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Guerrir le mal par le mal

Publié le 04 décembre 2008 par Graphseo
Monétisation de la dette, ou la transgression du tabou de l’argent
4 décembre 2008Lien Permanent Entre 2000 et 2008, l’endettement global a doublé, passant de 58% a 120% du PIB mondial. Sur ces 60 000 milliards de dollars, quel est le pourcentage des créances qui, devenues douteuses ou irrécouvrables, sera détruit par le processus de liquidation ? Chacun se forgera une opinion sur l’évaluation de la quantité vraisemblable de dette et du coût du service de celle-ci que l’économie réelle peut raisonnablement supporter.De cette réponse dépendra l’ampleur de la récession - voire de la dépression - que nous allons subir. Mais de toute évidence, sous l’effet conjugué de la dévaluation des biens financés à crédit et de la période de récession sévère dans laquelle nous entrons, une part non négligeable de ce papier ne survivra pas en conservant sa valeur nominale actuelle.La spirale baissière de la déflation de la dette induit une réduction drastique de l’activité économique et une aversion au risque - c’est-à-dire un renchérissement et une raréfaction du crédit - provoquant une réduction de l’investissement, des revenus et de la consommation qui auto entretiennent la glissade de la dévalorisation des actifs amorcée par l’effondrement des subprimes et de l’immobilier US. L’image d’un rocher en équilibre instable, se mettant à dévaler la pente, vient immédiatement à l’esprit.Les autorités tentent par tous les moyens de contrebalancer et de ralentir cette destruction de « valeur » à laquelle nous assistons, avec la volonté d’accélérer l’apparition du point d’inflexion qui marquerait le début d’un retournement du mouvement en cours. Pour ce faire elles financent le rachat des actifs dépréciés et des obligations - pour soutenir les prix - tout en recapitalisant les banques - afin de restaurer le crédit, et d’éviter les faillites. Jusqu’à présent, si elles ont réussi à éviter l’effondrement du système financier, elles ne parviennent toujours pas à mettre un terme à la tendance déflationniste et récessive à l’oeuvre.Et pour cause. Tant que la liquidation n’est pas arrivée à son terme, ce qui ne pourra se produire - au minimum - avant la fin du premier semestre 2009, tous ignorent encore quelles sont les entreprises qui seront toujours en vie au jour du redémarrage de l’activité, et à quel niveau se stabiliseront les prix de l’immobilier là où les bulles ont été à l’œuvre. La méfiance, les mesures protectrices et conservatoires, restent donc la règle.Confrontées à une tâche semblable à celle de Sisyphe, les autorités ne peuvent que constater que le volet classique de la politique monétaire - la baisse des taux - a atteint les limites de son action. Avec des taux directeurs qui avoisinent déjà ou vont le faire sans tarder le zéro pourcent, l’incitation à la reflation, à la création monétaire par le biais du crédit en diminuant le coût de l’argent, arrive en bout de course. Ni les baisses de taux rapides et massives, ni les garanties offertes et les prêts octroyés aux banques et au système financier, n’ont eu pour effet un redémarrage du crédit. On assiste au contraire à la poursuite de l’accumulation frileuse de réserves et de bons du Trésor, ce qui provoque une baisse de leur rendement atteignant des records historiques.La masse des créances douteuses - ou en voie de le devenir - que nous évoquions précédemment explique de toute évidence cet échec. Ceux qui disposent de capitaux attendent qu’un minimum de visibilité, à défaut de sécurité, revienne pour les investir, et les banques, paralysées par la perspective de l’érosion de leur capital, au fur et à mesure qu’elles devront éponger de nouvelles pertes, veulent garder des munitions.Dans ces conditions, la tâche des responsables politiques et monétaires ressemble fort à une mission impossible. Après avoir fort imprudemment admis que les régulateurs aient laissé la bride sur le cou à une mondialisation financière dérégulée, ont attend d’eux aujourd’hui qu’ils épongent ou accompagnent une liquidation maîtrisée de dettes dont l’ordre de grandeur est celui de l’économie mondiale, c’est-à-dire largement supérieur à celui des moyens dont ils disposent.Mais tant que le processus de liquidation ne sera pas parvenu à son terme, le coût réel du risque restera bien supérieur à celui des fonds distribués ou garantis, et