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Plutôt bouffe que symbole…

Publié le 26 octobre 2008 par Arsobispo

c-bonnet.1226431288.jpg  Excursion en forêt de Carnelle avec l’ethnobotaniste Claire Bonnet.

D’une rare compétence, Claire Bonnet se consacre à divulguer ses connaissances botaniques lors de sorties au cœur de la nature. Nous avions choisis de la suivre dans cette forêt du Val d’Oise à la découverte des arbres et plus particulièrement du symbolisme qu’ils portent depuis des temps séculaires. Emportée par sa passion, elle alla bien naturellement au delà de ce thème en l’enrichissant de remarques thérapeutiques, alimentaires et historiques. La nature l’a « à la bonne », car, comme elle le dit avec orgueil, ses sorties sont toujours sous le signe du beau temps. La pluie de la vieille nous avait donc gratifiée d’un sommeil prolongé, et la ballade fut heureuse.

La forêt de Carnelle est protégée depuis des siècles. Domaniale, elle s’étend sur près d’un millier d’hectares plantés de diverses essences arboricoles, notamment de chênes, hêtres, châtaigniers et charmes. A peine investit, nous sommes comme dans une crypte et nos premières explications nous sont données sous un chêne de plus de 200 ans qu’enserrent des hêtres tout autant séculaires. On pourrait se croire au château d’Eu, près de Rouen, ou se retrouvèrent le roi Louis-Philippe et la reine Victoria à l’occasion du premier rapprochement franco-britannique. Ils y avaient planté deux arbres -un chêne et un hêtre- pour symboliser la réconciliation officielle entre les deux pays. Je ne sais plus lesquels symbolisaient l’une et l’autre des nations. Et j’oublie de poser la question à Claire. Cela ne m’étonne pas. En fait, je suis plus intéressé par l’utilisation culinaire de l’arbre que par sa symbolique. Dans les bois de fayards, comme on appelait autrefois les hêtres, nos ancêtres  glanaient leurs fruits, les faines, pour les moudre en farine ou pour en extraire de l’huile. Quant aux feuilles, ils en remplissaient leurs édredons et polochons.

Mais pour l’instant, Claire nous parle du chêne, l’arbre de Zeus. Elle aborde bien évidemment le chapitre de ses fantastiques acrobates que furent les druides – avez-vous déjà tenté de grimper sur un chêne ? - et de nous apprendre que le gui n’a jamais été un parasite de l’arbre, bien au contraire. Elle nous affirme, du moins si j’ai bien compris, qu’il y a symbiose entre les deux végétaux. Autour de moi, personne ne veut la croire. De mon côté, je cherche à terre une brûlée – indice de truffe -, au cas ou !

Tout à côté, il y a un charme et Claire nous invite à observer la différence entre ses feuilles et celles d’un des magnifiques hêtres ; c’est l’heure d’apprendre cette p

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otechnique «Le charme d’Adam est d’être à poil» permettant de déterminer par les feuilles si l’on a affaire à un hêtre ou un charme. Le charme à des feuilles dentelées alors que les feuilles du hêtre sont barbues. Une autre caractéristique permettant de les distinguer est que l’hêtre  interdit aux autres végétaux de s’approcher de ses racines. Son tronc est en outre d’une remarquable rectitude alors que le charme pousse souvent en cépée.

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Plus loin, nous nous arrêtons devant un groupe de frênes aux troncs noueux et aux solides ramures. De véritables charpentes qui expliquent sans doute pourquoi les celtes considéraient le frêne comme le support de la voûte céleste. Son bois, dur et compact tout en restant souple, a été utilisé dès l’antiquité dans la réalisation des hampes d’armes à main, des manches d’outils, dans la marine et, plus proche de nous, dans la confection des raquettes des skis. Souple et ferme, pas étonnant que Wang Keping, sculpteur chinois, utilise ce bois pour représenter ses «Déesses», aux thèmes sensuels, et même sexuels

Malgré l’automne, des samares subsistent encore au bout des branches d’exemplaires femelles. Claire ou quelqu’un d’autre, m’avait expliqué que les paysans bourguignons du Moyen-Âge buvaient de la bière de feuilles de frêne. De la bière en Bourgogne ! Des fleurs fraîches de la variété appelée communément orne, on produisait, après fermentation, une boisson rafraîchissante, légèrement alcoolisée et antirhumatismale. Est-ce que la frénette désignait la boisson à base de feuilles ou de fleurs ? Je ne sais pas. Plus récemment, de son écorce, on extrayait le quinquina… En somme l’arbre des œnologues.

