Stéphan Beaucher, consultant Océans pour Greenpeace France, nous raconte la réunion annuelle internationale pour la Conservation des Thonidés (ICCAT)
Ceci est le dernier post sur la session de Marrakech. Le précédent se terminait sur l’arrivée sur les tables d’une proposition à 22 000 tonnes et une saison de pêche à la senne qui commencerait le 15 avril pour se terminer le 15 juin. Cette proposition a été validée au consensus après à peine 30 minutes de discussions au cours desquelles les délégations se sont félicitées mutuellement de leur esprit d’ouverture. Même si certaines d’entre elles soulignaient dans leur intervention qu’elles n’étaient pas d’accord avec le contenu du document soumis elles se ralliaient au consensus et ne demandaient pas le vote.
Comment en est-on est arrivé là ? Comment des délégations qui ont un poids certain, telles que le Japon et les Etats-Unis, après avoir maintenu une position forte pendant une semaine ont-elles pu signer la proposition de l’Union Européenne ? Pour le comprendre, il faut remonter deux ans en arrière. La session de Dubrovnik avait accouché d’une feuille de route sur cinq ans qui fixait un TAC décroissant d’année en année avec réévaluation en 2008. Le plan de Dubrovnik 2008 prévoyait pour 2009 un TAC de 27 000 tonnes. À Marrakech, le tableau et le pronostic dressés par le SCRS étaient toujours aussi sombres. Les deux propositions en lice en tenaient compte dans des proportions toutefois différentes : Nous les appellerons ” bloc Europe ” et “bloc USA” par commodité tant le périmètre de ces deux blocs a changé au fil des jours et parfois des heures.
- Le bloc Europe plaçait le barre très haut d’entrée de jeu tout en donnant le change et montrant qu’il avait pris en compte l’urgence de la situation en demandant 25 000 tonnes, ce qui lui laissait une confortable marge de négociation.
- Le bloc USA se calait d’emblée sur la fourchette haute de la préconisation scientifique du SCRS : 15 000 tonnes et fermeture de la senne en mai juin et juillet.
Ce qu’il faut absolument garder en tête c’est qu’à défaut d’accord, c’est le plan de Dubrovnik qui s’appliquait avec ses 27 000 tonnes pour 2009. C’est là la clé de ce qui s’est joué à Marrakech. La convention de l’ICCAT stipule que les décisions sont prises en priorité au consensus et qu’à défaut de ce dernier on passe au vote avec majorité qualifiée des deux tiers. Or il était évident qu’aucun des deux blocs ne pourrait obtenir cette majorité qualifiée et qu’en allant au vote c’était l’échec de Marrakech et les 27 000 tonnes de Dubrovnik qui s’appliqueraient l’an prochain.
On était donc dans une situation ou les plus favorables à une solution devaient discuter une solution proche de 20 000 tonnes pour en éviter une autre à 27 000 : cruelle ironie et cruel dilemme…
Dès lors il était facile pour le chef de la délégation Européenne de jouer les magnanimes en abaissant son TAC à 22 000 t, ce qui lui permettrait de clamer que le TAC de Marrakech se situait 5 000 tonnes en dessous de ce qui était prévu en début de discussions, ce qu’il ne s’est pas privé de faire dans son communiqué de presse final.
Le bloc Europe a fait payer très cher le passage de 25 à 22 000 tonnes sous formes de petites clauses qui constituent autant de “libéralités” vis à vis des pêcheurs :
- La simplification du régime des dérogations sur la taille minimale dans laquelle elle a fait entrer une nouvelle pêcherie. Le poids minimal général (30 Kg) est maintenu. Les 6,4 kg et 10kg sont remplacés par un seuil unique de 8 Kg dont bénéficieront non seulement les canneurs basque et les chalutiers de l’Adriatique mais également la “petite pêche côtière artisanale” (Dixit la résolution finale. Cette concession s’adresse essentiellement aux pêcheurs espagnols dont les flottilles de petit tonnage (moins de douze mètres mais des centaines de bateaux) font des ravages parmi les bancs de juvéniles.
