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D’où vient l’argent ? / par Alain Sueur

Publié le 03 décembre 2008 par Argoul

L’argent provient d’abord du travail : au niveau d’un Etat, cela s’appelle les impôts et taxes. Ils rémunèrent ce que l’Etat produit : de la protection armée, de la justice, de l’éducation, de la santé, des règles de loi. Mais l’argent provient aussi du crédit. Ce qu’on n’a pas, on peut l’emprunter, si l’on arrive à convaincre le prêteur que son projet vaut le coup. Le crédit est du recyclage d’argent : ceux qui en ont sans en avoir l’usage immédiat le « placent » auprès du banquier ou des emprunteurs. Les banques récoltent ainsi des dépôts qui servent à faire du crédit aux particuliers (consommation, immobilier) ou aux entreprises. Les emprunteurs privés émettent des bons, des obligations ou des actions qui rapportent un intérêt, un coupon ou un dividende. Les Etats n’émettent pas d’actions (part de capital) mais des bons du Trésor et des Obligations (OAT en France, bonds aux USA, Bunds en Allemagne).

La magie du crédit est qu’il « crée » ainsi de la monnaie. Si les sommes empruntées proviennent bien du bas de laine de quelqu’un, leur investissement permet de produire des biens qui seront vendus avec marge bénéficiaire, « créant » ainsi de l’argent qu’on n’a pas (puisqu’on l’a emprunté). L’objectif est que les bénéfices, dans la durée, soient supérieurs au remboursement du prêt, plus les intérêts servis. La production permise par le crédit produit de l’activité et des salaires, donc des taxes, des droits et des impôts, ce qui alimente la machine.

La « relance », c’est cela : réamorcer la pompe pour que le système puisse à nouveau fonctionner tout seul (ce qu’a démontré Keynes en 1930). La première chose à faire est de restaurer la confiance entre les acteurs du crédit : que les particuliers aient confiance dans les banques pour leur déposer leur épargne ; que les banques aient confiance entre elles pour se prêter mutuellement ; que la Banque centrale ait confiance dans la gestion des banques pour les refinancer. Le retour de la confiance, lorsqu’elle est gravement entamée par le marché, ne peut venir que d’en-dehors du marché : des Etats. Ce pourquoi ceux-ci prennent une participation dans leur capital, rachètent les produits toxiques à prix fixe, tandis que les Banques centrales baissent les taux de refinancement.

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L’argent nécessaire pour tout cela n’existe pas dans les caisses des Etats. Ils doivent donc l’emprunter auprès des marchés, tout comme un particulier. La réponse à la question « d’où vient l’argent » est donc celle-ci : de l’emprunt d’Etat.
Qui va prêter ? Vous, moi, les investisseurs internationaux.

Pourquoi prêter aux Etats plutôt qu’aux entreprises ? Parce qu’il est très rare qu’un Etat fasse faillite (même l’Islande, qui a emprunté dix fois au moins ses actifs) et parce qu’en temps de crise grave, aucune entreprise, même réputée la plus solide, n’est aussi à l’abri qu’un Etat pour rembourser sa dette. Les Etats peuvent en effet lever l’impôt, exiger des emprunts forcés, en bref exercer toutes contraintes publiques nécessaires à la vie de la collectivité.

Mais alors, pourquoi ne pas exercer cette faculté d’emprunt d’Etat dès qu’un besoin se fait sentir (bâtir des logements sociaux, soutenir l’emploi dans une entreprise, résorber le chômage) ? Parce que cette capacité d’Etat à emprunter connaît des limites : celles de la confiance que peuvent lui accorder les prêteurs. On parle alors du « marché » - mais le marché n’est pas une personne, il n’est qu’un lieu symbolique où se rencontrent les offres de crédit et les demandes de prêts. Le marché, c’est vous, c’est moi, ce sont les organismes qui gèrent nos retraites, nos assurances-vie, notre épargne, les fonds souverains étrangers. Or tous ont envie que l’Etat à qui l’on prête soit capable non seulement de rembourser le capital à échéance, mais aussi de payer chaque année les intérêts fixés par contrat initial au prêt. Si l’Etat s’endette trop, par rapport à ses capacités de lever les impôts et taxes, de moins en moins de prêteurs auront confiance dans ses emprunts : ce pourquoi – dans la même zone euro – les taux des emprunts allemands sont plus bas que les taux des emprunts français, italiens ou grecs. Le surplus d’intérêt demandé par les prêteurs s’appelle la « prime de risque » ; elle atteint pour les Grecs plus de 1%, pour les Italiens 1.06% et 0,43% pour la dette française par rapport à la dette allemande !

