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en fin de course

Par Richard Gonzalez

Corrientes

Corrientes, depuis l'autocar, août 2006


J’ai eu une vision, c’était l’aube. La ville sortait de sa brume comme un animal traqué, les yeux clignant de lassitude. La large ceinture du fleuve charriait mollement des morceaux de rêves vers les poubelles du jour. Drôle comme cette ville grise, éreintée avant même de s’ouvrir aux lueurs, lentement me ressemblait : j’avais passé dix heures à rouler à travers le chaco, immense horizon de vent et de buissons sans feuilles, dans un car spasmodique qui m’avait moulu le dos. Je cherchais à me défaire d’une nuit bitumeuse, raide et craquelée à l’image de cette longue route, où entre deux sommeils en pointillés, j’avais compté les cadavres de chiens et de chinchillas. Je guettais maintenant par la fenêtre le début d’une nouvelle aventure. J’avais secrètement espéré qu’un beau cliché de carte postale rose et vert m’égaye l’œil et au bout du vide, ce fut cette ville, enroulée dans l’aube embuée : un territoire indéfinissable, un décor hostile à toute pensée. Comme à Jujuy ou à Tucuman, des visages démunis, du silence pétrifié, des rues exsangues, veines arrachées à un combat perdu. Ces villes d'éternelle fin de nuit racontent la même histoire, portent la même douleur. Elles semblent me parler après coup de ce qui ne se regagne pas. Elles continuent de se délabrer dans mes souvenirs de voyage mais la sensation qu’elles m’ont laissée gonfle encore certains soirs de novembre. On n'oublie pas facilement ses défaites et on passe le reste de sa vie à chercher secrètement ce qui les ont provoquées.


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