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Expertises et hobbyes : le retour

Publié le 24 novembre 2008 par Scienceblog
E

n relisant mon post de la semaine dernière, le livre de Collins et Pinch, Fred Vargas et le commentaire de timothée, je me suis rendu compte que mon esprit avait fait un peu trop de raccourcis !! Pour une fois, chose n’est pas coutume, parlons science, dosage, méthodo, et expertise pour être précis.

Et pour la partie scientifique ?

Lisons un peu l’article lui-même … Nous saurons peut-être alors, cher Timothée, s’il s’agit de lobby ou pas.

Bon, alors, les auteurs parlent des ions de métaux lourds. Ils rappellent les études antérieures sur le danger potentiel de ces substances dans l’alimentation, ça ne fait aucun doute. Puis, le texte de l’article justifie le choix de l’utilisation du facteur nommé THQ : il s’agit du Target hazard quotients (THQ), il a été développé par l’agence de protection environnementale (EPA) aux Etats-Unis pour l’évaluation de risques potentiels liés à la santé associés à des exposition importantes de polluants chimiques (traduction directe de l’article). L’échelle du THQ est explicitée et étonnamment versatile : lorsqu’un nombre est 10 fois plus élevé qu’un autre, cela ne signifie pas qu’il soit … 10 fois plus élevé qu’un autre ( »It should be noted that THQ values are additive, not multiplicative, thus a THQ value of 20 is larger but not ten-fold greater than a THQ = 2.« ). Digne d’être publié dans le JIR (Journal of Irreproducible Results) !! Mais passons. Après tout, cette version n’est pas publiée comme version finale.

Cette étude tente de doser la quantité ions métaux lourds dans le vin. Voyons maintenant l’origine des vins. Il s’agit d’une question intéressante car, sur les quinze origines testées (Argentine, Autriche, Brésil, Tchécoslovaquie, France, Allemagne, Grèce, Hongrie, Italie, Jordanie, Macédoine, Portugal, Serbie,Slovaquie, Espagne), le volume de vins produits, la quantité et la qualité des terroirs, la superficie du pays sont des paramètres qui varient énormément. Ainsi, que peut-on dire quant aux vins du Languedoc, du Bourgogne, du Bordeaux, d’Alsace ? Ont ils les mêmes quantités de métaux lourds ? Comment peut on comparer avec le vin allemand en terme de volume ? Voici un tableau qui indique quels sont les principaux producteurs de vin au monde :

PAYS

Prév. 2006

en %

Italie

17 000

20,58

France

14 632

17,71

Espagne

13 900

16,83

Australie

8 300

10,05

Chili

4 514

5,46

Etats-Unis

3 761

4,55

Allemagne

3 200

3,87

Portugal

3 000

3,63

Argentine

2 934

3,55

Afrique du Sud

2 716

3,29

Total mondial

82 613

L’étude du Rapport d’information Mariani montre que L’Europe demeure le principal continent exportateur réalisant 71 % des exportations en 2006.

Les variations en volume exporté montrent bien qu’il est difficile de faire une étude multi-régionale par pays. J’ajouterai que les produits d’exportation ne sont pas forcément les mêmes que les produits qui restent sur le territoire. Donc, si on veut tester la concentration des ions métaux lourds dans le vin en ne tenant compte que de l’origine du vin (par pays), on doit tenir compte de facteurs non négligeables. Ce qui est très drôle c’est que les vins italien, jordanien, macédoniens n’ont pas de métaux lourds. Lorsqu’on a goûté certains de ces vins, et souffert de la casquette du lendemain, eh bien, sans être spécialiste, je sais qu’il n’y a pas que du bon dedans (non, j’ai pas exagéré !!!). Mais les métaux lourds, eux, ne fichent pas la casquette du lendemain.

Cité dans

Cité dans

Suivent encore d’autres graphiques dont certains avec des barres d’erreur qui nous permettent d’émettre des doutes quant à la réalité des données, et qui semblent corroborer la variabililité des échantillons, précisément à l’intérieur d’un pays : ainsi, une variabilité induite par une variation des paysages, des cépages, etc est observée. Notons au passage que le chapitre « Matériel et Méthodes » n’est pas là : Comment peut on alors penser un instant publier des résultats numériques (qui ne sont pas 10 fois supérieurs lorsqu’ils sont dix fois supérieurs) sur ce sujet ?

Et pour la partie « lobby français » ?

J’ai déjà dit ailleurs le bien que je pensais de ceux là. La position de l’expert génère son lobby, de façon aussi sure que 1+1 = 2. Il faut un sacré courage pour rester un scientifique honnête dans ces conditions. Et je ne doute pas que beaucoup de scientifiques puissent en avoir. Mais il s’agit d’une situation de controverse, et le scientifique qui n’est pas préparé à cette situation peut aussi perdre les pédales, ce qu’on peut comprendre.

Quid du journaliste ?

Voilà bien le problème !! On ne se pose pas assez la question de savoir si la journaliste a la formation suffisante pour lire un article scientifique et le décortiquer convenablement. C’est d’ailleurs (fait intéressant), une des principales critiques des commentaires du blog dans lequel la première analyse française de cet article à été publiée, ce qui me laisse croire (laissez-moi avec mes illusions) que d’autres non-scientifiques ne se sont pas laissés prendre au piège.

Bon, reprenons : une journaliste propose un commentaire d’article sur un blog (donc de l’auto-publication) à propos d’une possible pollution par des métaux lourds du vin provenant de 15 pays différents. Les résultats indiquent que la France est au troisième rang des vins les plus pollués.

Les tenants d’une culture bio, sans pesticide, citant à tout va des scientifiques comme Bourgignon, et d’autres européens moins illustres dans nos contrées, utilisent les résultats de cette science pour une défense idéologique de la nature : technicistes et naturistes s’en donnent à coeur joie, et s’entr’accusent des pires maux. Chacun ses experts, chacun ses lobbyes. Néanmoins, si je regarde l’article original (Chemistry Central Journal indique en en-tête que « This Provisional PDF corresponds to the article as it appeared upon acceptance« , ce qui ne signifie qu’on a pas encore publié les corrections exigées par le Referee), je me rends compte que beaucoup de choses peuvent encore être dites, pas sur les problèmes de pollution, pas sur la dangerosité des ions Metal, mais sur les protocoles expérimentaux, le choix des échantillons, le choix des origines, etc. Mais cela n’intéresse personne. Or, comme nous le rappellent Collins et Pinch dans Tout ce que vous devriez savoir sur la science, « [...] c’est uniquement la science controversée que le citoyen en tant que tel à besoin de comprendre« .


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