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Stefan Zweig "Amerigo"

Publié le 24 novembre 2008 par Feuilly
Bon, revenons à notre devinette de l’autre jour. J’avais promis d’apporter des précisions sur Vespucci. En fait, je n’ai jamais lu une ligne de lui (son oeuvre est pourtant courte) et c’est via Stefan Zweig que je l’ai découvert. Zweig, que l’on connaît comme romancier, se fait historien dans son livre « Amerigo » et il s’y interroge sur le mystère qui entoure Vespucci. Cet homme, qui n’a écrit que trente-deux pages dans sa vie et qui n’était ni un romancier ni un explorateur, est parvenu à évincer Christophe Colomb de son vivant et à imposer son prénom, Amerigo, qui a été donné au nouveau continent que l’on venait de découvrir (l’Amérique).
Certains ont vu en lui un infâme imposteur, un usurpateur de premier plan. D’autres ont pris sa défense, expliquant qu’il n’avait rien fait pour s’approprier cette gloire au détriment de Colomb. Pendant plus de quatre siècles des spécialistes se sont battus pour défendre l’une ou l’autre de ces théories, sans que rien de décisif ne ressortît vraiment de leurs travaux. Zweig, lui, essaie dans ce livre de reconstituer l’enchevêtrement de circonstances, des hasards et des malentendus qui sont à l’origine de cette erreur. Pour y parvenir, il nous place d’abord dans le contexte de l’époque et nous invite à voir le monde avec les yeux d’un homme du XV° siècle. Colomb était persuadé d’avoir découvert les Indes (et il s’obstinera dans cette idée jusqu’à sa mort). Cela signifiait aussi que la terre n’était pas aussi grande qu’on l’avait cru puisqu’il suffisait de naviguer un peu vers l’Ouest pour se retrouver en Asie. Mais voilà qu’en 1503, se mettent à circuler, à Paris, à Florence, quelques feuilles imprimées, quatre ou six en tout, intitulées « Mundus novus » d’un certain Albericus (sic) Vespucius. Il s’agit d’un rapport en latin que celui-ci adresse à Petrus Franciscus de Medici au sujet d’un voyage qu’il aurait fait dans des terres inconnues sur l’ordre du roi du Portugal. Ces rapports commerciaux étaient fréquents à l’époque et permettaient aux établissements financiers de se renseigner sur d’éventuels investissements rentables. On se les volait d’une firme à l’autre et quand un de ces feuillets tombait dans les mains d’un éditeur qui avait le sens des affaires (déjà à l’époque), il le publiait aussitôt.
Mais qu’y avait-il de si extraordinaire dans le rapport de Vespucci ? D’abord on dit qu’il est traduit de l’italien en latin, ce qui intrigue déjà. Ensuite, ce Vespucci est « le premier de tous les navigateurs qui sache raconter et de manière amusante. » Les autres, ce sont des marins analphabètes, des soldats, éventuellement des juristes au style épais. Ici, le narrateur raconte avec sincérité les difficultés du voyage, comment ils ont failli périr dans leur bateau rongé des vers alors qu’aucune terre n’était en vue. Et puis finalement était apparue cette terre complètement merveilleuse : le paradis sur terre. On y trouve une nourriture abondante, les fruits poussent tout seuls, les animaux y sont extraordinaires et même les femmes se donnent sans penser à mal.
Or il se fait que les pères de l’Eglise avaient autrefois émis l’hypothèse que le paradis terrestre existerait toujours quelque part en un lieu éloigné et inaccessible. Et voilà ce Vespucius qui dit finalement qu’il en revient. Avouez qu’il y a de quoi lui prêter attention. Dans cette époque troublée où les guerres font rage, la découverte de ces sauvages du bout du monde qui vivent heureux, sans contrainte, sans morale, sans argent, fait fantasmer. Ils représentent le rêve de l’humanité, le retour aux sources, le temps d’avant la faute d’Adam.
Et ce n’est pas tout. Il n’y a pas que le contenu de la lettre qui est extraordinaire, il y aussi le titre : « mundus novus », un nouveau monde. « deux mots, quatre syllabes qui ont suscité une révolution sans précédent dans la manière de considérer l’univers » nous dit Zweig. Alors que Colomb assure qu’il est arrivé en Inde (mais il n’a pas ramené d’épices et n’a pas vu le grand Khan de Chine) Vespucci assure lui que c’est un nouveau continent qu’on a découvert là. Bouleversement dans la conception du monde, certes, mais aussi dans la conception de l’homme. Les anciens avaient affirmé qu’au-delà de Gibraltar s’étendait une mer infranchissable et voilà que cette mer, les hommes du quinzième siècle l’avaient traversée et avaient découvert des terres dont ces anciens n’avaient même pas imaginé l’existence. Epistémologiquement parlant, c’est l’image même que l’homme porte sur lui-même qui se modifie avec cette découverte. A partir de ce moment, s’en sera définitivement fini de s’en référer aux anciens.
Tout ceci explique donc pourquoi Vespucci prit soudain une importance considérable aux yeux de ses contemporains. Pourtant, probablement ne se doute-t-il pas lui-même de l’importance de ce continent qu’on vient de découvrir. Et puis, finalement, une route plus courte pour aller aux Indes, c’est une découverte qui n’intéressait que les commerçants et les armateurs. Dire subitement que le monde était plus vaste qu’on ne l’imaginait, cela concernait tout le monde. Les contemporains des événements ont soudain l’impression d’appartenir à une génération extraordinaire, celle qui va enfin explorer le monde, celle qui dépasse les anciens et qui remet en doute leur savoir.
(à suivre)
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(image Internet:"ecole.free.fr")

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