Comme c’est curieux la vie.
Il y a bientôt 15 ans, la "gauche" (le PS en tête, bientôt suivi du PCF) abandonnait définitivement la classe ouvrière a son triste sort, en décrétant, majoritairement, que "il n’y avait plus de classe ouvrière en France".
Jospin fut l’un des maîtres de cérémonie de cet enterrement en grande pompe.
Quiconque avait encore le mauvais gout de sortir les chiffres, chiffres qui montraient que quand même, même diminuée, même "déconstituée", cette "classe" existait toujours bien, au moins numériquement, dans le monde du travail, se faisait proprement envoyer balader, renvoyé à ses délires d’un geste de la main méprisant.
Plus un seul intellectuel n’osait dire qu’il ne fallait pas "désespérer Billancourt". Après Mai 68, la classe ouvrière commençait à sombrer progressivement dans l’oubli de la "nouvelle gauche".
Place aux "classes moyennes", place aux petits bourgeois, place aux "entrepreneurs", place aux fonctionnaires, notamment à ceux de l’Education Nationale.
Bien sûr, dans un système tel que celui organisé par la bourgeoisie, il fallait des voix. Des voix pour les sacro-saintes élections.
Que la classe ouvrière voie ses bataillons diminuer, elle perdait alors son "pouvoir d’achat électoral" dans le rapport qu’elle avait avec la "classe politique" issue de la social démocratie. Il fallait d’urgence trouver des forces de remplacement si on voulait, non pas renverser le système de la dictature de la bourgeoisie, renverser le capitalisme, mais s’en accommoder et simplement l’aménager.
Il y a un moins d’un an, le PS terminait son aggiornamento capitaliste en acceptant l’économie de marché dans ses principes fondateurs revus et corrigés sauce "New Labour".
Il y a plus de 30 ans, le PCF abandonnait, lui, la notion de "dictature du prolétariat". Quelle incidence cela a-t-il eut, ce reniement, sur la suite des "évènements"? On ne le saura jamais, en tout cas, pas maintenant, c’est interdit d’en discuter, plus encore que de la faillite de l’URSS...."A vous de voir", donc, de décider si, "par hasard", tout cela n’aurait pas un lien.
Progressivement, "la lutte des classes", voire simplement "le combat de classe", disparaissait du discours de la "gauche".
François Ruffin, dans son livre "La guerre des Classes" le montre bien mieux que moi, avec plus de talent, mais j’essaie de dire la même chose depuis 2 ans. Il y a aussi un problème de mot, un problème de concept, un problème de désignation. Intimement mêlé à un problème d’analyse.
Que constate-t-on aujourd’hui?
Le "retour miraculeux" de la "classe ouvrière" dans les mots, et dans les nouvelles, d’abord.
Mais si, vous savez , la classe ouvrière, celle qui avait disparu...qui n’existait plus.
Tous ces travailleurs de chez Renault, de chez Valéo, de chez Peugeot, de chez Ford, de chez Michelin, Dunlop, Goodyear, Meccachrome....j’en passe.
Et bien toutes ces personnes de chair et de sang ,ces pères, ces mères, et bien tous ces gens, ils n’existaient plus... et hop, les revoilà-revoilu Lulu.
Incroyable. Magique même !
Alors on n’ose pas y croire, mais si, et on se rend compte qu’en fait , elle n’avait pas "disparu", elle était toujours là, cette "classe ouvrière". Elle n’était juste plus nommée. Plus désignée. Derrière son effacement, l’effacement du "patron", du "capitaliste", du "bourgeois".
Elle réapparaît aujourd’hui par la force des choses (la force de la crise du capitalisme), car c’est la première (mais pas la dernière) touchée avec force par la crise (en réalité depuis 20 ans elle ne cesse d’en prendre plein la gueule mais puisque tous les beaux esprits "de gauche" avaient décidé qu’elle n’existait plus, la presse aux ordres, servile comme il faut et incrusté dans ses fauteuils de bureau, avait "oublié" de nous rapporter les cris et les soupirs et les larmes et les hurlements de cette "classe qui n’existait plus").
Tiens donc, il n’y en avait plus , de la "classe ouvrière"... Mais pourtant, pour supprimer 3.500 emplois chez Peugeot, 6.000 chez Renault, 650 par-ci, 500 par-là...c’est donc qu’en fait, il y en avait encore des représentant-e-s de cette classe disparue?
Opportunément, (pour rester polie), les "leaders" du PS ont commencé à se souvenir de ce "mouvement ouvrier", du "socialisme", de la classe des salariés, des ouvriers....Il y a 3 semaines.
Congrès oblige.
Crise du capitalisme oblige.
Ça a du leur faire tout bizarre de reprendre ces mots- là.
Ceux de Jaurès il y a un siècle. Ceux de Marx. Ceux de Lénine. Ceux de Luxembourg. Ceux de Guesde. Ceux de Blum même ! (A moins qu’ils soient tellement roués, durs, insensibles, que ça ne leur ait tout simplement rien fait. Bref.
Retour de "la classe ouvrière" dans la boîte à outils du parfait politicard de gauche, donc. Au bal des faux derches, ça se bouscule, la ruche est en émoi. Le miel électoral des années 70 est de retour.
Miam Miam ! En voilà, de la bonne chair à élections.
"Classe ouvrière", "crise du capitalisme", "socialisme" etc, ça fleurit à tous les coins d’interviews et d’articles. Un printemps avant l’heure, en somme. Un printemps qui avait déjà commencé en avril 2007 quand Sarkozy s’est pris à se ballader dans les usines, est allé voir les ouvriers...