- La prime d’intempérie qui constitue de fait une fin de saison au 20 juin et non le 15 comme le stipule la résolution. Les senneurs ont réussi à obtenir le remboursement, sous la forme d’un maximum de 5 journées, des journées pendant lesquelles la météo les a empêchés de pêcher. Par “mauvais temps” on doit comprendre “vent de plus 7 nœuds”. Or il est évident qu’au printemps en Méditerranée, sur une période de deux mois, on a bien plus de 5 jours de vent supérieur à 7 nœuds. La saison effective se terminera donc pour tout le monde le 20 juin sauf si le quota est atteint avant cette date (alors qu’elle était prévue jusqu’au 30 l’an dernier mais a été fermée le 16 pour cette raison).
- La sous consommation de quota proclamée par certains états lors des saisons 2005 et 2006 sera réintroduite dans ceux des deux prochaines années. C’est à ce titre que 3 pays bénéficient d’une prime :
- La Libye : 145 tonnes;
- Le Maroc : 327 tonnes
- La Tunisie : 202 tonnes
- À l’inverse, le remboursement des dépassements de quotas européens lors de la saison 2007 sera différé et étalé dans le temps. Il démarrera en 2009 et 2010 avec 500 tonnes de déduites et se prolongera à raison de 1 510 tonnes par an jusqu’en 2012.
On pourrait décortiquer à l’infini la résolution finale et y trouver mille illustrations de la faillite de l’ICCAT. J’en ai choisi une qui illustre parfaitement l’absence totale d’ambition du plan de Marrakech.
Article 42 : Réduction de la capacité de pêche
“Chaque CPC (partie contractante) devra réduire sa capacité de pêche afin de s’assurer que pour 2010 25% au moins de la divergence entre sa capacité de pêche nécessaire pour pêcher son quota 2010 soit résolue”. Un peu lourd comme rédaction, je vous le concède… En clair un pays qui a actuellement 100 tonnes de quota et 200 tonnes de capacité de capture doit sur les deux prochaines années réduire sa capacité à 175 tonnes, ce qui lui laisse quand même 75 tonnes d’excédents !!!
Enfin dans un contexte de déclin de la ressource et de baisse des capacités de capture totalement insuffisante, deux nouveaux pays ont été admis au club des pêcheurs de thon rouge : l’Albanie avec un quota de 50 tonnes et l’Égypte avec 63 tonnes. Il n’est pas question ici de contester le droit à un pays riverain de la Méditerranée de sortir en mer sur le thon rouge et par là même la légitimité de la demande de ces deux états. Simplement ces deux états ont fait le plus dur en obtenant un pavillon reconnu par l’ICCAT et que vont ils faire de quelques dizaines de tonnes de quota ? Dans le contexte de surpêche généralisée, on peut légitimement craindre qu’on ait là un accélérateur supplémentaire à la surpêche.
Terminons sur une note plus légère (il faut bien…). La Norvège a une attitude que l’on peut qualifier d’exemplaire dans ce débat. Elle est titulaire d’un petit quota (49 tonnes en 2009). Parallèlement, une loi norvégienne interdit la pêche du thon rouge, ce qui donne toute légitimité à la délégation norvégienne de poser à chaque session de l’ICCAT la même question : “qui a pêché mes thons rouges” ? La déléguée norvégienne à côté de laquelle j’étais assis lors du voyage de retour m’a déclaré qu’elle avait trouvé la solution pour supprimer toute la pêche illégale : “Fixer un Tac de 70 000 tonnes !” Pour ironique qu’elle soit la remarque ne manque pas de sel… On voit mal en effet ce qui pourrait, dans les 35 pages de la résolution finale, sauver le thon rouge de l’effondrement.
Il finira sans doute ses jours à la CITES (la commission qui s’occupe des espèces en danger), les bateaux finiront alors à la casse et les pêcheurs où ils pourront… Qu’ils ne comptent pas alors sur ceux qui les auront précipités dans le chaos pour les aider à relever la tête !