenses et répétées, n’auront de cesse que de faire ressurgir les souvenances de plaisirs perdus, reliés à des objets toujours déjà connus, toujours déjà liés à des représentations inconscientes.

Autrement dit, là aussi, pour ne pas dire, là surtout ; là, dans le champ omniprésent de la sexualité, le sujet humain n’est pas non plus maître de son destin. Il n’est pas maître de sa destinée au sens où d’un côté, ses prédispositions – de quelques natures qu’elles soient – ne seront que des occurrences parmi d’autres, et, d’un autre côté, sa volonté ne pourra se situer qu’au titre de suivre ou non des choix, dont il ne prend connaissance qu’après les avoir opéré, presque accidentellement, et en tous cas à son insu même.
La teneur du message est donc on ne peut plus subversive de la part de Freud ; et on peut penser que c’est justement un de ses buts quand il publie ces trois essais, car l’écriture de ceux-ci est très soignée, au sens où l’auteur respecte ses lecteurs. Il s’adresse à un large public, comme en témoigne la parcimonie avec laquelle il utilise les termes techniques qui sont quasiment totalement absent de cet ouvrage. C’est une sorte de renvoi qu’il fait là, au sens où l’origine comme la destinée de sa découverte se situe bien dans le monde social qui est le sien. Nous sommes dans le cadre de la psychopathologie de la vie quotidienne, et Freud ne réserve pas sa communication au monde scientifique de son époque, qui le lui rend bien d’ailleurs ; Il a bien conscience que sa découverte est d’importance et il le manifeste par son souci pédagogique.

Maintenant, les propositions qu’il soutient sont choquantes : L’observation et l’écoute des bébés et des enfants, permettent de rendre compte des pathologies et des dispositions perverses de la sexualité adulte. Enfin, et non des moindres, on peut retrouver chez l’enfant toutes les manifestations des pulsions sexuelles, dont on retrouve les représentants et/ou les représentations dans l’inconscient des sujets névrosés qui présentent des symptômes.
Partant de là, il est possible de retrouver une théorie, basée en partie sur l’observation directe et sur le matériel fourni par la méthode psychanalytique, qui rend compte de la quasi-permanence du sexuel, de la libido sexuelle, dans l’étiologie des névroses (voire des psychoses).
Cette théorie va de paire avec celle de la pulsion, et en particulier de la pulsion sexuelle. Et c’est le début de cette théorisation de la pulsion sexuelle que promeuvent ces trois essais.
Qu’est ce que nous donne l’observation directe des enfants alliée et/ou corroborée du matériel inconscient des analysants ?
Qu’il y a très tôt deux registres pulsionnels l’un étant purement d’ordre vital, l’autre, qui s’éclaire après-coup, et qui est lui d’ordre purement sexuel. Le second venant comme effet supplémentaire du premier pour s’individualiser ensuite, là encore, dans l’après-coup.
Ce registre de la pulsion sexuelle prend naissance dans l’après-coup, en ceci qu’elle naît de son effet, c’est à dire de sa satisfaction. Freud soutient, pendant un certain temps qu’il est impossible de différencier ce qu’il en serait de l’excitation de ce qu’il en est de la satisfaction : L’excitation vaut pour satisfaction.
Ceci aura pour effet de produire d’emblée une topographie corporelle des zones érogènes qui sont potentiellement excitatrices, cartographie calquée sur les fonctions vitales du corps et en particuliers sur les zones orificielles de celui-ci.
En ces endroits de sollicitations internes comme externes, les réalisations de la pulsion sexuelle suivront un certain ordre temporelle d’investissement. Ordre qui donnera une diachronie sous forme de stades de la sexualité infantile, et comme tout ordre celui-ci sera susceptible de perturbations ou de variations. L’important ici étant le constat, à la fois dans l’observation et dans le matériel des représentations inconscientes, que chaque source pulsionnelle peut fonctionner en toute indépendance vis à vis des autres, et que chaque manifestation pulsionnelle n’aura pas d’autre objet que sa source elle-même : nous sommes dans l’ordre d’une sexualité autoérotique.
A cette diachronie sous formes de stades on peut faire correspondre deux types de lectures que Freud aura tour à tour : Une lecture biologique, où des étapes physiologiques s’enchaînent les unes après les autres, avec des rapport de forces constitutionnels ; et une autre lecture, plus proche d’une réalité psychique, où il s’agit, de stade en stade, d’une succession d’inscriptions d’un même texte, traduit, retranscrit, dans un autre registre (comme le théorisera beaucoup plus tard F. Dolto avec la notion de castrations orificielles successives).
Il semble que ces deux lectures soient liées et indispensables l’une à l’autre, sachant que la pulsion n’est abordable dans le registre de l’inconscient que par l’intermédiaire de ses représentations, et que ces représentations se construisent à la fois d’événements physiologiques, et de leur prise dans un langage qui n’est pas sans adresse.
De cette sexualité pulsionnelle partielle, aux satisfactions partielles, se dresse un tableau de perversion que Freud baptise polymorphe et qui caractérise donc cette sexualité de l’enfance. Et, la polymorphie, à l’image de la perversion, est sans limites puisque toute zone corporelle, tout fonctionnement corporel, toute sensation corporelle extero ou intéroceptive, va pouvoir, pourvu qu’un certain seuil d’excitation est atteint, pourvu que cette excitation soit répétée, va pouvoir, à n’importe quel titre, devenir zone érogène.
Autrement dit, au pansexualisme du refoulé correspond un possible pansexualisme du fonctionnement corporel, et c’est un pansexualisme multicentrique. (Il faudrait ici, pour être plus complet, ajouter que ceci va de paire avec un pansexualisme fantasmatique.)
Le passage de ce polymorphisme pervers à une sexualité adulte génitale socialisée est donc un chemin semé d’embûches, le long duquel va se mettre en place un rassemblement des motions pulsionnelles partielles autour de la pulsion génitale, sans que cette dernière n’ait jamais totalement raison des autres, qui perdurent, qui restent associées, ne serait-ce qu’au titre des préliminaires de l’acte sexuel.
Pour en arriver là, pour en arriver à ce primat du génital dans la sexualité, le sujet va devoir en passer par un certain renoncement. Mais, on le sait, dans l’inconscient il n’y a jamais de véritable renoncement, il y a des transpositions, des transformations, des déplacements. En cet endroit, le sujet devra donc en passer par le refoulement ou par d’autres voies de déviations, qu’il s’agisse de la formation réactionnelle ou de la sublimation, et parfois par la création de formations de l’inconscient (symptômes, rêves, etc.).
Par ailleurs, sur le chemin de l’avènement du primat du génital, il faut prendre en compte l’histoire individuelle du sujet, et toutes les occurrences que Freud qualifie d’accidentelles, parmi lesquelles la théorie de la séduction (réelle ou fantasmatique) vient prendre place, et laissera des traces en lestant les représentations psychiques inconscientes refoulées.
Autrement dit, si la névrose est l’envers de la perversion, ou son négatif, c’est au même titre que dans la photographie argentique : Pas d’image sans son négatif. Et le négatif garde ce que l’image ne peut pas montrer. (Pour mémoire Freud publiera « La Gradiva… » quasiment en même temps que les trois essais.)