Seulement voilà.
La fameuse "classe ouvrière", ça fait longtemps qu’elle a déserté ses "frères", traîtres à sa cause à elle.
Entre abstention, vote FN (et pas nécessairement par racisme mais aussi parce que Le Pen incarnait à merveille le candidat anti-système et le "tous pourris" qui habite comme un spectre cette classe sacrifiée aux appétits de petits notables et de bourgeois bien gras), anarcho-syndicalisme, vote Royal, vote Sarko, la "classe ouvrière" a fait comme elle a toujours fait.
Elle s’est organisée. Elle a mené le combat politique. A sa manière, qui ne nous est pas toujours compréhensible "à nous qui n’en sommes pas", voire, qui en sommes très éloignés.
Elle a pris le peu d’instruments politiques qu’elle avait à sa disposition dans ce paysage politique dévasté, pour défendre ses intérêts, ceux de sa famille, de ses proches.
Elle a été elle-même l’artisan, parfois malhabile, de plus en plus difficilement victorieux, mais toujours déterminé, de sa propre défense, de sa propre survie. Sachant que seule la lutte paie, même quand on la paie cher, et ce, de façon instinctive, profonde, atavique presque.
Moins dans les manifestations, moins dans les grèves aussi, petits salaires obligent, mais aux aguets. Dans la résistance au moins passive. Dans le refus.
Le refus têtu, borné, obstiné. Celui qui a fait dire aux experts que "le peuple français se dépolitise".
De toute manière, est-ce qu’on a le choix quand la fin du mois commence le 15 et qu’on n’en peut plus de l’injustice du système capitaliste?
La classe ouvrière, ça fait longtemps qu’elle est "devant" ; à l’avant-garde, comme toujours.
Si vous croyez que les luttes, même petites, même difficiles, qui "explosent" au grand jour actuellement, sont nées dans la nuit... mais non quelle erreur ! Ce sont des petites briques patiemment empilées chaque jour ; par du travail syndical déterminé, depuis des années, qui construisent les remparts et les barricades contre le pouvoir de la bourgeoisie.
Qui a manifesté le 10 octobre dernier, devant et DEDANS le Salon de l’automobile, venus par milliers de toute la France? Qui, sinon "la classe ouvrière"?
Et où étaient ils, ce jour là, ces paons de politicards bourgeois, qu’ils se disent de gauche ou de droite?
Qui se bat avec ardeur, détermination, depuis des mois, des années, renouant avec les combats des mineurs, des ouvriers la chaîne... sinon les travailleurs sans papiers, employés aux tâches les plus difficiles, les plus dangereuses, sur les chantiers, dans les usines, les cuisines?
Qui aujourd’hui, cherche désespérément à redonner un sens à la Politique avec un grand P, sinon la classe ouvrière, et la frange du prolétariat qui a de nouveau pris fait et cause pour elle?
Tiens, avez vous remarqué, vous, que si vous faites un demi tour de 180 ° sur vous- même, ce qui était à votre droite devient à votre gauche, et vice versa?
La classe ouvrière, cela , elle l’a compris depuis longtemps.
Elle fait avec les instruments disponibles, pour assurer au mieux, sa sûreté.
Ses intérêts.
On lui "donne" "le front populaire"? Elle prend "le front populaire". On lui donne Mai 1968, elle prend. On lui "donne" "la gauche", elle prend "la gauche".
Mais elle n’est pas dupe des girouettes qui se disent hommes ou femmes politiques. Elle n’est pas dupe, voire même, elle s’en méfie.
Plus que toute autre classe, parce qu’elle est toujours la première à en payer le prix directement, et chèrement, la classe ouvrière, et derrière elle, le prolétariat, répugnent à la violence, à la guerre, au conflit.
Le rêve de la classe ouvrière, et le nôtre aussi, à nous, tous les prolétaires, c’est une "révolution des œillets". Une révolution sans sang, sans vie prise, sans larmes. Une révolution par l’amour et le dialogue. Ah, s’il pouvait nous suffire de parler bien pour l’avoir, cette révolution...Ah, si un bulletin de vote pouvait nous l’amener, cette démocratie réelle où nous serions enfin à notre place. On a, toutes et tous, naturellement tendance à vouloir repousser le moment où l’affrontement des classes antagonistes va prendre un tour crucial, paroxystique.
Mais nous savons aussi quand nous sommes au pied du mur, quand il est temps, quand nous devons répondre à la contrainte par la désobéissance, à l’exploitation forcenée par la grève, à la violence par la résistance, et à l’unité par l’unité.
Je suis convaincue que la classe ouvrière est sur la voie de sa reconstitution en tant que classe, et au-delà donc, par voie de conséquence, sur la voie de la révolution, et qu’elle peut donc nous y emmener ; mais que nous sommes trop peureux, trop aveugles, trop abrutis, ou trop protégés encore, pour le voir, pour le sentir, pour le discerner.
Aux cotés de cette classe, les étudiants. S’ils se réveillent.
Et puis, nous, les prolétaires non ouvriers, actifs ou non employés, retraités, fonctionnaires ou salariés du privé....
Mais les girouettes elles, nous le savons, elles seront balayées, tôt ou tard. Car elles nous ont trop menti, et elles ont trop trahi les devoirs de leurs charges.
Pas la peine de s’arracher les cheveux entre nous pour choisir entre une girouette et une autre, donc. Chacun ses erreurs !
Notre lutte n’est pas là. Nos luttes ne se déroulent pas dans ce champ là.