SDF “en liberté”

Les frimas sont d’actualité, le solstice hivernal s’approche et revient à la une la question des sans-abri, des SDF, du Samu social et autres restaurants du cœur. La décroissance du soleil sur l’hémisphère Nord,  nous rappele chaque année une misère qui n’appartient pas qu’au Sud et des sociétés « développée » et riches véhiculant aussi les plus extrêmes dénuements.

Enfant, j’étais toujours profondément agité, triste et interrogateur, à la vision de ces « habitants » des rues, locataires des cartons d’emballage, « décorations » discrètes ou bruyantes des couloirs du métro. Je ne comprenais pas. Je ne comprends toujours pas.  Cela me perturbait, j’en cauchemardais. Quelques pages extraordinaires d’un de mes auteurs souvent relus, Paul Auster , illustrent à la perfection cette actualité répétitive, d’ici ou d’ailleurs.

C’est l’histoire de M.S. Fogg, immergé dans Central Park, y recherchant le bout de lui-même. Auster ne s’attarde pas sur les raisons de sa condition, n’emploie pas les mots empruntés à un misérabilisme excessif, pas de larme à l’œil, mais la description presque chirurgicale de l’état d’esprit du vagabond sans domicile et sans ressources, sa communion avec des éléments pour la plupart inaccessibles aux « autres », ses mobiles et ses rêves.

« Je gardais toujours une conscience aiguë de ce qui m’arrivait, mais sitôt que la moindre chose se produisait, mon esprit réagissait et s’enflammait d’une passion incendiaire. Mon cerveau bouillonnait de théories livresques, de voix contradictoires, de colloques intérieurs complexes. »

« Je couchai tous les soirs dans le parc. Il était devenu pour moi un sanctuaire, un refuge d’intériorité contre les exigences énervantes de la rue. Dans les rues tout n’est que corps et commotions et, qu’on le veuille ou non, on ne peut y pénétrer sans adhérer à un protocole rigoureux. » […] La perspective de coucher dans un asile me faisait horreur. Je ne supportais pas l’idée de me trouver dans la même pièce qu’une centaine de crève-la-faim, obliger de respirer leurs odeurs, d‘écouter leurs grognements. » […]

Cet “asile” évoqué, se situe aux Etats-Unis dans les années 70, pas en France en 2008. La réalité de cette “condition d’exception” explique bien le refus parfois mortel,  récemment encore, d’avoir recours aux moyens publics mis à disposition. C’est une toute autre « logique », en dehors des codes, à laquelle la société se trouve confrontée. Paul Auster l’a merveilleusement décrite, il y a déjà 20 ans. Cette « dialectique » qui n’est pas la notre, est en débat : peut-on obliger quelqu’un à se faire soigner, à s’abriter du gel, à ne pas mettre sa vie en danger ? Plus largement a-t-on le droit d’obliger l’autre à suivre un « modèle » qu’il refuse. Je n’évoque bien sur pas ici, les devoirs d’une société envers les plus faibles, obligation de leur fournir le minimum permettant de se nourrir de se vêtir, de s’abriter. Mais êtes-vous persuadés que ce minimum effectivement correctement assuré, ce qui n’est pas le cas, la société aurait ainsi éradiqué les campeurs du froid et les SDF ? Rien n’est moins certain. Ils habitent souvent ailleurs et ne veulent plus de nos règles. Alors ! La mort serait au bout du chemin ? OUI … au détours de tous les chemins. Ils le perçoivent et l’acceptent peut-être mieux que d’autres.

Moon palace , avec talent, retrace ainsi entre autre, des “errances” sublimes. L’argent est très présent dans le livre. Les héros y vivent des phases de grande richesse et de profond dénuement, mais  conservent toujours une attitude de rejet du “normé”, en dépit des quantités de dollars en poche.

A lire ou relire.

éé

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