Magazine Humeur

Deux vies

Publié le 26 novembre 2008 par Jlhuss

sans-titre-1.1227544320.jpg - Octave, tu as fait tes devoirs et appris tes leçons pour demain ?
- Oui, maman.
- Tu t’es avancé ? car je te rappelle que tu ne pourras rien faire ce week-end.
- Le maître n’a rien donné pour lundi.
- Et pour mardi ?
- Non plus, car je te rappelle qu’on est en vacances la semaine d’après.
- Je ne vois pas le rapport. Il faut freiner en douceur, je suppose, pour éviter le choc ?
- En quelque sorte.
- Drôle de maître, celui-là !
- On ne le changera pas.

- Qu’est-ce qui te ferait plaisir pour le repas de dimanche ?
- Une pizza.
- Mais mon chéri, c’est ton anniversaire, il y aura sans doute ton père, ton oncle et ta tante c’est sûr, et tes grands-parents qui viennent de Bordeaux pour t’embrasser : je ne vais pas leur servir de la pizza !
- S’ils viennent pour m’embrasser, qu’est-ce que ça peut leur faire ?
- Entre un gigot ou un lapin, qu’est-ce que tu préfères ? Ton père adore le lapin, ton grand-père le gigot : tu vois comme c’est facile !
- Je préfère ce que tu préfères, maman chérie que j’aime tant !
- Et pour le gâteau ?
- Ce que tu préfères, maman chérie.
- Chocolat ou fruits frais ?
- Ce que tu préfères, maman.
- Mamie ne supporte pas le chocolat.
- Sa santé d’abord.
- En tout cas, dix belles bougies, hein, mon canard ?
- Forcément.
- Bon, mon petit chat, maintenant tu me laisses ces jeux débiles, je dois lire mes e.mails.
- Attends. Encore trois zergs et je gagne une vie.
- Octave, tu ne vois pas que tu passes ton temps à t’abrutir devant cet écran ?
- Le maître dit que ça développe les réflexes.
- Il ferait mieux de vous inciter à lire… Octave, j’ai besoin de l’ordinateur !
- Chez papa y en a trois… Voilà, c’est bon, tu peux y aller. J’ai deux vies.
- Une seule suffit, crois-moi, mon pauvre canard… Si tu allais lire un peu dans ta
chambre, hein ?
- Il va mieux, Antoine ?
- Quel Antoine ? Qu’est-ce que tu racontes ?
- Hier, il disait qu’il n’en pouvait plus, qu’une fois par semaine c’était plus possible, et tout ça.
- Non mais c’est pas vrai ! tu lis mon courrier ? est-ce que tu te rends compte ?
- Il couche avec toi ?
- Arrête, Octave ! Ca va se gâter si tu insistes… Parlons plutôt de cet anniversaire. Tu m’aidera pour les courses, hein ? Il faut que ce soit une belle fête, chéri. Il y aura sûrement des surprises. Tu connais Papy-Mamie, ils détestent donner de l’argent et ils ont bien raison. Des paquets à défaire, c’est tellement mieux qu’un petit billet dans une enveloppe, on a le coeur qui bat.
- Moi, dimanche dernier papa il m’en a donné un gros sans enveloppe, et sa copine un autre, et ils ont dit que je saurais mieux qu’eux ce qui me ferait plaisir, et ça m’a pas gêné du tout.
- Oui, eh bien c’est un peu triste, je trouve, tu vois, lorsque les grandes personnes ne savent plus ce qu’aiment les enfants… Tu sais, Octave, elles sont un peu perdues, les grandes personnes aujourd’hui. Il ne faut pas être trop dur avec elles. Il faut les comprendre aussi. Autrefois, on disait aux petits enfants des choses qui les rendaient solides pour la vie, par exemple qu’on doit bien réfléchir avant de choisir et après ne plus changer jamais, parce que si on change une fois, pourquoi pas deux ? et puis trois ? Ensuite, je ne sais pas comment ça c’est fait, on leur a dit le contraire : qu’il fallait changer tout le temps puisqu’on désirait plein de choses à la fois ; que sinon on mentait, qu’on faisait semblant d’être content, et que c’est mal parce qu’il faut toujours dire et faire la vérité. Alors les petits enfants qui ont écouté ça, quand ils sont devenus grands, ils ne savaient plus quoi faire, quoi penser, ils sont allés dans tous les sens, à droite, à gauche, et puis à force de tout choisir, ils ont tout perdu. Tu comprends ?
- Et aux enfants d’aujourd’hui alors, qu’est-ce qu’elles leur disent, les grandes personnes perdues ?
- Plus rien. Elles n’ont plus rien à leur dire, même pas s’il faut choisir ou ne pas choisir, elles ne savent plus parler aux enfants du tout, je crois qu’elles en ont peur. Alors les enfants, comme ils aiment bien qu’on leur parle, ils se fâchent, ils gribouillent sur les murs, ils cassent les abribus, ils fument des saletés. Et tout ça, c’est pour dire aux grandes personnes : Je suis là, parle-moi !
- Il couche avec toi, cet Antoine ?
- C’est ton papa que j’aime, je te le jure, Octave. Et on va se retrouver, bientôt, c’est certain. Promets-moi de tenir bon jusque là, ce serait trop triste… Je cours me préparer, canard. Tu peux ranger le beurre et mettre les bols au lave-vaisselle ?

Arion

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