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Les Français apprennent l'économie - En passant par le théorème de Kakutani (1)

Publié le 03 décembre 2008 par Mtislav
  
Les sociaux-démocrates pensent que les Français sont nuls en économie. A rebours, on pourrait professer que les sociaux-démocrates sont nuls en économie et les Français schizophrènes. Par chance, la rédaction vient de proposer du travail à un vieillard étranglé par le faible niveau de sa retraite. Nous lui avons proposé de préparer une série d'articles destinés à soigner les uns et édifier les autres.
Notre première leçon d'économie concernera la maladie mentale et la théorie des jeux. Vous connaissez sans-doute le destin de John F. Nash. Né en Virginie en 1928, c'est un brillant sujet qui est invité à poursuivre ses études à Princeton. Une ville du Nord, réputée pour avoir l'esprit du Sud, c'est-à-dire pour ne pas accepter de noirs, ce qui est banal à l'époque. Un élitisme exacerbé en particulier dans le département de mathématiques. On le verra plus loin, un catalyseur dans la maladie mentale de Nash. Il publie son mémoire de thèse (Equilibrium points in n-person games) dans la revue PNAS (comptes rendus de l'académie des sciences américaine).  Moins de trente lignes qui, en passant par le théorème de Kakutani, vous mèneront à une conclusion facile à comprendre, baptisée équilibre de Nash, qu'une petite anecdote peut aider à comprendre.  
Les Français apprennent l'économie - En passant par le théorème de Kakutani (1)Deux marchands de glace ont à choisir le meilleur emplacement sur une portion de plage donnée. Ils vendent tous les deux les meilleures crèmes glacées de la plage comme il se doit et au même prix. Nash montre que la meilleure position pour chacun d'eux consiste à se placer au centre de la plage. Nash contredit ce faisant l'idée d'une main invisible (Adam Smith) qui voudrait que les agents économiques, en cherchant leur intérêt personnel, concourent à l'intérêt général. En effet, il n'y a guère d'intérêt pour les acheteurs de glace à ce que les deux se positionnent au centre de la plage... 
La démonstration de Nash s'applique à des jeux avec n'importe quel nombre de joueurs et aboutissent à des équilibres stables. On pourrait développer l'exemple en montrant comment une communauté de blogueurs va produire le même type d'article au même moment. Ce n'est pourtant pas l'intérêt de la communauté des lecteurs.* 
John F. Nash recevra le prix Nobel d'économie pour ses travaux 44 ans plus tard. Vous avez peut-être vu le film "A Beautiful Mind" dans lequel Russel Crowe incarne le mathématicien. Le titre français était "Un Homme d'exception". Evidement, les producteurs se sont refusé à traduire littéralement par un "bel esprit" sachant que Nash souffre de schizophrénie paranoïde. Diagnostiquée à la fin des années 50, elle est habilement présentée dans le film à tel point qu'on se demande qui est fou, l'Amérique aux prises avec la guerre froide et le maccarthisme des années 50 ou l'entourage d'un homme dévoré par son travail pour la Rand corporation (c'est-à-dire la défense américaine) ou le MIT entre autres. Le film passe sur la question des rapports de Nash avec l'homosexualité. Sa femme Alicia a fortement nié cette éventualité, Nash n'a jamais répondu là-dessus. En 1954, il est arrêté pour "méconduite", la Rand Corp le jette dehors sous le prétexte que ses amitiés particulières l'exposent au chantage. C'est ce qui livré dans la biographie (auquel le film a emprunté le titre) que lui a consacré Sylvia Nasar en 1998. 400 pages de bio à l'américaine...  Le film est beaucoup plus édulcoré, il simplifie sa vie personnelle (son fils aîné est l'enfant d'Eleanor Stier alors qu'il est marié avec Alicia Lardé).
Nash est parvenu à gérer sa schizophrénie au bout de longues années.  Il y a une vidéo assez amusante : Nash est interviewé par un crétin qui ne le laisse pas parler. On le voit répondre de manière hésitante, modeste et timide. Il a souffert énormément et compare les traitements qui lui ont été administrés à de la torture. Sur YouTube, des étudiants s'invectivent : une petite séquence a été volée pendant un de ses cours, des rires parcourent à moment donné l'assistance. "Il n'est pas fou" dit un étudiant, "il est juste plus intelligent que tu ne le seras jamais".  
Pour vous faire une idée, lisez l'interview qu'il a accordé au mathématicien italien Piergiorgio Odifreddi. C'est en français, cela permet au détour d'une question de comprendre un petit peu la trajectoire de Nash.
P. Pdifreddi : Vous avez dit aussi que guérir d'une maladie mentale ne donne pas la même joie que guérir d'une maladie physique, parce que la rationalité de la pensée impose une limite à la conception que peut avoir une personne de sa relation avec le cosmos.

J. Nash : Je me voyais comme un grand prophète ou un messie...

Henry J., responsable de la rubrique économie* Nous ne parlons pas ici des jeux d'écriture citoyens.photo : Foule à Coney Island (Arthur Fellig dit Weegee)     

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