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Une perle rare: une voie de fait en droit des étrangers

Publié le 26 novembre 2008 par Combatsdh

Depuis les affaires Dulangi et Gisti (TC 24 avril 1994, n°02920 ), Madaci et Youbi (TC 20 juin 1994, n°02932 avec intervention Gisti et Cimade) et Ben Salem et Taznaret (TC 12 mai 1997, Préfet de police de Paris c/ TGI de Paris, n°03056 ou ici. affaire Me Simon Foreman), les constats de voie de fait ne sont plus très fréquents en droit des étrangers.

Dans cette dernière affaire, le Tribunal des conflits, après départage par le Garde des Sceaux, Jacques Toubon, avait estimé que la consignation à bord d’un navire transitant par le port de Honfleur de deux étrangers afin de les empêcher de solliciter l’asile en France et alors qu’il n’existait pas de zone d’attente relevait de la compétence de l’administration. Cette intervention du Garde des Sceaux, qui est le dernier cas de départage de voix (il en existe une douzaine depuis 1872, dont le plus connu: l’affaire Blanco de 1873) et qui est peu compatible avec le droit à un procés équitable, provoqua la démission de Pierre Sargos (v. sur wikipédia).

On retient de cette série de jurisprudences qu’en droit des étrangers, sur le fondement de l’ordonnance de 1945, l’administration pouvait à peu près tout faire (retenir des étrangers dans des conditions contraires à la dignité de la personne humaine selon le CPT, consigner à bord d’un bateau pour empêcher des demandes d’asile, expulser deux jeunes étrangers en les empêchant de comparaître à leur procès, etc.).

Il est vrai qu’avec la loi du 30 juin 2000, il existe désormais la procédure de référé-liberté de l’article L.521-2 du CJA qui a fait ses preuves dans la défense des étrangers (v. CE, réf. 12 janvier 2001, Hyacinthe et Gisti, n°229039), même si l’affaire Gebremedhin a montré certaines de ses insuffisances dans la protection des demandeurs d’asile, notamment l’absence d’effet suspensif ou la procédure de “tri” de l’article L.522-3 CJA (voir pour une illustration toute récente, à propos d’une réadmission dans le cadre de du règlement Dublin cette ordonnance particulièrement critiquabl)

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C’est donc avec curiosité et satisfaction qu’on consulte cette ordonnance du TGI de Lille obtenue par Me LEQUIEN.

Cette avocate lilloise avait assigné le préfet du Nord d’heure en heure pour faire constater une voie de fait à l’encontre d’une ressortissante guinéenne, amenée à Roissy. Le malheureux chef du service de la préfecture avait d’ailleurs dans un premier temps refusé de prendre l’assignation, notifiée par acte d’huissier, car il lui semblait difficile d’assurer la représentation de l’Etat à 12h30 pour une assignation apportée à 12h20.

Pourtant, un Lillois sait aller en 10 minutes de la préfecture du Nord, boulevard de la Liberté au TGI, avenue du peuple Belge…

La requérante avait en effet été placée en rétention administrative le 7 octobre 2008. Dans les 48 heures, le juge des libertés et de la détention (”juge du 35bis” dans le jargon des nostalgiques de la numérotation de l’ordonnance du 2 novembre 1945)  avait prolongée la rétention pour une durée de 15 jours, comme le prévoient les articles L.552-1 et suivants du CESEDA, à compter du 9 octobre à 11h30.

Mais, à l’expiration du délai de 15 jours , au lieu de demander au JLD une nouvelle prolongation de la rétention, comme le permet l’article L.552-7 du CESEDA, la préfecture a mis en exécution la mesure d’éloignement en amenant l’intéressée à Roissy le 24 octobre après-midi.

Or, à défaut de prolongation de la privation de liberté, elle aurait dû être libérée dans la matinée (le 24 octobre avant  11h30).

C’est pourquoi le juge des référés du TGI de Lille constate la voie de fait car la privation de liberté de l’intéressée au delà du 24 octobre à 11h30 n’était “couverte par aucun titre” et constitue donc une violation flagrante de l’article 66 de la Constitution (v. Cons. constit. 09 janvier 1980 - Décision n° 79-109 DC sur la loi “Bonnet”).

Il donne donc injonction à la préfecture de libérer immédiatement la requérante et condamne la préfecture aux dépens.

voici l’ordonnance communiquée par Me Lequien (que je remercie ainsi que Me Flor Tercero)

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A propos de JLD, j’en profite pour signaler l’impressionnante DéBase , base de données “35bis”, librement accessible sur internet

Cette base compte près d’un millier de références, uniquement des décisions conduisant à la remise en liberté des retenus, qui ont été transmises par des avocats et des membres de la Cimade.

Elle est alimentée par M. Norbert CLEMENT, Avocat au Barreau de Lille.

Lorsqu’il était étudiant à la faculté de droit de Lille 2 dans le milieu des années 90 et que nous fréquentions le même bar associatif, il faisait déjà des merveilles avec son ordinateur.


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