Voici une proposition de loi passée inaperçue et qui pourtant devrait avoir un impact significatif sur les sites d'information en ligne ainsi que sur la blogosphère puisqu'elle s'applique à tous les contenus mis en ligne.
Cette proposition de loi déposée par le sénateur UMP de la Sarthe Marcel-Pierre Cléach a été adoptée par le sénat le 4 novembre dernier. Elle modifie le dernier alinéa de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :
Le délai de prescription prévu au premier alinéa est porté à un an si les infractions ont été commises par l'intermédiaire d'un service de communication au public en ligne. Ces dispositions ne sont toutefois pas applicables en cas de reproduction du contenu d'un message diffusé par une publication de presse ou par un service de communication audiovisuelle régulièrement déclaré ou autorisé lorsque cette reproduction est mise en ligne sous la responsabilité de leur directeur de publication.
Dans l'exposé des motifs, c'est bien évidemment l'intérêt de nos concitoyens qui est mis en avant.
Soit.Or quand il se trouve que l'intérêt des concitoyens coincide avec celui du gouvernement, ce même gouvernement applaudit des deux mains et la garde des sceaux, Madame Rachida Dati, dans un discours au sénat du 5 Novembre apporte son soutien à cette proposition :
Cette fois, ce n'est plus la nature des faits qui justifie une extension du bref délai de prescription, mais le moyen utilisé pour commettre l'infraction.
mais en précisant tout de même :
Ne nous méprenons pas. Internet est avant tout un formidable outil. C'est un moyen d'échange démocratique et un levier économique essentiel.
Ouf, on a eu peur ! La ministre de la justice aime Internet !!
Il est certain que les spécificités d'Internet -la rémanence de l'information par exemple- méritent d'être prises en compte par la loi et ce dans l'intérêt de tous.
Mais à un moment où les soupçons de collusion entre la majorité présidentielle et certains grand médias n'ont jamais été aussi forts, où certains dénoncent -à juste titre- la mise au pas de l'audiovisuel public, où la campagne d'Obama a révélé l'efficacité du social networking, à un moment où un nombre croissant de français se détournent des médias traditionnels au profit des médias en ligne (Rue89, Bakchich, DeSourceSure, Acrimed, Mediapart ...) et autres blogs, on peut se demander si cette loi ne vient pas comme un message du gouvernement envoyé à ces derniers: désormais on vous tient à l'oeil .
Vous en pensez quoi vous ? Tentative de reprise en main ou réél souci de la protection des personnes ?
Pour ma part, j'espère ne pas m'être rendu coupable d'un délit de diffamation en écrivant cet article et ai bien pris la précaution de donner du Monsieur et du Madame à chaque fois que j'ai cité un membre du gouvernement (que Dieu tapisse leur chemin de pétales de rose). Pour en avoir le coeur net, je vais tout de suite me replonger dans l'excellent article de Maître Eolas sur la responsabilité pénale du blogueur.
Pour en savoir plus:
L'article de Web Citoyen sur le sujet (qui reprend une vidéo de davduf de Mediapart qui dézingue cette loi)
Le dossier legislatif contenant l'exposé des motifs, la synthèse des débats ainsi que le texte complet
Le discours de Madame Dati à ce sujet.
ERRATUM:
Dans sa première mouture s'intitulait, "Amendement Masson: le délai de prescription pour délit de diffamation sur Internet porté à 1 an ?". C'était une erreur (erreur également constatée dans l'Express de cette semaine qui attribue la paternité de cette proposition de loi au sénateur Jean-Louis Masson). Il se trouve que ce dernier a effectivement déposé le 7 octobre une proposition de loi identique, mais c'est finalement celle de Monsieur Marcel-Pierre Cléach qui fut adoptée le 4 novembre
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