ceux-ci n’iront pas dans l’immédiat irriguer l’économie.D’ici là, les autorités sont donc confrontées à une double impossibilité. Soit racheter autant que faire se peut les créances douteuses pour ralentir la déflation, la destruction de valeur, la disparition du crédit et leurs effets sur l’économie, soit laisser mourir les banques et les entreprises chargées de ces promesses irréalisables, et constater l’appauvrissement des salariés, l’étranglement des foyers endettés par l’immobilier, ce qui entraînerait alors la chute de pans entiers de l’économie.C’est évidemment la première voie qui a été choisie. Mais la question de son financement devient chaque jour plus cruciale. Les Etats disposent de deux solutions. La première, classique, consiste à emprunter en émettant des bons du Trésor. Elle devrait cependant être confrontée assez rapidement à l’éclaircissement des rangs des acheteurs potentiels, inquiets sur la solvabilité des émetteurs. La récente hausse des contrats d’assurance sur la dette américaine et britannique traduit déjà cette méfiance. La seconde, nettement plus innovante - ou iconoclaste, c’est selon - consiste à financer la dette par une émission de monnaie, ex nihilo.Ben Bernanke, le directeur de la Réserve Fédérale américaine, qui est crédité d’une réputation de spécialiste des mécanismes de la déflation, avait indiqué dès 2002 que dans ces circonstances, l’arme ultime de la « monétisation de la dette » devrait être employée. Ce terme technique désigne une pratique fort simple dans son principe, consistant à racheter les dettes de l’Etat ou du privé avec de la monnaie créée pour l’occasion par la banque centrale. Ce qu’en d’autre temps on aurait décrit comme l’usage de la « planche à billets ». Cette mesure, présentée comme une continuation de la politique monétaire actuelle sous la forme d’un « assouplissement quantitatif » n’en est pas moins un aveu d’échec. Elle contrevient à toutes les règles de la rigueur monétariste qui régnait ces dernières années parmi les économistes et les banquiers centraux - tout au moins en apparence, tant était grande leur sévérité intraitable contre tout risque d’inflation attribuée aux salaires, mais sans limite leur bienveillance concernant l’inflation des actifs et du crédit.La théorie économique classique indique que de telles mesures, augmentant considérablement la masse monétaire en circulation, devraient à terme se traduire par une inflation massive. Mais nous ne sommes pas dans une situation normale, et aujourd’hui, cet afflux de monnaie, déjà à l’œuvre du fait des mesures prises par la Fed et ses consoeurs, ne parvient qu’avec peine à contrebalancer les destructions de monnaie scripturale. Il reste donc apparemment de la marge de manœuvre.Mais ce surplus de monnaie de base n’en constituerait pas moins une dévaluation de fait. Une « saine politique » néoclassique exigerait qu’une fois le retour à la croissance constaté, la quantité surnuméraire de monnaie soit retirée de la circulation par une émission d’emprunt d’Etat. Dans ce cas, le réglage entre contraction de la monnaie de base et préservation du retour à l’activité sera vraisemblablement délicat, et politiquement coûteux. Le risque existe donc, autant sinon plus qu’avec le recours immédiat à l’emprunt, d’une sanction contre la devise des Etat qui choisiront d’y recourir.Un dernier point. La position du curseur entre les deux forces à l’œuvre : déflation des actifs versus politiques inflationnistes, matérialisera le réglage actuel et futur qui prévaudra entre créanciers et débiteurs. Que l’inflation l’emporte et les débiteurs - ménages, entreprises, nations, verront leur dette allégée. Qu’au contraire ce soit la déflation qui s’installe, et ce seront les créanciers, les investisseurs, les rentiers et les détenteurs de capitaux qui verront leur situation préservée ou renforcée à l’issue de cette crise.Au-delà de l’urgence et de la nécessité de l’action, les décisions prises aujourd’hui préfigurent de toute évidence la nouvelle configuration des rapports de force qui prévaudront demain. D’une part à l’intérieur des économies nationales, entre capital et travail, et d’autre part à l’échelle du monde, entre créditeurs et débiteurs.A ce titre, la Chine, lourdement chargée en créances en dollars, première victime potentielle d’une éventuelle politique de dévaluation de la devise US - est en première ligne.

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