De temps à autre, les rencontres entre tous les partenaires d’un même thème sont essentielles. Et celle qui vient d’être organisée à Oviedo par le Réseau des juiveries espagnoles (Red de Juderias de España) avait pour but d’atteindre une perspective d’unification et d’échanges d’expériences.
Même si j’ai déjà beaucoup évoqué le patrimoine juif dans les derniers articles depuis le mois de septembre, il me semble important de souligner le besoin régulier d’unité. Dans les derniers mois, j’ai pu suivre en particulier l’entrée en profondeur dans les données historiques du Saint Empire Romain Germanique au temps de Charles Quint, grâce au personnage de Yossel de Rosheim, puis entendre certains résultats des recherches portant sur ce patrimoine dans la Grande Région, mais je suis bien conscient, comme les coordinateurs eux-mêmes, que le travail de coordination générale d’un itinéraire qui devrait être ouvert – et expliqué - de manière beaucoup plus permanente à tous les publics, reste encore à étendre.
Ceci ne diminue pas le mérite, bien au contraire de quelques exemples particulièrement frappants de cet effort d’ouverture : les synagogues du Comtat Venessin (ou Venaissin) ou le travail du Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme à Paris, comme celui du Musée juif de Prague ou celui de Girona.
Me rendre à Oviedo avait donc pour intérêt, outre le fait de présenter de nouveau l’état du programme des itinéraires culturels, celui de rencontrer concrètement les organisateurs des Journées Européennes de la Culture juive et tout particulièrement ceux qui tiennent à prolonger leur action annuelle par un travail plus quotidien de mobilisation des jeunes, de découverte des synagogues anciennes qu’elles aient continué à accueillir des fidèles ou qu’elles aient été reconverties en centres culturels ou parfois vendues par les consistoires pour des usages très divers.
Dans ce cadre là les interventions de Max Polonowski, directeur du musée des plans reliefs et de Claude Nadjari, coordinateur de la Journée de la culture juive en France ont été très éclairantes sur la situation française faite, comme pour beaucoup de pays, de migrations, d’expulsions, d’exterminations et de retours; mais dont la lecture doit se faire de manière privilégiée entre l’Alsace, la région parisienne, Marseille et ses environs, ainsi que Bayonne et Bordeaux puisque de tous les pays européens présents, la communauté nationale comprend 600.000 juifs dont les destinées historiques sont variées et parfois contradictoires. Il faut dire que dans bien d’autres nations, la comparaison des chiffres avant la Seconde Guerre Mondiale et aujourd’hui est terrible, ce qui rend la recherche historique, reliant passé et présent, plus délicate et encore plus douloureuse, s’il est possible !
Le délégué de la Turquie Ethel Morhayim qui organise la célébration avec beaucoup de constance, perpétue à sa manière le souvenir de la tolérance de l’Empire ottoman, tandis que la Slovaquie représentée par Maros Borsky me fait découvrir une nouvelle composante de Kosice (ville de l’Est du pays) que je ne connaissais pas.Peut-être ces deux capitales européennes de la culture 2013 que seront Kosice et Marseille pourront-elles travailler ensemble ?
On progresse ! Et il n’y a pas de petites étapes. Rien que des échappées.
Ceci dit, dans l’optique adoptée par les responsables de patrimoine juifs présents à Oviedo – ici on entend responsables au sens où ils se sentent responsables religieusement et socialement et non pas, pour la plupart, par profession de conservateur, le travail de mémoire auquel ils prennent part n’est pas par essence relié directement aux lois mémorielles que les Assemblées françaises ont adoptées il y a peu, dans la volonté d’attirer l’attention des citoyens sur le massacre des Arméniens ou l’esclavagisme.
J’avoue que j’apprécie beaucoup le rapport que Hervé Lemoine, Conservateur du Patrimoine, a fait parvenir en janvier 2008 à la Ministre Christine Albanel et au Ministre Hervé Maurin pour « la création d’un centre de recherche et de collections permanentes dédié à l’histoire civile et militaire de la France » situé dans les espaces du musée des Invalides. Il remet comme on dit les pendules à l’heure, même si on a envie parfois de lui enlever les aiguilles des mains lorsqu’il défend par trop sa chapelle. Mais le rapport n’est certes pas dénué d’humour !
Parler du patrimoine juif en termes de mémoire et en termes d’histoire, n’est en effet pas si facile, compte tenu du patrimoine de la souffrance qui en constitue un élément fort et constitutif. D’autant plus quand tout porte à confusion entre ce qui se transmet par la parole directe ou directement rapportée et l’étude des sources.
Je ne peux résister à citer ce qui devra nourrir la réflexion pour la visibilit de l’itinéraire : « De nombreux historiens et intellectuels ont fait le constat de la fragilisation du lien entre les Français et leur histoire…Pour les uns, à l’histoire unifiée qu’avait voulu construire la IIIe République a succédé une « histoire en miettes » : le socle commun de connaissances est devenu incertain, son appréhension partielle, dans le même temps les mémoires familiales, locales, sociales, communautaires l’ont emporté sur la mémoire collective et sur l’histoire nationale. Pour les autres, l’histoire de France, telle qu’elle est représentée et enseignée, n’est qu’une fable, un mythe national qui persiste à n’assumer qu’une part de son héritage, les « violences légitimes », pour en ignorer les autres visages, les « violences illégitimes ». En toute hypothèse, ils ne s’accordent que sur un point : les repentances, les politiques et les lois mémorielles n’ont fait, au mieux, que mettre en évidence un profond malaise entre les Français et leur histoire : au pire, elles ont sapé tous les principes de l’histoire critique, voulant imposer par la loi des « vérités officielles » et privilégiant une approche mémorielle des faits, remplaçant ainsi une vulgate par une autre »….… « Cette politique mémorielle a eu pour effet de prendre l’histoire en tenaille : d’un côté, un dispositif législatif, soucieux de lutter contre le négationnisme des faits historiques, cherche à donner un cadre légal aux recherches ; de l’autre, des moyens sont donnés afin de permettre une meilleure reconnaissance des mémoires blessées sous l’effet de groupes de pressions catégoriels. Dans un cas comme dans l’autre, la déontologie des historiens et des enseignants semble ne pas présenter de garanties suffisantes au politique, lequel s’érige en historien, ou en gardien de l’histoire. C’est ainsi que la mémoire se substitue à l’histoire. Or, par définition, la mémoire est forcément plurielle et affective, alors que l’histoire tend à observer et à analyser les faits de façon globale et rationnelle. Il est donc temps pour l’Etat de favoriser le retour à une approche historienne de l’histoire. »
Exclusivement ?
Plutôt Trafalgar ou Austerlitz ? ou dans notre cas : Plutôt Terezin que Girona ?
Ensemble, plus certainement.