Si toute la zone monétaire devient « trop » endettée, la monnaie sera moins demandée sur les marchés internationaux et elle baissera par rapport aux autres grandes monnaies (ce qui est arrivé au dollar fin 2007-début 2008).Ce qui poussera les prix des biens et des matières premières importées à la hausse, alimentant l’inflation. Si l’Etat déverse de l’argent tous azimuts dans l’économie, grâce à ces emprunts et à la politique de taux bas de sa Banque centrale, il va faire monter les prix des actifs (ce qui est arrivé aux actions technologiques sur la période 1996-2000 et à l’immobilier, surtout américain, sur la période 2002-2007). L’inflation des biens et l’inflation des actifs inciteront les prêteurs nationaux et internationaux à quitter les emprunts d’Etat pour des actifs « réels » (actions, immobilier, contrats sur les matières premières), asséchant les possibilités de nouveaux emprunts pour les Etats. Ceux-ci seraient obligés d’augmenter la prime de risque offerte pour leurs emprunts, poussant les taux à la hausse, car l’inflation érode les revenus fixes.

Telle est la limite : un Etat peut faire beaucoup, mais pas vraiment tout ce qu’il veut. La crainte actuelle – la déflation – est favorable aux emprunts des Etats car elle présente le risque le plus faible et un flux de revenus futurs quasiment assuré sans perte de pouvoir d’achat. En déflation, tout vaut moins cher demain, les revenus fixes sont donc le meilleur placement. Mais dès que les économie repartiront, ce qui est une question de mois, les investisseurs auront mieux à faire que prêter aux Etats : les actions ou les matières premières seront plus rentables avec un risque qui diminuera.

Il faudra alors aux Etats rembourser leur dette gonflée par le marasme. Si l’économie repart franchement, cela se fera par les impôts et taxes qui seront automatiquement plus élevés, et par la baisse de la distribution aux ayants-droits sociaux qui retrouveront un emploi. Les participations prises dans les banques pourront être revendues avec bénéfice. Le pire scénario serait « à la japonaise » des années 1991-2003, celui du marasme persistant (croissance entre 0 et 1% l’an). La dette serait alors un boulet qui empêcherait tout emprunt supplémentaire, donc toute nouvelle relance… Certains investisseurs se demandent justement si le plan Paulson aux Etats-Unis est suffisant et ils s’inquiètent du tonneau des Danaïdes des industries qui réclament toutes leur part (banques, assurances, immobilier, automobile…). Ce pourquoi l’or remonte vivement, l’Etat américain – donc le dollar - n’inspirant plus confiance comme avant en cette période de flottement politique.

La France, dont la dette d’Etat est à 62% entre les mains d’investisseurs étrangers, a intérêt à inspirer confiance si elle veut pouvoir conserver une capacité d’emprunt et des taux servis raisonnables. Pour cela, les composantes du déficit public devront privilégier les dépenses d’infrastructures – productives à terme – et les réformes structurelles (investissement et marché du travail, plus que les dépenses de stabilisation (baisser les impôts et distribuer plus d’allocations). Ces dernières ne seront considérées comme saines que si elles sont déclarées provisoires et si elles ne masquent pas le principal : la relance productive (logement, transports propres, isolation des bâtiments, investissement recherche…).

Alain Sueur, auteur des “Outils de la stratégie boursière ” et rédac chef du Blog Boursier écrit régulièrement sur Fugues.


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