Au-delà de la description d’une observation de la sexualité de l’enfance, Freud dresse le tableau plus structurel d’une « sexualité infantile » à l’instar de la « névrose infantile » qu’il mettra en évidence plus tard , comme un passage obligé et nécessaire à la mise en place, toujours unique et problématique, d’une sexualité névrotique qui caractérise l’humain. Un humain qui est socialisé et dont Freud se demande ouvertement si la manière dont est structuré ce social permet le vécu d’une sexualité génitale pleinement satisfaisante.

Pour s’en tenir aujourd’hui à ce que Freud nous amène en 1905 avec ces trois essais, il est essentiel de garder à l’esprit ce qu’il souligne à propos de la pulsion sexuelle, c’est à dire le caractère limite du concept même de pulsion, limite au sens où cet « être mythique », comme il le rappelle, a un pied dans le somatique et l’autre dans le psychique, c’est à dire dans la réalité psychique, fût-elle inconsciente. « La découverte de la sexualité dans l’exploration psychanalytique des névroses n’est pas autre chose que la mise à jour des représentations qui sont à la base du symptôme ou du rêve » comme le signale J. Laplanche .
Autrement dit nous n’avons à faire qu’à des représentants de la pulsion qui reste, quant à elle, hors d’atteinte par le refoulement comme par le travail analytique puisqu’elle est ancrée dans le somatique. Tout au plus pouvons nous en connaître son but et son objet qi offrent à représentations.
Pour compléter ce tableau temporaire de la pulsion, Freud fait appel à une représentation énergétique des forces pulsionnelles sexuelles en individualisant la libido comme différente de l’énergie psychique de base, comme le représentant psychique de l’énergie, ou de l’excitation, sexuelle. Une libido qui est d’abord celle du Moi, une libido narcissique, pour aller ensuite d’objets en objets.
Si on veut résumer, en ce point ce que Freud amène avec son élaboration du développement de la vie pulsionnelle infantile en tant que construction de la future sexualité humaine, c’est bien que cette dernière risque bien, à plus d’un titre, de rendre compte de bon nombre de pathologies psychiques. Et, en cela, il nous pointe nombre de rapprochements entre ce qu’il connaît des névroses constituées comme l’hystérie, et ce qu’il aurait pu appeler la période de « névrose sexuelle infantile », avec par exemple les constats d’une même et conséquente amnésie ainsi que d’un même polymorphisme d’expression des motions sexuelles…
Le progrès suivant que fera Freud, en suivant cette voie là, sera acté par l’écriture et la publication de trois textes qui sont, après-coup indissociable des « Trois essais », que sont : En 1907, « Les explications sexuelles données aux enfants » , et en 1908 « Les théories sexuelles infantiles » et « La morale sexuelle civilisée et la maladie nerveuse des temps modernes » .

M. Vincent (17/11/2008)

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