Intéressons-nous aujourd’hui au cas d’un Directeur d’école publique qui m’a écrit à la mi-juillet. Appelons-le Sébastien R. et imaginons-le installé dans l’Ain (1).
À l’occasion d’activité périscolaires organisées par la mairie (cantine, garderie), Sébastien a signalé par courrier au maire de sa commune le manque de discipline d’un élève et son comportement fautif. Le maire a alors convoqué les parents et, au cours de leur entretien, il s’est appuyé expressément sur la lettre de Sébastien et a cité les différents incidents notés scrupuleusement par icelui.
Les parents ont alors exigé une copie de la lettre ; le maire a refusé de la leur communiquer. Les parents ont fait appel à un avocat qui a demandé copie du rapport de Sébastien en faisant référence à la loi n° 78-53 du 17 juillet 1978.
Là Sébastien s’interroge :
« Sur le fond, la lettre en question n’est qu’une énumération de faits et ne porte aucun jugement de valeur ni sur l’enfant ni sur ses parents. J’ai donc l’esprit tranquille même si les parents semblent extrêmement procéduriers … Mais sur la forme, la Mairie est-elle vraiment tenue de remettre une copie de cette lettre aux parents de l’enfant (soit directement soit par le biais d’un avocat)? Une simple lettre, adressée par un directeur d’école au Maire de la commune constitue-t-elle, au sens de la loi, un document administratif achevé? Si oui, il va s’en dire que je n’adresserai plus le moindre courrier à un maire sachant que n’importe quelle personne aura ensuite le droit de le lire!!! »
J’ai répondu à Sébastien comment je procèderais si j’étais à la place du maire de cette commune :
« Je commencerais par répondre à l’avocat saisi par les parents que la lettre du directeur de l’école n’est qu’un élément parmi d’autres de ce dossier, élément à partir duquel un rapport sera rédigé sous quinzaine (après tout l’avocat a demandé le rapport!), par exemple, par le secrétaire de mairie et/ou un agent de la police municipale (2). Cette lettre n’étant qu’un document d’étape ne saurait donc être communicable en soi. Elle pourrait d’ailleurs porter en en-tête des éléments de la vie privée (adresse personnelle ou téléphone du directeur de l’école) non communicables.
Ensuite, j’essaierais de corroborer votre témoignage par des témoignages complémentaires : surveillants de cantine et/ou de garderie, agents municipaux.
Il est important cependant que le rapport ne soit pas qu’une simple reprise des éléments de la lettre mais qu’il apporte quelque chose de plus, par exemple la référence à un règlement intérieur - qu’il soit d’origine scolaire ou municipale - qu’il rappelle également la nécessité d’un comportement civique des enfants a fortiori dans des locaux municipaux.
Bien entendu, je communiquerais le rapport à l’avocat mais il aurait l’avantage d’émaner directement du maire, exécutif de la collectivité, et non pas d’un directeur d’école qu’en l’espèce je tâcherais de protéger car, aujourd’hui, un enseignant est plus vulnérable qu’un maire (sentiment personnel). »
Sébastien, après les remerciements d’usage, m’a fait savoir qu’il ferait suivre ma réponse à la mairie concernée “qui ne sait pas du tout comment agir face à la demande de cet avocat”.
Il m’a ensuite posé deux autres questions :
« Je continue de m’interroger sur ce qu’on entend par document administratif. Est-ce qu’un courrier écrit au maire par un administré, pour évoquer par exemple des problèmes de voisinage, est considéré comme tel, et donc communicable? »
Voici ma réponse :
« Je pense qu’il faut entendre la notion de document administratif dans une acception très large ; dès lors que le courrier est arrivé en mairie, a été enregistré puis classé, il devient de facto un document administratif. Est-il communicable pour autant, je ne le crois pas dans le cas présent pour les raisons déjà évoquées. »
Autre question : « N’y-a-t-il donc aucune confidentialité possible lorsqu’on écrit au maire de sa commune ? »
Autre réponse : « La loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 a voulu mettre un terme à la notion de secret de l’administration, la notion de document préparatoire (ici, la lettre sert à préparer le rapport ou le compte rendu) partiel ou inachevé permet néanmoins in fine une communication à un tiers dudit rapport »
évidemment édulcoré, si besoin, par rapport à un premier compte rendu brut.
Dernier épisode, Sébastien m’écrit ensuite :
« Il semblerait qu’un document préparatoire devienne communicable une fois la décision administrative prise. Dès lors, dans le cadre de mon affaire, je crains que le caractère préparatoire de la lettre n’empêche pas sa communication, quand bien même un compte rendu de la réunion aura été établi. Qu’en pensez-vous? »
Voici ma conclusion :
« Le document préparatoire peut en effet être communiqué, éventuellement expurgé de considérations litigieuses, à l’issue du processus qui a conduit à la rédaction d’un acte tel qu’un rapport ou un compte rendu. Il existe une jurisprudence à ce sujet, Conseil d’État, décision du 16 juin 1989, office public d’H.L.M. de la ville de Paris ».
Voilà à quoi j’ai passé mon week-end du 14 juillet!
Notes
(1) par souci de confidentialité je ne cite ni le nom ni la commune réelle de mon interlocuteur
(2) en général ils font ça avec beaucoup de professionnalisme
Post-scriptum : j’ai été interrogé (cf. antépénultième billet) sur les raisons pour lesquelles je renseignais les gens. Je dirai que je le fais pour leur rendre service, pour les aider, par empathie, mais aussi parce que je suis très attaché à la démocratie locale et à la transparence de la gestion publique, sans doute faut-il y voir l’influence de quelqu’un comme Michel Rocard