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Kâma-Sûtra et management de l’entreprise !

Publié le 23 novembre 2008 par Perce-Neige
Beaucoup devraient comprendre que ce n’est pas en tirant exagérément sur la corde que l’on parvient à ses fins. Parfois même vous ne faites que renforcer l’adversaire ! Vous avez beau vous y prendre à deux mains, vous arc-bouter de toutes vos forces sur vos certitudes, vous n’arrivez à rien… Si ce n’est à vous décourager un peu plus à chacune de vos tentatives. Voilà ce que Violaine Parmentier avait une furieuse envie de lui balancer au visage. Car le type n’avait à peu près aucune chance d’obtenir ce qu’il espérait ; Violaine n’imaginant pas une seconde passer une seule soirée en sa compagnie. Ni même cinq minutes, montre en mains, sortis d’ici. Voilà ce qui était exaspérant, au fond ! Que des types suffisamment intelligents pour avoir été propulsés à des postes de responsabilité – et il y en avait, autour d’elle, un sacré paquet - soient à peu près incapables de percevoir le moindre signe avant-coureur d’une fin de non-recevoir définitive. « Jean Matignon, des assurances Pyriam, tu vois ce que je veux dire ? » lui avait confié Marion Savouré, dans un souffle, presque à l’oreille, sans desserrer les dents, avant de rejoindre, en écartant les bras en guise de bienvenue, un groupe légèrement bruyant sur les bords de quatre ou cinq convives assez éméchés en fait et intellectuellement aussi intéressants, à première vue, qu’un troupeau d’hippopotames en train de s’asperger mutuellement le museau sur la berge boueuse d’un fleuve africain. « Tu exagères toujours, ma chérie ! » avait rétorqué Marion, un rien vexée, tout de même, trois heures plus tard, c’est à dire juste après que le dernier invité, Max Fernandez lui même, le repreneur de Juste-Au-Corps, eut tourné les talons à regret (manifestement), non sans l’avoir, une nouvelle fois, embrassé chastement dans le cou (encore un peu plus bas, cette fois, oouah). Si bien qu’il lui fallait impérativement reprendre quelques forces, se dit-elle. Oh, mon Dieu oui, voilà qui était proprement in-dis-pen-sable. Et, à cet instant, Marion Savouré s’était littéralement effondrée sur l’une des chaises à sa portée, au design très inhabituel et au coût assez extravagant il faut bien le dire et, sans raison apparente, bon sang, elle s’était mise à pleurer à gros sanglots. Alors, Violaine s’était immédiatement approchée d’elle, et lui avait posé la main sur l’épaule, lui caressant doucement le bras, et cela avait été bougrement réconfortant, oui, bougrement. « Je ne voulais pas te froisser, Marion… Tout était si bien organisé… C’était très professionnel, tu sais. Je suis sûre que tu vas faire un tabac. J’en suis sûre, tu entends ? » Ce qui était, d’ailleurs, rigoureusement exact. Violaine était tout à fait convaincue du talent commercial de son amie, mais aussi de ses compétences psychologiques en matière de conseil en management et c’est pourquoi elle l’avait fortement encouragé à sauter le pas quand, quelques mois plus tôt, celle-ci, un soir où elles s’étaient retrouvées pour boire un verre, avait évoqué la perspective, qui la titillait depuis longtemps, de créer sa propre agence de conseil en entreprise. « Mon idée, vois-tu, Violaine, c’est de booster l’efficacité des techniques managériales dont, maintenant, plus personne n’ignore l’existence. Et mon truc, figures-toi - et je crois bien être la première à en avoir eu l’idée – mon truc c’est de m’appuyer sur le kâma-sûtra en tant que philosophie de l’existence et allégorie de l’union au divin ! Rien que çaaaa… Ouais, ma chère… Naturellement, je ne ferai aucune allusion pornographique dans mes stages, tu penses… Mais, simplement, ce sera l’occasion d’une plus grande ouverture sur la nécessaire harmonie des rapports entre les êtres… Rien de tel que toutes ces techniques, je t’assure, pour générer de l’énergie positive, comme j’ai l’habitude de le dire, ma chérie… Voilà l’idée géniale qui m’est venue, Violaine ! » avait-elle dit en s’emparant d’un verre de vodka qu’un serveur plutôt prévenant, et sans doute encouragé par un sourire généreux, venait