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La vengeance du pied fourchu : 30

Publié le 25 novembre 2008 par Porky

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Les quatre jeunes gens restèrent silencieux un long moment. Puis la voix de Philippe s’éleva, tremblante : « L’un d’entre vous pourrait-il m’expliquer mieux que ne l’a fait Arnaud le pourquoi et le comment de cette aventure ? » « C’est une longue histoire, dit Missia, très lasse tout à coup. Qui remonte à des temps immémoriaux. Il y a entre… entre lui et notre famille un contentieux assez lourd. Catherine ne t’en a pas parlé parce qu’elle n’a jamais cru à cette menace ; toi non plus, Arnaud, d’ailleurs. » « Non, admit le jeune homme. Et j’avoue que j’ai eu tort. » « En fait, c’était presque devenu un conte, une légende, reprit Missia. Moi-même, au fond, je me disais que c’était impossible, même après avoir entendu les paroles d’Asphodèle. » « Et pourtant, tu l’as crue, protesta Martin qui tenait toujours aussi fermement la jeune fille serrée contre sa poitrine. Ce fameux collier, rappelle-toi comme nous avons appréhendé son apparition, rappelle-toi tout ce que tu m’as demandé de faire… » « Je sais, dit Missia avec un soupir. En vain, d’ailleurs, puisque je me suis fait piéger comme vous autres et même encore mieux que vous. Et dire que nous sommes là, prisonniers, sans rien pouvoir faire… Alors que le faux Martin va contaminer tout le village… » « Et que nous ne savons toujours pas ce qui est arrivé à Catherine », dit Philippe et Missia sourit malgré elle en découvrant chez son beau-frère un attachement envers sa femme beaucoup plus fort que son attitude à son égard pouvait le laisser supposer.

Depuis un instant, déjà, Arnaud n’écoutait plus guère la conversation. Il s’était lentement, avec toutes les précautions d’usage, approché du bord de la plate-forme et avait plongé sa main dans le vide. Une impression étrange l’envahissait. On eût dit que ce vide avait une vague consistance, que quelque chose de presque palpable continuait la plate-forme bien plus loin qu’il ne se l’imaginait. Bien au-delà, en tout cas, de cette simili grotte dans laquelle ils étaient coincés. « Un pont, pensa-t-il. On dirait un pont jeté au-dessus de l’abîme, mais un pont fait d’une matière bizarre. » L’idée était aberrante, et pourtant, elle continuait de le tarauder, tant et si bien qu’il finit par en faire part à ses compagnons. Si personne ne le prit au sérieux, il eut au moins le mérite de déclencher un rire général qui détendit quelque peu l’atmosphère. Pas pour longtemps. Bien vite, la peur de ce qui allait se passer reprit le dessus. « Reviens donc vers nous, dit Martin. Ce n’est pas la peine de risquer le faux-pas pour un pont imaginaire. » Missia tressaillit vivement et se dégagea de l’étreinte du jeune homme. « Imaginaire, reprit-elle. Imaginaire… Ce mot me rappelle quelque chose, des paroles… Mais oui : qu’est-ce qu’il a dit, avant de disparaître ?… Je ne me souviens plus exactement, il a parlé d’illusion… » « Il a dit très exactement : Ne rêvez pas, ne vous faites aucune illusion », précisa Philippe qui ne voyait pas du tout où sa belle-sœur voulait en venir. Elle allait encore partir dans une de ses élucubrations préférées alors que Catherine gisait peut-être quelque part, blessée, ou pire… Il serra les poings à cette idée et contint avec peine un gémissement de désespoir. « C’est cela, confirma Missia, tout à fait cela. Et si… S’il nous avait donné le moyen de lui fausser compagnie ? Sans le vouloir, bien sûr, ou plutôt juste pour se moquer de nous, sûr qu’il était que nous serions incapable de comprendre le sous-entendu… » Martin soupira, imité par Arnaud. « Cela ne te ferait rien d’être un peu plus claire ? » demanda-t-il. « Je ne comprends rien à ce que tu racontes, ajouta Arnaud. Tu délires, une fois de plus. » « Je ne délire pas, protesta Missia. Je me dis que, peut-être, la solution à notre problème est toute simple, toute bête, qu’elle est à deux pas de nous. Qu’il faut peut-être comprendre autrement ce qu’il a voulu dire… Et c’est ta remarque sur le fameux « pont », Arnaud, qui m’a donné cette idée…»

Sigrid quitta la chapelle d’un pas plus léger et remonta vivement à l’étage. Le message qu’on venait de lui transmettre ne l’avait pas étonnée, elle s’y attendait. Et rien ne pouvait lui faire plus plaisir que de plonger enfin au cœur du combat, sur le terrain même de l’ennemi. Louis ne manifesta aucune surprise non plus. « Je crois que nous sommes prêts à cela depuis longtemps, murmura-t-il. Mais avant de prononcer l’incantation, il faut nous assurer qu’elles ne risquent rien. » « Tu crois qu’il tenterait de les reprendre ? » s’enquit Sigrid tout en posant la main sur le front de Catherine, puis sur celui de Marie. Tous deux étaient frais. Elles semblaient dormir tranquillement mais Sigrid savait que ces deux corps inanimés ne contenaient aucune âme. Leur esprit était encore prisonnier des limbes où on l’avait plongé et il allait falloir songer aussi à le faire réintégrer cette apparence physique pour l’instant inutile. « Je suis persuadé que l’attaque ne va pas tarder, dit Louis. Souviens-toi que Rosette n’a pas été vaincue, et Martin non plus. Il lui reste deux pions dans son jeu et il sait parfaitement les manœuvrer. A peine aurons-nous le dos tourné que l’un ou l’autre va apparaître, sinon les deux. » « Il faut donc les protéger, dit Sigrid. Et vite. » « Le problème… » commença Louis mais elle ne le laissa pas continuer. « Je le connais. Nous allons perdre beaucoup de forces en évoquant les Protecteurs, et nous serons plus vulnérables malgré les rubis. Mais nous n’avons pas le choix, n’est-ce pas ? » « C’est vrai », reconnut-il. Il recula de quelques pas, fit signe à la jeune femme de se placer en face de lui. Lorsqu’elle eut obéi, il tendit les mains vers elle, paume tournée vers le haut. Elle exécuta le même geste et plaça sa main dans la sienne, de façon à ce que sa paume soit en contact avec celle du jeune homme. Puis ils fermèrent les yeux et une lente mélopée s’échappa des lèvres de Sigrid, tandis que Louis prononçait à voix basse des sons incompréhensibles. Une lumière verte s’éleva lentement des deux mains jointes, grandit, grandit, jusqu’à former une sorte de visage dont les traits étaient cachés par un capuchon rabattu sur les yeux. La tête était penchée et semblait à son tour invoquer quelque chose ou quelqu’un. Et des lèvres vertes jaillirent d’autres lumières vertes, qui devinrent aussi des visages. Au bout d’un certain temps, Louis se tut et lâcha la main de sa compagne qui s’affaissa sur le lit. Ils étaient entourés d’une dizaine de visages verts qui se tenaient autour d’eux, flottant dans l’espace, silencieux et tranquilles.

(A suivre)


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