Le miel de metcalfa, est produit lui aussi grâce au frêne. C’est le seul miel qui porte un nom d’insecte, en l’occurrence celui de la cicadelle, un insecte qui suce la sève des feuilles et rejette un excrément sucré fort apprécié des abeilles et des apiculteurs.

La promenade continue. Un peu plus loin, au cœur d’un taillis, pousse un if, avec difficulté semble-t-il. On aborde sa toxicité bien évidemment, mais aussi son utilisation dans le traitement du cancer. Je n’ai aucune connaissance sur l’utilisation culinaire que l’on peut en faire. Par contre, après avoir appris que l’if était l’arbre d’Hécate, gardienne des Enfers, je comprends mieux pourquoi au Moyen-Âge on plantait un if sur les dépouilles des hérétiques – cathares ou huguenots - qui n’avaient pas alors droit d’être enterrés dans les cimetières.

La matinée est bien avancée. C’est l’heure de sortir les casse-croûtes et gourdes. Personne n’a songé aux flasques. Dommage !

L’après-midi sera plus fastidieuse. Pas question de faire une sieste. Pourtant le temps s’y prêtait avec l’apparition du soleil. Allons, un peu d’allant ! Quoi qu’il en soit, les explications sur les châtaigniers seront plus ardues.

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Dans cette partie dela forêt, nous découvrons quelques parcelles envahies par broussailles, des ronces et des massifs de fougères. Ils cachent des troncs en décomposition et  montre clairement que les plaies de la tempête de 1999 ne sont pas encore cicatrisées. Il ne faut pas s’offusquer de cette colonisation des ronces et fougères. Elles ne disputent pas le terrain aux jeunes pousses, bien au contraire, elles les protègent de leur couverture dense et armée. Là, dans leur ombre, la biodiversité va pouvoir s’exprimer sans risque de voir les jeunes pousses être croquées par un cerf ou un chevreuil.

Il est vrai qu’il faudra bien un jour dégager les essences nobles, chênes, hêtres, en coupant ou arrachant les espèces pionnières mais nous n’en sommes pas là. L’ONF, qui gère les forêts publiques saura le faire. On peut par contre s’inquiéter de l’avenir des forêts privées, qui n’ont pas les moyens de l’Etat, d’autant que l’effort d’un repeuplement nécessite entre 50 à 100 ans pour retrouver les paysages antérieurs à la tempête de 1999.

Au cœur d’un buisson, Claire nous montre un exemplaire de fusain et un sorbier, autres arbrisseaux toxiques. La nature a peut-être bien fait les choses en privilégiant les plantes vénéneuses sur des terrains en capilotade.

Alors que nous approchons d’une enclave humide, nous découvrons un groupe

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de saules, permettant du même coup de stabiliser le sol. Bizarrement, alors que nous commençons à deviser sur cet arbre associé bien évidemment à l’humidité, quelques gouttes de pluie viennent à tomber. Claire ne veut pas que sa protection divine contre la pluie devienne caduque et nous annonce qu’il est temps de rentrer… J’ai juste le temps de lui demander pourquoi tant d’arbres ne se prononcent que par une seule syllabe, chênes, hêtres, charmes, frênes, saules, ormes, ifs, aulnes et autres pins ? Elle ne sait pas. Je me demande si ma question n’est pas stupide, car avec toutes les explications qu’elle nous a fournie aujourd’hui, il est impossible qu’elle ne connaisse pas les réponses à toutes les questions, si tant est, bien évidemment, que la question ne soit pas absconse… En fait, j’ai posé plus tard la question sur le site //www.lesarbres.fr et Pierre-Yves, son administrateur, a eut la gentillesse de me répondre avec bon sens : « Je n’ai pas d’explication. Mais je me dis que nos anciens ont voulu faire simple, et pas compliqué. C’est comme les prénoms : Pierre, Paul, Jacques, Jean, etc… Les noms d’arbres compliqués ont été créés plus tard, en souvenir de leur inventeur ou d’un botaniste célèbre (parrotia, albizzia, ..) ou en fonction de leur caractéristique (clérodendron, par ex). J’en parle dans cette page : http://www.lesarbres.fr/origine.php   »

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Quoiqu’il en soit, l’essentiel de cette journée n’est bien évidemment pas explicable. Il est évident. Il suffit de regarder tout autour de nous cette beauté de la forêt dans la tombée du jour, dans les reflets d’ombres et de lumières, du jeu vif et mystérieux des couleurs automnales en reflets, rayons et signes. Et surtout de la majesté rare, presque oubliée, que présente ses arbres préservés.


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