opportunément de poser sur la table avant d’aviser un cendrier à deux pas de là et d’en proposer l’usage aux deux jeunes femmes qui s’étaient débarrassées de leur manteau et cherchaient, l’une comme l’autre, dans leur sac à main, de quoi en griller une, vite fait bien fait. La suite était écrite avant même d’avoir été jouée. De longues semaines de tractation avec l’employeur de Marion Savouré seraient nécessaires pour conclure à un divorce à l’amiable à peu près équilibré pour les deux parties. Et puis ce serait la course à l’échalote pour remplir, in-extremis, une tonne de formulaires administratifs tous plus barbants les uns que les autres. Sans parler des cent dix mètres carrés dans un état épouvantable (tu n’imagines pas !) mais qui donnaient sur une cour intérieure proprement ravissante, à dix minutes à pied de République, et qu’une agence immobilière un peu snob était parvenue à lui dénicher moyennant une somme rondelette, soit dit en passant. Sauf qu’en plus il avait fallu se battre, pied à pied, avec une myriade d’artisans aux compétences exotiques (maçons, plâtriers et autres électriciens) et, quasiment, aller jusqu’à se prostituer, j’exagère à peine, pour que ces loustics, à la dégaine de voyous pour certains, daignent se déplacer dans le délai qui leur était imparti et lui servent, sur un plateau, des murs blanchis à la chaux comme elle en rêvait. Le reste avait presque relevé de la promenade de santé ! Car elle avait réussi à joindre, sans trop de peine, une foule de mecs tous plus influents les uns que les autres, vagues copains de copains qui lui avaient été recommandés par je ne sais plus qui, anciens potes d’anciennes connaissances croisées brièvement dans certains amphis universitaires ou d’autres lieux moins recommandables, j’en passe. Car elle s’en était plutôt bien sortie. Jusqu’à cette soirée en guise d’apothéose, censée lancer le concept ! Un monde fou. Beaucoup étaient juste passés pour l’encourager. Mais beaucoup, aussi, étaient restés. A grignoter quelques délices. A boire un coup, entre deux appels téléphoniques d’une lointaine secrétaire qui finirait par s’impatienter pour de bon. « Tu es magnifique, ce soir, Marion. Resplendissante comme toujours, certes, mais plus encore ce soir, peut-être… » Le tout accompagné d’un coup d’œil insistant, velouté, en direction d’un décolleté, il est vrai suffisamment audacieux pour encourager certains propos volontairement excessifs. Oui, comment dire autrement que la fête était réussie ? CommeUnLundi était, maintenant, sur les rails, il n’y avait pas à en douter. Ce qui, pourtant, n’empêchait pas Marion Savouré de sangloter de plus belle, bouleversée de soubresauts incompréhensibles qui semblaient pouvoir ne jamais cesser. Au point que Violaine Parmentier commençait maintenant, sérieusement, à se demander si elle ne devait pas, sans trop tarder, tenter de joindre Charles-Antoine au laboratoire, histoire qu’il s’arrange, pendant qu’il était encore temps, pour récupérer Aymeric et Benjamin au poney-club des Mimosas… Violaine qui caressait les cheveux de son amie, tout en laissant son regard dériver sur le buffet dévasté, les mégots qui débordaient du moindre récipient, les verres abandonnés un peu partout, les assiettes sans dessous, les serviettes en papier qui jonchaient le sol jusqu’à l’horizon… Violaine qui n’en finissait de se souvenir des étés qu’elles avaient passé ensemble, à Houlgate. Puis à Bayonne. Puis à Agadir, tu te souviens ? « Tu sais quoi ? » avait-elle dit, brusquement, presque ragaillardie. « Je parie qu’on va bientôt fêter ton premier client ! » Elle ne croyait pas si bien dire. Au même instant un sms, au contenu explicite et en partance d’un taxi qui naviguait quelque part sur le périphérique, atterrissait directement sur son portable. Un sms du genre encourageant. Un sms qui ouvrait sur des perspectives inédites. Un gros marché à la clef, bon Dieu. Une affaire à vingt ou trente mille euros, rien que ça. Un projet, très sérieux, très très sérieux même, dont Jean Matignon voulait parler au plus tôt. On peut le croire !

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